Le rituel est presque religieux, chaque soir aux alentours de 19 heures. Les adeptes de la téléréalité des générations Y et Z se retrouvent devant Les Marseillais ou Les Anges afin de suivre les histoires de cœur, de jalousie ou les gags de leurs candidats préférés. Et ces derniers brouillent les pistes tant ils sont présents sur tous les fronts, entre leur célébrité acquise à la TV et leur activité frénétique sur les réseaux sociaux, où ils se transforment en influenceurs.
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Ce microcosme de la téléréalité «nouvelle génération» rassemble une communauté de fidèles, de leur petit écran à celui de leur smartphone. Le principe est simple: une bande de jeunes femmes et de mecs au physique avantageux se retrouvent aux quatre coins du monde. Afrique du Sud, Australie, Cancùn, Rio ou encore Dubaï, les candidats vivent pendant plusieurs semaines dans des villas de grand luxe, en huis clos. C’est là que les aventures et les problèmes commencent, et ça marche. Alison, 28 ans, Barbara, 20 ans, et Manon, 16 ans, sont trois Romandes qui n’en ratent pas une miette. «Moi qui regarde la téléréalité depuis Secret Story, j’apprécie de suivre les candidats des diverses émissions au fil des années, pour voir comment ils évoluent, souvent en bien, car ils se marient, deviennent parents, et finissent souvent riches», explique Barbara.
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Dans ces émissions, on s’aime, on se déchire, on crie ou on rit avec les candidats bronzés, adeptes de chirurgie esthétique et aux styles vestimentaires fantasques. Ces personnages souvent anonymes au départ en ressortent auréolés de célébrité, grâce aux audiences faramineuses que comptabilisent ces émissions. En avril 2020, Les Marseillais vs le reste du monde battent leur record de diffusion avec 1,3 million de téléspectateurs lors d’un seul épisode. Les «acteurs» se transforment alors en stars, et sont suivis massivement sur les réseaux sociaux comme Instagram ou Snapchat.
Et leurs communautés pèsent très lourd. A titre de comparaison, elles représentent à elles seules autant, voire plus que l’audience de certains programmes télévisés comme The Voice ou le journal de 20 heures sur TF1. Avec plus de 6 millions d’abonnés, la candidate des Marseillais Jessica Thivenin se positionne comme la deuxième personnalité de téléréalité la plus suivie sur les réseaux sociaux. Son mari, lui aussi dans la même émission, la suit de près avec 3,9 millions d’abonnés. Enfin, une candidate arrivée plus récemment chez Les Marseillais, Alix Desmoineaux, a déjà dépassé les 2 millions de fidèles. «Ce système existe en vase clos, et n’est en réalité pas très transparent», analyse Bertrand Saillen, directeur associé de l’agence Debout sur la table. Reste que, aux yeux du public de fans, ces personnalités inspirent en tant que modèles de beauté, de mode ou encore de réussite professionnelle exposés massivement sur les réseaux sociaux. Même si, comme le souligne Bertrand Saillen, ce qui se trame dans ces émissions «relève du scénario, car les candidats jouent un rôle d’acteurs et tout le monde sait que ce n’est pas la réalité».
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Qu’importe. Nos trois Romandes sont elles aussi abonnées à leurs stars préférées et expliquent ce qui les pousse à les suivre au quotidien sur les réseaux. L’une relève le côté professionnel. «Je suis abonnée entre autres à Jessica, je trouve qu’elle incarne un modèle de succès, elle est inspirante en tant que femme et businesswoman», explique l’une d’elles. Pour une autre, ce sont plutôt les conseils beauté qui la séduisent: «J’aime les suivre pour l’aspect coiffure, beauté ou style.» La benjamine, elle, précise que «cela me sert d’inspiration vestimentaire, je regarde comment ces personnalités s’habillent».
