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Basketball

Thabo Sefolosha: «Black Lives Matter nous a fortement marqués»

Le meilleur basketteur que la Suisse ait connu a pris sa retraite. A l’instant de l’adieu, sa fille basketteuse Naledi à ses côtés, Thabo Sefolosha dit son attachement pour sa région de Vevey et l’Afrique du Sud, où il pourrait vivre un jour. Sa foi profonde et son lien avec le mouvement de revendication noire, jusqu’à être ami avec la famille de Martin Luther King. Et pourquoi il a décidé de quitter les Etats-Unis avec les siens. 

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Thabo et Naledi Sefolosha dans la salle des Galeries du Rivage, à Vevey.

Le sourire immense de Thabo Sefolosha (39 ans) et sa fille Naledi (13 ans), complices dans la mythique salle des Galeries du Rivage, à Vevey. Le joueur de NBA s’y est construit en tant que basketteur et sa fille l’imite aujourd’hui, sous les couleurs du Vevey Riviera Basket.

Photo: Valentin Flauraud; Assistant: Arthur Cocho

C’est un mercredi après-midi, les écoliers ont congé et il règne une belle qualité de silence dans la salle de basket des Galeries du Rivage, à Vevey, un ancien marché couvert des années 1930 auquel le toit en voûte donne des airs de paquebot verni. Thabo Sefolosha, 39 ans, et sa fille de 13 ans, Naledi, y sont seuls avec les souvenirs de l’un et ceux à créer de l’autre. C’est là qu’a grandi le plus grand basketteur que la Suisse ait généré. Là qu’il a donné une conférence de presse, en janvier, pour annoncer son retour et enfiler le maillot de Vevey, avant de prendre sa retraite le 19 mai. C’est encore là qu’il se raconte aujourd’hui en profondeur, l’enfance, les Etats-Unis, l’Afrique du Sud, tant d’aventures. Attentive, sa fille ponctue parfois. 

- Que vous inspire cette salle?
- Thabo Sefolosha (T. S.) : J’y ai passé énormément d’heures, je m’y suis construit en tant que jeune basketteur. Si j’ai cravaché dur ici, il ne me reste que les bons souvenirs. Travailler ne m’a jamais fait peur. A l’époque, tout ce qu’on pouvait voir de la NBA tenait dans des cassettes vidéo que j’empruntais à mes coachs, pour copier les gestes extraordinaires que j’y découvrais. Le mardi, nous nous dépêchions d’aller regarder les matchs sur la seule chaîne qui les montrait, la DSF allemande.

- Naledi, ressentez-vous la même passion que votre père?
- Naledi Sefolosha (N. S.): Au début, je ne voulais pas faire de basket. J’ai commencé il y a quelques mois, quand nous sommes revenus en Suisse. Dès le premier entraînement, j’ai aimé cela. Aux Etats-Unis, quand je voyais mon père sur le terrain, je le trouvais concentré, je me demandais même s’il était fâché; cela ne me donnait pas trop envie. J’aimais pourtant le voir jouer et j’admire ce qu’il a réussi à accomplir pendant quatorze ans, avec tous les regards sur lui. 
- T. S.: J’étais tellement dans le basket que j’ai dû au départ jouer le rôle de «démotivateur» avec mes filles. Aujourd’hui je comprends que cela puisse faire peur à Naledi, au début. J’essaie de lui dire qu’elle n’a aucune pression, qu’elle doit se faire plaisir. Elle a des qualités, dont la taille, et j’aime la voir jouer le samedi ou le dimanche matin.

- Que lui dites-vous?
- T. S.: A elle d’avancer, si elle aime cela. J’essaie de donner des conseils comme: «Si tu as envie que tout se passe bien en match, travaille plus dur la semaine!» Même si elle est une des dernières arrivées, elle s’est bien intégrée dans l’équipe, elle y a tissé de bons liens. Elle a une relation facile avec les gens, un aspect que j’avais un peu moins. J’étais aussi plus «street» qu’elle, à courir dehors toute la journée. 
- N. S.: Il m’aide beaucoup, pour les échauffements, pour tout. Je sais qu’il a raison quand il demande de travailler, je suis prête à ces efforts. On ne s’entraîne que deux fois par semaine; ce n’est pas assez, je devrais y aller un peu tous les jours.

