Darius Rochebin change de chaîne de télévision et une partie des Romands ont réagi comme si on leur enlevait un membre de leur famille.
Ayant grandi sans télévision, et continuant de très peu la regarder, je ne peux peut-être pas comprendre le lien émotionnel qui peut se nouer au fil des ans avec un visage familier qui lit un prompteur. Ou alors ai-je une envie d’être à contre-courant pour faire mon intéressant (ce serait pas la première fois), mais j’ai été relativement peu chamboulé par le #Dariuxit (ou le #RochebOut?).
Dans un pays qui refuse le vedettariat et ne connaît souvent même pas ses dirigeants, il était devenu un nom et un visage universellement célèbres. Il aura passé vingt-cinq ans à être le chouchou de la Romandie, et visiblement, au-dessus du quart de siècle, ça ne l’intéresse plus. Sa popularité était bien sûr due à l’excellence de son travail, ce que l’unanimité des hommages vient confirmer, mais aussi peut-être à un côté lisse et consensuel. Comme Jean-Jacques Goldman qui est la personnalité préférée des Français, surtout depuis qu’il a totalement disparu des médias et des charts.
Darius, dans une des 22 interviews données à l’occasion de son départ, dit qu’il a appris «à interviewer les gens en étant parfois impertinent mais aussi en sachant retenir les coups». Ce qui se traduisait dans les faits à parler de cul aux trois quarts de ses invités (même Jean d’Ormesson) mais peu des sujets qui fâchent, au cas où il faudrait réitérer l’invitation pour la saison suivante de Pardonnez-moi. Dur de lui en vouloir, la méthode fonctionne et son carnet d’adresses fait beaucoup d’envieux.
Je crois que je me suis toujours méfié de ceux qui plaisaient à tout le monde, peut-être par jalousie ou pour me consoler moi-même de déplaire à tant de gens. Les hommages sur les réseaux furent si dithyrambiques, d’un niveau d’ordinaire réservé à Trump et à Poutine par de faux comptes, que j’ai cliqué sur quelques profils pour vérifier qu’il s’agissait de vraies personnes.
C’est indéniable, Darius est le chouchou du web romand, des grands-mères sur Facebook aux ados fans de mèmes. Il faut dire que le quinquagénaire qui posait deux téléphones et un iPad devant lui avant de commencer le 19:30 utilise internet comme s’il était dans la peau d’une adolescente accro aux réseaux. Il trahit quand même son âge avec ses vidéos des coulisses de son travail où il met mal à l’aise ses collègues (et tous ceux qui ont le malheur de cliquer). Etonnant que l’homme qui sait si bien mettre son interlocuteur en confiance quand les caméras tournent semble avoir le talent inverse quand la lumière rouge s’éteint. Expérience faite.
Il sait s’effacer pour laisser le centre de l’image à son invité ou à l’information (un t-shirt hommage à Darius, déjà en vente, n’a pas trouvé mieux comme phrase emblématique que: «Très belle soirée à toutes et à tous et à demain». Waouh, le poids des mots), mais sait encore mieux être le people qui fait les couvertures de magazines (dont celui-ci) pour sa vie privée, savamment mise en scène comme nulle autre dans ce pays (à part peut-être Roger). Cela a plu à la ménagère mais agacé ses confrères. Ceux-là mêmes qui l’ont couvert de lauriers à l’annonce de son départ, canalisant peut-être leur soulagement dans une révérence très corporate. Nous sommes en Suisse, certaines choses ne se disent pas, certaines personnes ne se critiquent pas, et Darius se case là aussi peut-être juste en dessous de Roger.
Côté français, l’annonce n’a pas fait de bruit, sauf chez Jean-Marc Morandini, qui voit l’arrivée de cette nouvelle compétition d’un mauvais œil. Pas étonnant, les deux hommes sont désormais sur des chaînes concurrentes, avec le même marché cible. C’est ça, la nouvelle réalité de Darius, ex-roi incontesté du paysage audiovisuel suisse romand qui s’attaque à l’Everest parisien. Pour se donner du courage, il n’aura qu’à aller sur internet, où l’on ne trouve pas un mot critique à son égard. Maintenant, si.
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