La cash machine est bien huilée. Dans leur rôle d’influenceurs, les ex de la téléréalité affichent leur vie privée, de manière parfois très intime. Mari, femme, enfants ou animaux de compagnie, les internautes savent tout, ou presque. L’aspect personnel fait vendre. Car les influenceurs pratiquent notamment le placement de produits et organisent des concours. «Les marques profitent de la force de diffusion de ces célébrités pour faire vendre leurs produits», détaille Myriam Pichard, spécialiste en marketing d’influence et en communication numérique. Ainsi, un influenceur de téléréalité diffuse une vingtaine de storys quotidiennes, parmi lesquelles des publicités pour du thé, du maquillage ou des leggings. En partageant des codes promotionnels, la star pousse sa communauté à l’achat. Et ça marche. Pour Barbara, qui a testé un kit de blanchiment dentaire ainsi qu’un produit minceur vantés par l’une des candidates, il s’agit «avant tout de curiosité», plutôt que de réelle influence à la consommation.
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Ces stars du petit et du grand écran se lancent aussi parfois dans l’entrepreneuriat. «Suite à leur participation aux émissions, ces personnages deviennent eux-même des marques, et en profitent souvent pour créer un projet personnel», poursuit Myriam Pichard. En effet, sur les tournages, les candidats accumulent de précieux contacts, rencontrent des célébrités confirmées, comme l’acteur Jean-Claude Van Damme ou le chef cuisinier Thierry Marx. Une occasion en or pour des anonymes, dont quelques-uns seront engagés par des agences d’influence, leur permettant ensuite de monétiser leur carrière. C’est ainsi que fonctionne l’agence basée au Maroc Shauna Events, fondée par la Française Magali Berdah. Elle repère les candidats au potentiel lucratif le plus prometteur afin de leur proposer des contrats. Contactée, l’intéressée n’a pas répondu.
Dans leur vie post-téléréalité, certains candidats se reconvertissent ainsi dans des domaines souvent éloignés de leur plan de carrière initial. Comme Thibault, ancien candidat des Anges et actuel participant aux Marseillais qui rêvait d'être mannequin, désormais patron de huit entreprises, entre des produits de blanchiment dentaire, des vêtements ou des parfums. Il n’est pas le seul. Sa femme, Jessica, a ouvert son propre salon de coiffure, et son ami Julien Tanti une pizzeria. «Il s’agit souvent du même fonctionnement pour toutes ces personnalités», poursuit Bertrand Saillen. En effet, tout ce petit monde se retrouve souvent dans le même type d’entreprise, déménage à Dubaï et partage les mêmes placements de produits. En termes de rémunération, ils gagnent un salaire mensuel proportionnel à leur nombre d’abonnés et à leur taux de visibilité, ce qui reste très difficile à estimer. Sur le plateau de Touche pas à mon poste! le 9 mars 2021, le chroniqueur Gilles Verdez a avancé que «les principaux influenceurs, avec les placements de produits», gagnent un salaire qui démarre à «120 000 euros et va jusqu’à 400 000 euros par mois».
Pour Myriam Pichard, il faut toutefois faire une distinction entre les influenceurs de téléréalité et les créateurs de contenus, même si la frontière est floue. «Initialement, un influenceur produit du contenu, c’est-à-dire des vidéos, des photos ou des articles de blog. Les candidats de téléréalité, quant à eux, sont plutôt des célébrités qui utilisent leur image pour mettre en avant des produits.»
Par ailleurs, si les pratiques de publicité et de vente des célébrités de téléréalité ressemblent à celles des influenceurs que Bertrand Saillen appelle «natifs», «les stars de téléréalité ne vendent pas les mêmes gammes de marques et pratiquent le drop shipping, qui consiste à revendre des produits à des prix beaucoup plus élevés». En résumé, la téléréalité à la sauce 2021 s’avère être un tremplin vers la célébrité menant à un potentiel commercial énorme pour une poignée d’élus. Comme le résume Bertrand Saillen: «On est bien loin du premier Loft Story.»