- Thabo, avez-vous transmis l’amour de l’Afrique du Sud, le pays de votre père?
- T. S.: Il faut demander à mes proches, mais c’est vrai que c’est important dans notre famille. Mon père vient d’un township de Pretoria. Une grande partie de notre famille y vit, des oncles, des tantes, beaucoup de cousins et cousines, car mon père avait dix frères et sœurs. Dans ce qu’on appelle des bidonvilles, certains s’en sortent bien, d’autres moins et sont parfois dans une grande pauvreté. Cela donne une autre perspective et nous rappelle la chance énorme que nous avons eue de grandir ici, avec mon frère. Le lien avec l’Afrique n’est pas simple à entretenir, mais j’ai par exemple voulu donner des prénoms sud-africains à mes enfants. 

- Pourriez-vous y vivre? 
- T. S.: C’est encore une possibilité, oui. Le lien passe aussi par la musique. Chez nous, on chante et on danse. Le soir, en faisant la vaisselle, en nettoyant la maison. On écoute de tout, du rap, de la pop music, de la musique africaine et même du classique. 
- N. S.: Je me rappelle la bonne ambiance à chaque fois que nous sommes allés en Afrique. 

Thabo et Naledi Sefolosha dans la salle des Galeries du Rivage, à Vevey.

Défenseur intraitable de 201 cm, capable de juguler Bryant ou James, Thabo Sefolosha sait aussi s’envoler, sous l’œil admiratif de Naledi (180 cm).

Photo: Valentin Flauraud; Assistant: Arthur Cocho

- La foi est-elle importante?
- N. S.: J’aime bien prier, oui.
- T. S.: Nous prions en famille, sans que nous soyons évangéliques ou que tout passe par là. La conviction d’une force au-dessus de nous constitue une ancre dans la tempête. On peut bouger à gauche et à droite, on sait sur quoi on est centré. Il y a tant de hauts et de bas dans la vie d’un athlète. Dans celle d’une jeune écolière aussi. Il est important de savoir qu’on a de l’aide autour de soi. 

- Avez-vous toujours pensé à revenir à Vevey?
- T. S.: Cela a toujours été assez clair, oui. Il est très sympa pour nous de voir nos filles agrandir leurs ailes, oser prendre le bus ou le train, aller voir leurs copines toutes seules. 

- C’était impossible dans les villes américaines où vous avez vécu?
- T. S.: Oui, impossible. Une anecdote? Dans notre joli quartier de Salt Lake City, une ville pourtant considérée comme tranquille, nos filles, qui avaient environ 10 ans, sont un jour allées au parc, à cinq minutes à pied de la maison. La police nous les a ramenées en nous disant qu’on ne pouvait jamais laisser nos enfants sans adultes avec elles...
- N. S.: Oui, nous devions toujours dire avec qui et où nous étions, toujours. 

- Entre Chicago, Houston, Oklahoma, Salt Lake City, Atlanta, quelle ville gardez-vous dans votre cœur?
- T. S.: Atlanta. On y a acheté une maison, on y garde un pied-à-terre. C’est une ville très internationale, avec une grande communauté étrangère, des Suisses, des Français, des Latinos. Elle est à majorité démocrate alors que l’Etat, la Géorgie, est conservateur. Au contraire de beaucoup de cités américaines, on y sent l’histoire, car elle fut une ville phare lors de la guerre de Sécession.

