Première publication: le 9 janvier 2020
Des clichés de sa petite enfance à Reading, en Pennsylvanie, on retient une chevelure d’angelot, des traits réguliers et un regard bleu pénétrant. Taylor Swift a des allures de princesse de conte de fées, un frère cadet adorable et un joli petit chien. Ses parents, Andrea et Scott – il a été agent de change chez Merrill Lynch – exploitaient une ferme de sapins de Noël. Ils ont choisi le prénom de leur fille en hommage au chanteur folk rock James Taylor. Avant de devenir, en termes de revenus, la star pop de l’année 2019, totalisant selon le magazine Forbes 185 millions de dollars, devant Beyoncé et Rihanna – respectivement 81 et 62 millions – et de décrocher le titre d’artiste de la décennie aux derniers American Music Awards, la petite rêvait de se voir en haut de l’affiche.
Depuis quelques semaines, elle marie sa passion pour la chanson au cinéma dans la version cinématographique de la comédie musicale Cats, créée en 1981 à Broadway, huit ans avant sa naissance. Pour elle, Andrew Lloyd Webber a enrichi sa partition d’un titre inédit, Beautiful Ghosts, nommé aux Golden Globes 2020. L’événement est à la hauteur du statut dominant de Miss Swift. Elle est loin devant les autres, certes, mais dans un univers semé d’embûches.
Cette fille a tous les dons, ce qui aurait celui de susciter des jalousies tenaces. En plus d’être auteure, compositrice, interprète, elle dessine, peint et cuisine. Sa dernière recette est un poulet Marbella aux dattes et olives vertes inspiré de The Simple Cookbook du chef britannique Yotam Ottolenghi. Taylor aime les enfants, ses amis, sa famille et ses fans. Ses chansons des débuts fleurent bon les amours, les larmes et les tendres sentiments. Mais vivrait-elle hors du monde, serait-elle sans aspérités, voire apolitique?
Résolument démocrate, elle a longtemps caché ses préférences. Elle incarne malgré elle une Amérique idéalisée plutôt républicaine. Lorsque les suprémacistes blancs se réclament de sa blondeur, elle les renvoie sèchement à leur fantasme de pureté en les qualifiant de «répugnants». Taylor Swift: Miss Americana? Elle en a fait une chanson dans son album «Lover». Les paroles évoquent son adolescence passée et viseraient, sans la nommer, l’administration Trump et son cortège de désillusions. C’est également le titre d’un documentaire autobiographique paru sur Netflix.
Mais Taylor n’a pas que des amis, et, depuis plus de six mois, les responsables de Big Machine Label, son ancienne maison de disques, tentent de bloquer le projet. Scooter Braun et Scott Borchetta, puissants propriétaires des masters – les enregistrements orignaux – veulent la contrôler en l’empêchant de les utiliser. Dans les faits, cela l’obligerait à les réenregistrer. Face à eux, elle a pris ses fans à témoin et de très bons avocats.
Se frotter à Taylor Swift, c’est s’attaquer à une artiste en position de force qui a pu se montrer vulnérable par le passé. En 2009, Kanye West l’humiliait publiquement, en direct, pendant la remise des MTV Video Music Awards. Alors qu’elle recevait son prix, il lui arracha le micro des mains et déclara: «Taylor, je suis très heureux pour toi, je te laisserai finir après, mais Beyoncé a fait l’un des meilleurs clips vidéo de tous les temps!» Stupéfaite, la chanteuse se figea. L’incident fit réagir jusqu’à la Maison-Blanche. Obama aurait même qualifié le rappeur d’idiot.
Après une phase de réconciliation publique, Kanye le bipolaire mit en scène une Taylor Swift en cire, dans un lit, au milieu d’autres célébrités. Le clip intitulé Famous était une nouvelle charge contre elle, vulgaire et dégradante cette fois. «J’ai rendu cette chienne célèbre!» déclamait entre autres amabilités l’intrigant. Taylor Swift s’en émut sur les réseaux sociaux avant que Kim Kardashian, l’épouse du persifleur, n’insinue que l’oie blanche était en réalité consentante. La vidéo d’une conversation fragmentaire entre les protagonistes fut mise en ligne par le couple tout-puissant. Une sale guerre visant à la broyer médiatiquement venait de commencer. «Il a fait la même chose avec Drake (en rendant publique l’existence de son fils caché, ndlr), précise Taylor Swift à Rolling Stone. Il se rapproche de vous, gagne votre confiance pour vous faire exploser.»
Taylor Swift est alors une cible désignée. Devenue l’objet d’une avalanche de commentaires haineux et de préjugés de la part d’anonymes, elle décide de fermer ses réseaux sociaux, qu’elle qualifie de «chambre d’écho des sarcasmes». Pour sortir psychologiquement indemne de ce lynchage, elle a cloisonné sa vie réelle et sa vie professionnelle. Elle ripostera en musique avec l’album conceptuel Reputation, dans lequel elle apparaît vêtue de cuir noir dans la peau d’un personnage moins candide.
N’empêche que cet univers impitoyable du showbiz 2.0, sorte de jeux du cirque – tu triomphes ou tu meurs –, ce n’est pas ce à quoi se destinait Taylor Alison Swift. A 12 ans, la jolie poupée se rêvait en nouvelle Shania Twain. Elle deviendra une princesse country en 2006, à 17 ans, dès son premier disque. Depuis son virage vers la pop, elle a consolidé sa domination. Le magazine américain People l’a désignée personnalité de l’année 2019 et, avec 29 trophées, elle efface désormais le record du nombre de récompenses, obtenu aux American Music Awards par Michael Jackson.
Tout ça en treize ans de carrière, à 30 ans, depuis le 13 décembre dernier. Treize est son chiffre fétiche. Mais, elle le sait, la chance ne suffit pas. Désormais Taylor sait qu’il lui faudra en plus de son talent et de son maquillage un double blindage. En rouvrant son Instagram, elle a veillé à faire bloquer les commentaires. «Le matin en buvant mon café, je ne veux pas lire: «Va brûler en enfer…» dit-elle. Et d’ajouter: «J’étais comme un golden retriever marchant vers tout le monde, en remuant la queue. Maintenant, je suppose que je dois être un peu plus renard.» Jean de La Fontaine en aurait fait une fable. La méfiance, disait-il, est mère de la sûreté.