«Les séances psychédéliques m’ont révélé certaines ficelles de mon moi intime»
Alexandra Camposampiero, comédienne, 34 ans, est victime de troubles alimentaires.
«Contrairement peut-être à d’autres qui suivent le programme, je n’ai pas un diagnostic précis, comme être anxieuse ou dépressive. J’ai commencé à suivre une psychothérapie à la suite d’une séparation, mais la raison première qui m’a fait me diriger vers ces thérapies assistées par psychédéliques est liée à des troubles du comportement alimentaire. Je n’en souffre plus aujourd’hui, mais j’ai été boulimique. C’est quelque chose qui m’a hantée et qui a été présent plusieurs années. Je n’ai jamais vraiment compris pourquoi j’avais été boulimique et pourquoi je ne le suis plus. J’ai eu envie de comprendre et de me libérer de la peur que ça revienne.
J’ai fait déjà deux sessions avec chaque fois 200 microgrammes La première session, ça paraît absurde dit comme ça, mais j’ai vraiment eu un sentiment de connexion avec le Tout. C’était très fort, difficilement descriptible. Lors de la deuxième session, j’ai retrouvé cette connexion. Elle était moins bouleversante dans le sens où ce n’était pas nouveau. Des souvenirs sont remontés, des choses que je n’avais pas complètement oubliées mais qui ne me paraissaient pas significatives. Durant la séance, je me suis revue en train d’écrire mon premier solo. Et tout à coup, j’ai eu comme une révélation.
Avant, ce n’était pour moi qu’une partie de mon travail. Mais là, j’ai mis le doigt sur un sens caché. J’ai perdu mon père quand j’étais petite. J’ai été beaucoup entourée par des femmes avec une sorte de schéma familial: ma mère aussi a perdu son père quand elle était petite. J’ai grandi avec des femmes et il y a ce truc du regard masculin qui est un sujet familial. Parallèlement, j’ai eu une histoire sentimentale qui a été très compliquée, et qui continue à être très compliquée. J’ai subi une sorte d’emprise relationnelle très forte, où l’autre avait beaucoup trop d’importance. J’ai compris que je n’écrivais pas pour moi ou pour un public mais pour lui. Tout s’est aligné. Moi dans le rôle de comédienne, la mort de mon père: j’ai vu comment c’était articulé et comment cet homme dans ma vie avait pris plus que le rôle d’un amoureux. Le rôle de mon père, le rôle du metteur en scène, le public qui aurait le verdict final.
Avec cette thérapie, je me suis rendu compte de ce qui m’appartenait et de ce qui ne m’appartenait pas. Tout peut être un problème selon comment on l’envisage. J’ai eu l’impression, au travers de cette expérience intense, de découvrir mes mécanismes mentaux. J’ai vu le schéma qui était cristallisé en moi, ce qui me bloquait, ce qui faisait que les choses se répétaient souvent et que je prenais toujours ce même chemin. Cette visualisation de mon mécanisme interne m’a conduite à un lâcher-prise sur ce qui ne m’appartient pas. On touche du doigt des choses intimes, sans qu’on y soit préparé. Ce qui émerge, c’est une sagesse de soi-même avec soi-même. Il y a clairement un avant et un après. C’est pour moi un changement profond qui continue à me faire travailler sur moi-même et qui va m’accompagner, j’en suis sûre, dans le reste de ma vie.»
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«J’étais comme dans un musée d’art contemporain. C’était vraiment d’une beauté incroyable»
Anne Gendre, sage-femme, 60 ans, subit des états dépressifs depuis longtemps. Elle a décidé de tester la thérapie.
