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Techniques pour vaincre ses phobies

Les phobies paralysent certaines personnes et les empêchent de vivre normalement. Il est pourtant possible de maîtriser les peurs irrationnelles, parfois grâce aux nouvelles technologies.

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Dorothée Benz, codirectrice d'étude, en compagnie de Céline Moser, l'une des premières patientes amenées à se confronter aux monstres virtuels. Maya Wipf & Daniele Kaehr

Des lunettes contre la peur. Dans un laboratoire de Bâle, des patients ajustent sur leur nez un masque de réalité virtuelle.

Les chercheurs des cliniques psychiatriques universitaires recourent à cette technologie pour traiter les peurs. Si vous avez la phobie des araignées (arachnophobie), on vous projettera dans les lunettes des araignées velues.

Céline Moser fut une des premières à contempler dans le détail ces monstres virtuels. La gymnasienne de 19 ans a même peur de toutes sortes de bestioles quand elle les découvre dans le sac à poussière de l’aspirateur. Pour la première simulation, les lunettes ont projeté dans les yeux de Céline une chambre avec une table et une fenêtre. Sur la vitre une grosse araignée noire, manifestement artificielle, pendait à son fil. «J’ai éprouvé des palpitations cardiaques et mes mains tremblaient. Mais avec un peu d’effort sur moi-même, j’ai réussi à m’approcher.»

«Nous enhardissons les patients à affronter leur peur et à lui résister», explique le neurologue Dominique de Quervain. Les scientifiques peuvent vérifier sur un écran comment la fréquence cardiaque augmente dès que le stimulus de la peur se déclenche et comment les patients se rassérènent sitôt qu’ils remarquent qu’il ne s’est rien passé de grave.

La dose est progressivement augmentée

Si la patiente tient le coup, la simulation franchit un nouveau pas. Céline a été capable d’aller dans une pièce où sept araignées gigotaient à la fois. «La peur s’est amenuisée petit à petit. Comme prochain exercice, je rendrai visite aux grosses araignées à la cave.» La thérapie par exposition libère 80 à 90% des phobiques de leurs peurs au terme d’une à douze séances, assure Dominique de Quervain. Et, en l’occurrence, le fait que l’araignée soit vraie ou artificielle ne joue aucun rôle. Atout de la réalité virtuelle: il est possible de simuler aisément des situations angoissantes.

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Equipée de son masque de réalité virtuelle, Céline Moser visionne des pièces remplies d'araignées. Maya Wipf & Daniele Kaehr

«Dégoûtant! Va-t’en!»

Christine Wälchli, 35 ans, a elle aussi peur des araignées depuis toute petite. «Dès que j’en vois une, je me dis: «C’est dégoûtant. Va-t’en! Tu pourrais me faire du mal.» Or elle voit beaucoup d’araignées puisqu’elle habite une ferme. Souvent, elle appelle des collègues à la rescousse pour qu’ils chassent les intruses et, bien sûr, on se moque d’elle. Mais cela ne devrait plus se produire. La jeune femme s’est inscrite pour deux séminaires sur les peurs au zoo de Zurich. Ce qui l’y a incitée, c’est une expérience horrible en Indonésie: un tour en pirogue qui passe sous des buissons, et des araignées tombant dans l’embarcation. Le cœur de Christine bat la chamade et elle se met à transpirer. «Il fallait accepter les araignées ou sauter dans l’eau où rôdaient des crocodiles.» Dans une telle situation, il ne reste qu’une solution: combattre la phobie.

«Quatorze personnes sur cent souffrent de phobies, souligne la psychothérapeute Ursula Galli, de l’Institut de psychologie de l’Université de Zurich. Mais elles sont nombreuses à avoir honte de demander de l’aide ou ne savent pas qu’elles peuvent bel et bien se faire aider.» Il existe même des stratégies pour s’aider soi-même (voir encadré), grâce auxquelles on peut se familiariser avec le problème.

Dix ans sans dentiste

Jean-Pierre Stucker, lui, a attendu dix ans avant d’aller voir la psychothérapeute. A 61 ans, il a éprouvé du jour au lendemain la peur du dentiste, alors même qu’il était technicien dentaire et que les dentistes faisaient partie de son quotidien. Il se rappelle sa dernière visite chez le dentiste: «D’un coup, je me suis senti livré à un type qui avait tout pouvoir sur moi.» Des années durant, il a évité tout ce qui pouvait évoquer un dentiste. Lorsqu’il voyait la plaque de cuivre d’un cabinet, il changeait de trottoir. Et il s’est recyclé en conducteur de bus. Un jour, les douleurs dentaires de Jean-Pierre devenant aussi intolérables que sa honte, il résolut d’aller voir la thérapeute Ursula Galli. «Le premier pas fut le plus difficile. Y aller et admettre: «Oui, je souffre d’une phobie.»

