Il a fallu près de trois ans au photographe romand Julien Regamey pour obtenir ses premières bonnes images de la vipère à cornes. Ce reptile, au design étrange et aux capacités fascinantes, représente une sorte de graal pour les herpétologues. Très difficile à repérer, il vit en symbiose totale avec le sable: sa robe d’écailles en imite parfaitement les nuances et, pour survivre pendant les périodes chaudes de la journée, le reptile s’y enfouit, souvent à l’abri d’un rocher. Ainsi dissimulée, protégée des fortes chaleurs de midi qui la tueraient, la vipère ne laisse sortir que ses cornes caractéristiques et ses yeux, couleur sable eux aussi. Elle scanne méthodiquement l’environnement, détectant tout mouvement suspect.
La vipère à cornes aime les milieux désertiques, mais pas n’importe lesquels: elle préfère les zones diversifiées, faites de cailloux et de sable, garnies de petits buissons sous les racines desquels elle peut trouver le frais. Deux coins du désert marocain sont devenus les zones de prédilection du photographe herpétologue: les régions de Zagora, au sud-est de Marrakech, et de Guelmim, au sud d’Agadir. Dans ces milieux propices, la vipère à cornes peut vivre jusqu’à dix ans et atteindre 80 cm de longueur.
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C’est là que Julien Regamey, à force de patience, a appris à repérer les traces de la vipère: au lever du jour, elle profite des températures plus clémentes pour se déplacer, laissant derrière elle des ondulations caractéristiques que le photographe a appris à interpréter. Mais il reste prudent. En une fraction de seconde, cette vipère peut se détendre comme un ressort et injecter son venin mortel à l’aide de ses dents tubulaires. Ce poison cause principalement des troubles de la coagulation sanguine, qui provoquent des AVC. A des kilomètres de tout hôpital, une morsure peut être fatale.
Si les habitudes du reptile sont connues, aucune théorie n’explique avec certitude la raison d’être des deux cornes qui surplombent la tête triangulaire de l’animal et qui lui valent son nom. Julien Regamey retient pourtant la théorie de son ancien professeur, Jean Garzoni, le fondateur du Vivarium de Lausanne. D’après lui, la vipère se servirait de ses protubérances pour capter la rosée du matin, elle-même causée par les énormes écarts de température entre la nuit et le jour qui caractérisent les régions désertiques. La condensation se dépose sur tous les reliefs saillants, y compris sur les cornes de notre vipère. Cette rosée n’aurait alors plus qu’à couler naturellement jusqu’à la gueule du reptile. L’animal réussirait ainsi la prouesse de boire en plein désert sans devoir se déplacer!