Dans le cadre de notre métier, il arrive que nous nous heurtions à des portes closes. Des refus de répondre à des questions considérées comme trop intimes ou douloureuses. Mais très souvent, c’est le contraire qui survient. J’en suis la première étonnée, de cette envie de dire les choses, de vider son sac, de régler ses comptes parfois. Et j’admire le courage et la franchise de celles et ceux qui acceptent de se livrer. En respectant évidemment ceux qui ne veulent, ou ne peuvent, s’exprimer.
Parfois, cela prend du temps. Des décennies, même: Massimo Lorenzi n’a commencé à évoquer son enfance de fils de saisonnier, dans une Suisse qui ne voulait pas de regroupement familial, que l’hiver dernier. Un passé qu’il a tu à sa propre famille et qu’il aurait sans doute gardé sous silence si ses parents, dont il était proche, étaient toujours en vie aujourd’hui.
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Contrairement à d’autres «enfants du placard» dont nous avons recueilli le témoignage, le journaliste genevois n’ira pas plus loin dans la démarche. Il ne veut ni excuses, ni compensation officielle, alors que d’autres, réunis en association, souhaitent désormais un geste de la Confédération, comme ce fut le cas pour les «Verdingkinder» (enfants placés). Son choix souligne combien chacun gère à sa manière éminemment personnelle les traumatismes du passé: la parole peut être une première étape ou se suffire à elle-même.
La parole libère, entend-on souvent. Le déferlement de témoignages dans le sillage de «#MeToo» autour des violences sexuelles, les témoignages de victimes d’inceste qui ont surgi après la parution du livre de Camille Kouchner ont été cathartiques pour beaucoup. Mais des spécialistes s’interrogent également sur les suites de cette parole libérée: qu’en fait la société? Quelles conclusions en tire-t-elle? Quels mécanismes met-elle en place pour empêcher que de telles situations puissent se produire ou se reproduire? Encourager, applaudir, et dans la foulée prendre parti et juger, c’est humain. Mais avant tout, écoutons.