Phobie des hauteurs, de l’avion, des animaux ou des médecins: les causes sont multiples, estime Ursula Galli. «D’un point de vue biologique, les phobies ont du sens. Elles protègent contre le danger.» Mais si des peurs irrationnelles s’installent, il en résulte souvent un comportement d’évitement, qui restreint à l’excès et peut même renforcer les phobies. Une inclination à la peur est née. Le plus souvent, les gens développent des peurs en période de surcharge ou de tâches nouvelles.»

La plupart des phobies s’installent autour de 20 ans et entre 35 et 45 ans. «A ces âges-là, beaucoup de gens vivent des phases de contraintes multiples. Ils dressent peut-être un premier bilan et perdent une certaine innocence, explique Ursula Galli. Mais parfois les peurs peuvent constituer un avertissement qu’il y a quelque chose qui cloche dans la vie et qu’il faudrait en changer des éléments.»

Prise de panique dans l’avion

Au mitan de la trentaine, Nicole Weigelt a développé une phobie de l’avion. A l’époque, elle se sentait prisonnière d’une vie qui la voyait s’occuper d’autrui avant de songer à elle-même. Dans un avion, elle éprouva une attaque de panique et résolut de bannir à l’avenir les déplacements aériens. «Lorsque, au décollage, je me suis sentie collée au dossier de mon siège, j’ai pensé: «Au secours, j’abandonne tout contrôle, nous allons nous écraser.» J’avais les mains moites, le cœur battant, la gorge nouée.» Elle était morte de peur. Ensuite, des années durant, la Saint-Galloise recourait uniquement à la voiture pour ses vacances. Jusqu’à ce que cette autolimitation l’énerve: «Notre existence est brève, pourquoi ne devrais-je pas en jouir pleinement?» A 46 ans aujourd’hui, elle s’occupe davantage d’elle-même. Elle a trouvé du plaisir au jogging, s’accorde plus de temps libre juste pour elle et a échangé un emploi stressant dans la restauration contre un poste plus calme dans une épicerie fine.

Désormais, avec son beau-fils de 13 ans, elle se risque sur les toboggans des parcs aquatiques et les montagnes russes. Cela la fait rire: «Si je sais faire ce genre de bêtises, je peux faire tout le reste.» Y compris monter dans un avion. Au séminaire Fit to Fly de Zurich, elle entraîne des techniques de relaxation et apprend des notions techniques, comme le fait que trois réacteurs continuent de fonctionner lorsque l’un d’eux rend l’âme. «Prendre l’avion ne sera sûrement pas mon passe-temps favori», avoue-t-elle. Mais elle se réjouit de ses prochaines vacances à Barcelone: «Il faut simplement oser.» Christine Wälchli, l’ex-arachnophobe, sait maintenant capturer des araignées avec un verre. Elle aborde sans problème son prochain voyage en Thaïlande. Après tout, lors de son séminaire contre les peurs, elle a laissé une tarentule se poser sur son bras.

«Un homme nouveau»

Au fil d’une thérapie comportementale, Jean-Pierre Stucker a travaillé sur des expériences de vie douloureuses et, peu à peu, il s’est refamiliarisé avec les cabinets dentaires. Au bout d’une année de séances de thérapie régulières, il s’est risqué à un examen complet: le traitement proposé a coûté 30 000 francs, en quinze séances. Or il rayonne quand il les évoque: pas de douleurs et beaucoup plus d’assurance: «Je me sens comme un homme nouveau.» A Bâle, cependant, les chercheurs en réalité virtuelle se creusent parfois encore la tête: «Chez certains patients, la peur revient au bout d’un certain temps», constate Dominique de Quervain. Une étude devrait désormais indiquer s’il vaut la peine de soutenir une thérapie par des médicaments.

Texte: Ann-Kathrin Schäfer, journaliste au Beobachter

Par L'illustré publié le 1 novembre 2017 - 00:00, modifié 18 janvier 2021 - 21:08