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Votation fédérale

Le territoire, toute une histoire

Le 10 février, le peuple est appelé à se prononcer sur une nouvelle approche de l’aménagement du territoire. Gel des zones à bâtir, sauvegarde des terres agricoles: les initiatives divisent depuis bientôt quarante ans.

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Ecublens (VD): dans l’Ouest lausannois, la commune d’Ecublens s’est extraordinairement développée en 50 ans. Au bord du lac, à Saint-Sulpice, villas et petits immeubles occupent une large bande. Derrière, le site de l’EPFL et de l’université.  Jean-Michel Zellweger et Aéroport de Lausanne/Archives cantonales vaudoises

Cinq ans seulement après la dernière révision de la loi sur l’aménagement du territoire (LAT), les citoyens sont donc de nouveau appelés à se prononcer, le 10 février prochain, sur la meilleure façon d’occuper les 41'285 km2 du territoire national.

Lancée par les Jeunes Verts, l’initiative populaire «Stopper le mitage – pour un développement durable du milieu bâti» ne sera pas cette année la seule à soulever la question de la qualité de nos paysages; quatre autres textes ont été ou seront lancés en 2019 encore, parmi lesquels une initiative à portée énergétique intitulée «Sauver les glaciers» et une autre, «Pour une eau potable propre», touchant, par nature, à l’aménagement du territoire.

Ces questions posées au peuple indiquent, comme le résumait Roger Nordmann (PS/VD), comment «le territoire incarne désormais un volet symbolique fort de l’écologie». Nostalgie d’une campagne idéalisée, images inquiétantes de villes à l’extension tentaculaire, rêves de quartiers verts et futuristes: autant de préoccupations fortes, mais finalement assez récentes.

Pays de montagnes et de forêts

Si certains pays, plus centralisés – comme la France – ou ayant dû, à coups de grands travaux, se créer des terres habitables – comme les Pays-Bas – se sont souciés plus tôt de réglementer l’aménagement de leur sol, ce n’est qu’en 1969 que les Suisses adoptent une première base constitutionnelle sur le sujet. Preuve de la complexité du problème, il faudra encore attendre onze ans pour qu’entre en vigueur une première loi, le 1er janvier 1980.

«Avant cela, chaque canton faisait comme il voulait, rappelle Xavier Fischer, architecte urbaniste à Yverdon-les-Bains (VD). Historiquement, le fédéralisme suisse s’est un peu construit sur la rivalité entre ville et campagne. Cette dernière étant toujours un peu idéalisée et les villes perçues comme des lieux de perdition. On soutenait alors en priorité les régions périphériques tandis qu’il n’y avait pas de véritable politique urbaine. C’est Moritz Leuenberger (conseiller fédéral de 1995 à 2010) qui lancera la première véritable politique des agglomérations.»

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Belmont (VD): En un siècle, «le village des hauts de Lausanne» a vu sa population multipliée par dix. Les nouveaux quartiers ont été installés sur des terrains à l’époque occupés par l’exploitation minière et l’agriculture. J.-M. Zellweger-Aéroport de Lausanne/Archives cantonales VD

Pour rappel, environ 30% seulement de la surface de la Suisse est susceptible d’être bâtie ou cultivée, le reste du territoire étant constitué de lacs, de cours d’eau, de rochers, de glaciers et de forêts. Selon les différents types d’utilisation du sol, on distingue quatre zones principales: les surfaces d’habitat et d’infrastructure, les surfaces agricoles, les surfaces boisées et les autres espaces naturels.

Déjà visible sur les photographies anciennes présentées dans ces pages, le paysage national a de longue date été façonné par les activités humaines; le développement des chemins de fer et, plus tard, celui des autoroutes ayant profondément marqué la manière de l’occuper bien avant l’entrée en vigueur de la première loi.

Puzzle très morcelé

Vus du ciel, les 41 285 km2 du territoire ont, déjà dans les années 30, l’apparence d’un puzzle très morcelé. Selon le dernier rapport en date sur l’utilisation du sol en Suisse, «en 2009, les surfaces agricoles occupaient la plus grande proportion du territoire suisse (35,9%), devant les surfaces boisées (31,3%) et les autres espaces naturels (25,3%). En comparaison, la part des surfaces d’habitat et d’infrastructure est faible (7,5%).» Mais, pour faire face à l’augmentation de la démographie et aux besoins de l’économie, c’est logiquement cette part de surface qui augmente le plus, au détriment des zones agricoles. Dans le canton de Vaud, les terres cultivables ont ainsi diminué de 10% entre 1980 et 2014. Aussi sûr que l’on ne va pas créer de nouvelles villes à la montagne tandis que les zones de forêts ne peuvent pas être réduites selon une loi, pionnière en Europe, adoptée en 1876 déjà.