- Comment y avez-vous vécu le mouvement Black Lives Matter?
- T. S.: Très fortement. Notre engagement a beaucoup de raisons, dont notre background: ma femme et moi sommes tous deux des descendants africains. De plus, l’incident qui m’est arrivé à New York (il a été victime d’une arrestation policière arbitraire en avril 2015 et indemnisé à hauteur de 4 millions de dollars, ndlr) m’a poussé à défendre la cause de l’antiracisme et à me sentir proche des manifestations aux Etats-Unis. Nous n’étions pas toujours d’accord dans la famille, cela a provoqué de grosses discussions, enrichissantes. Pareil dans l’école de nos filles: l’une d’elles avait même la petite-fille de Martin Luther King dans sa classe! Nous sommes amis avec sa famille. Nous avons aussi emmené nos filles aux marches dans les rues d’Atlanta, pour qu’elles comprennent ce qui arrivait. 
- N. S.: Nous y allions l’après-midi, quand nous ne risquions rien. 

Naledi et Thabo Sefolosha dans un vestiaire des Galeries du Rivage à Vevey

Naledi et Thabo Sefolosha dans un vestiaire des Galeries du Rivage. La famille est allée aux manifestations à Atlanta lors du mouvement Black Lives Matter, d’autant qu’elle est amie avec celle de Martin Luther King.

Photo: Valentin Flauraud; Assistant: Arthur Cocho

- Avez-vous été surpris par la violence de cette revendication?
- T. S.: Non, nous avons senti ce mouvement grandir pendant les quatre années précédentes. Avec l’effet «back to back», d’Obama à Trump, d’un extrême à l’autre. Les gens se sont sentis mis en avant puis repoussés. Ils ont dû de nouveau se battre pour leurs droits. Nous avons vécu notre expérience américaine à 200%, avec deux présidents qui ont marqué l’histoire d’une façon énorme, bien plus que Bush ou Clinton, par exemple.

- Cela a-t-il influé sur votre décision de quitter les Etats-Unis?
- T. S.: Clairement, oui. Cette situation a bien reflété notre sentiment par rapport à ce pays. Le fait qu’en 2023 il faille encore se bagarrer pour dire «black lives matter» n’est pas réjouissant et ne donne pas envie de s’installer là-bas. Il était temps de passer à autre chose.

- Qu’avez-vous retrouvé en Suisse? Vous disiez que, enfant, quand quelque chose était volé ou cassé, on se tournait vers vous...
- T. S.: Dans l’école de mes enfants, à La Tour-de-Peilz, les écoliers viennent de milieux beaucoup plus diversifiés que vingt ans auparavant. Alors que j’étais le seul métis ou Noir dans toute l’école, ma fille a une camarade dans sa classe qui lui ressemble comme deux gouttes d’eau. Tout est plus mélangé et c’est tant mieux: la Suisse est une terre d’accueil idéale pour plein de raisons. 

- Avez-vous des projets?
- T. S.: Avec mes frères, nous sommes en pleine réflexion sur beaucoup de choses. Tout en continuant dans l’immobilier, nous pensons à monter une petite structure familiale dans la restauration. Participer à la vie veveysanne avec une boutique ou autre chose, on en discute. En outre, je m’engage pour le basket suisse, je travaille pour la jeunesse. Je suis chargé de la formation et du développement technique. Il y a tant de projets à mettre en place pour aider les nouvelles générations. J’apporte mon expérience et mon expertise: les années passées dans des championnats professionnels m’aident immensément dans cette tâche.

Thabo en quatre dates

1984 
Naissance à Vevey, mère suisse, père sud-africain. Son prénom signifie «celui qui amène la joie».

2006
Engagé par Chicago, où il joue jusqu’en 2009. Il devient le premier Suisse en NBA. Evolue au total 965 fois dans cette ligue, à Oklahoma (2009-2014), à Atlanta (2014-2017), en Utah (2017-2019) et à Houston (2019-2020).

2012
L’apogée: aux côtés de cracks comme Durant ou Westbrook, il dispute la finale de la NBA avec Oklahoma City Thunder. Défaite 1-4 face au Miami de LeBron James.

2023
Retour à Vevey Riviera Basket. Il annonce sa retraite le 19 mai, après l’élimination du club en play-off.

Par Marc David publié le 7 juin 2023 - 10:08