«J’ai entendu parler de ces thérapies à travers les médias. J’ai tout de suite été attirée par les témoignages sur l’unité et le sens de la vie et je me suis renseignée. J’ai lu le best-seller de Michael Pollan «Voyage aux confins de l’esprit» et regardé plusieurs émissions sur le sujet. A cette époque, j’avais déjà traversé trois événements dépressifs et anxieux-dépressifs et essayé plusieurs types de psychothérapies et beaucoup d’autres traitements. La perspective de remplacer les antidépresseurs par le LSD ou la psilocybine m’intéressait. Je les supporte, mais c’est un traitement médicamenteux qui nivelle les émotions. Je vis beaucoup d’émotions positives qui sont contrebalancées par des états de tristesse, de découragement et d’anxiété. Les antidépresseurs atténuent ces émotions positives, une solution alternative me semblait intéressante.
Franchir le cap n’a toutefois pas été facile. J’ai 60 ans et, quand j’étais jeune, beaucoup de mes amis ont pris du LSD. Je n’ai jamais osé. J’avais trop la trouille de devenir folle ou de faire des «bad trips». La perspective de réaliser cette expérience dans un cadre médical et sécurisé m’a vraiment décidée. Je me sentais en confiance et, après avoir été acceptée dans le programme des Hôpitaux universitaires de Genève, j’ai eu deux séances de préparation. J’ai visité le lieu pour pouvoir m’habituer, pour me projeter. On m’a encouragée à faire des listes de musiques et de lectures que j’aimais bien. J’étais totalement en confiance. A tel point que, quand on m’a demandé de choisir entre 100 ou 200 microgrammes, j’en ai pris 200. Je ne voulais pas louper le truc.
J’ai pris la substance à 9 heures. J’ai très peu de souvenirs de la matinée. C’était le chaos. J’ai demandé à l’infirmière le lendemain si je m’étais plainte pendant cette période, si j’avais dit que c’était désagréable. Elle m’a répondu que non. Ensuite, l’après-midi, tout a changé. J’étais comme dans un musée d’art contemporain. C’était vraiment d’une beauté incroyable, alors que la pièce n’a rien d’incroyable. Il y a juste un petit tapis de yoga bleu. Le ciel et les graviers que je voyais par la fenêtre formaient des sortes de mandalas, tout me semblait beau. J’ai éprouvé une joie immense d’être baignée dans ce monde de grande beauté. Ce qui a émergé au cours de cette expérience, ce sont des sentiments d’amour et d’amour pour moi-même. Ça paraît banal, mais j’ai ressenti une énorme estime de moi-même face à ce que j’avais vécu dans ma vie, pour avoir réussi à traverser toutes ces difficultés. Ont défilé dans ma tête des personnes qui me sont chères: mes enfants – j’en ai trois –, mon compagnon et des amis proches. J’ai ressenti de l’amour envers tous ces êtres et leur amour réciproque.
La séance s’est terminée à 19 h 30. Je pouvais marcher mais j’étais encore complètement «stone», comme on dit. Ma fille et mon compagnon sont venus me chercher et on a mangé ensemble. Je leur ai demandé de ne pas parler: pour moi, c’était la perfection de l’instant présent. Dans la soirée, j’ai très peu dormi et j’ai eu comme une phase de réparation sur des événements de ma vie qui ont été difficiles. Je me suis retrouvée, comme si des boucles se finalisaient. J’ai vécu cette nuit comme un aboutissement d’un long travail que j’ai entrepris sur moi-même depuis des années.
Chaque personne aura une expérience différente selon le chemin qu’elle a parcouru. En ce qui me concerne, je ressens plus de paix et d’acceptation envers mon entourage. J’ai gardé cette sensation d’amour qui est très profond. Le lien aux autres, notamment un deuil très douloureux qui date d’une vingtaine d’années maintenant, en est ressorti comme transformé.
Mon intention de départ était d’explorer la paix. J’ai bien sûr essayé de me représenter ce que j’allais vivre: j’ai regardé je ne sais combien de vidéos sur YouTube, mais l’expérience que j’ai vécue n’a rien eu à voir avec ce que j’avais prévu et anticipé. Il faut du lâcher-prise et faire confiance au processus. J’ai tout essayé: le «mindfulness», la respiration holotropique et plein d’autres choses. L’expérience sous LSD n’a rien à voir.»