En observant les photos de Vaud du ciel (dans lequel il signe un passionnant article intitulé «Vers un renouveau de la ville, partenaire de la campagne»), Xavier Fischer remarque que, «passé le choc de l’augmentation des constructions, le mitage n’est pas une invention du XXIe siècle» et qu’«il ne faut pas faire de liens trop directs entre démographie et bétonnage». «Entre 1950 et 2015, 29 communes vaudoises ont perdu de la population, mais toutes ont augmenté la surface de leur zone construite. Sainte-Croix constitue un exemple particulièrement frappant qui, entre 1949 et 2017, a perdu 2200 habitants tandis que la localité s’est fortement agrandie.» Un phénomène représentatif des changements de mode de vie: les centres anciens se sont vidés tandis qu’ont été construits des quartiers de petits immeubles ou de villas. Plutôt que de mitage, il faudrait parler d’étalement des zones construites. Ainsi, en ville comme à la campagne, des espaces de loisirs, des installations sportives ou culturelles ont été aménagés, qui n’existaient tout simplement pas il y a encore trente ans.

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Cugy (VD): En 1960, la commune de Cugy comptait 600 habitants. Ils étaient 2735 en 2017, installés sur un territoire de 290 hectares. J.-M. Zellweger-Aéroport de Lausanne/Archives cantonales VD

Lacunes de la loi

Au fil du temps, la loi adoptée le 1er janvier 1980 a montré plusieurs lacunes et son objectif d’une utilisation mesurée du sol n’a pas été atteint. Parmi les multiples causes, le fait que les autorités de planification ont souvent surévalué la croissance de leur population estimée à l’échelle communale et non pas pour la région ou le canton, provoquant souvent un surdimensionnement des zones à bâtir.

Négligeant une vision d’ensemble, certaines communes ont vu dans la création de zones à bâtir un moyen rapide d’assainir leurs finances. Pour les propriétaires fonciers, l’écart considérable entre la valeur d’une surface en zone agricole et celle d’un terrain à bâtir a aussi poussé ces derniers à demander le classement de leurs terrains en zone à bâtir.

Lex Weber

Déjouant tous les pronostics des instituts de sondage, les recommandations du Conseil fédéral et du parlement, le peuple et les cantons ont, le 12 mars 2012, adopté l’initiative populaire «Pour en finir avec les constructions envahissantes de résidences secondaires». Limitant à 20% du parc des logements et de la surface brute de chaque commune le nombre de résidences secondaires, la Lex Weber a provoqué, en particulier dans les cantons à vocation touristique comme le Valais, de nombreux mécontentements et même quelques tentatives de tricherie.

Ces péripéties illustrent bien l’extrême complexité du sujet. Tandis qu’une loi fédérale fixe le cadre et les objectifs, c’est à chaque canton d’établir les plans d’application que les communes devront à leur tour mettre en œuvre.

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Sainte-Croix (VD): Entre 1950 et 2015, la commune de Sainte-Croix a perdu 28% de sa population, passant de 6956 à 4763 habitants, mais a doublé son emprise urbanisée. J.-M. Zellweger-Aéroport de Lausanne/Archives cantonales VD

Tandis que le contre-projet accepté en 2013 déploie à peine ses premiers effets (à la suite d’un recours mené par quatre habitants de Rennaz, un projet de nouveau quartier qui aurait permis de doubler la population du village vient d’être sèchement refusé par le Tribunal cantonal), l’initiative «Stopper le mitage», présentée au peuple le 10 février, demande de geler complètement la surface totale des zones à bâtir.

Sans contester la taille des zones à bâtir encore non construites (entre 11 et 17% du total, soit entre 25'000 et 40'500 hectares), l’urbaniste fait remarquer «qu’elles ne se trouvent pas toujours au bon endroit et que le fait de geler les zones à bâtir ne va pas conduire à les regrouper. Faire de bons choix d’aménagement dépasse les simples problèmes quantitatifs.»

Dans le canton de Vaud, sur les sept partis représentés au Grand Conseil, deux (Ensemble à gauche et les Verts) recommandent d’accepter l’initiative; trois partis (le PLR, l’UDC et les Vert’libéraux) demandent en revanche de la refuser; les deux derniers, le PS et le PDC, laissant la liberté de vote.
Un nouvel encadrement du paysage national sera-t-il soluble en votation populaire?


Par Jean-blaise Besencon publié le 31 janvier 2019 - 08:46, modifié 18 janvier 2021 - 21:02