«Mon tout premier concert en festival remonte à l’été 2018. C’était à Solidays, le samedi 23 juin. Je me souviens qu’un van m’a conduite jusqu’à la pelouse de l’hippodrome ParisLongchamp, qui allait rassembler 213 000 spectateurs en trois jours. Là, je ne l’oublierai jamais, j’ai été stupéfaite. Je ne m’attendais pas à quelque chose d’aussi grand. J’ai eu la sensation de m’engouffrer dans une fête foraine géante, les enceintes hurlaient, c’était fou et géant! J’ai commencé à ressentir un trac décuplé. Sur le moment, je me suis dit: «Mais qu’est-ce que je fais là?» Je me faisais un film. J’ai même imaginé que personne ne viendrait m’écouter. Les organisateurs m’avaient programmée sous le chapiteau et il était blindé de monde. J’entendais la clameur. C’était comme une arène, un ring de boxe. Et moi, je tremblais…
J’ai eu froid, tellement froid, alors qu’il faisait 30°C. A cause du stress, j’étais en état d’hypothermie. C’est idiot, je sais que je devrais me sentir protégée, parce que, en plus, je porte une combi colorée avec des manches et un col, inspirée des tuniques des films de karaté, les Bruce Lee que regardait mon père. Malgré cet habit d’invincibilité, j’étais glacée. Comme un chihuahua dans la neige. Quand j’ai la trouille, je ne contrôle plus mes émotions. Et je me suis assoupie une demi-heure. C’est ma façon de calmer mon trop-plein d’énergie, d’apaiser mes craintes. Ensuite, je me suis échauffée. J’ai fait des kicks, ces coups de pied circulaires. J’aurais tout aussi bien pu aller me cacher dans un trou de souris, tiraillée entre la peur et l’envie. Tiens, il y a deux ans, au Zénith, en première partie de Matthieu Chedid, mon cœur s’est emballé si fort que j’ai fait une crise de tachycardie.
A Solidays, en sortant de ma loge, je ne voyais pas au-delà de la barrière de sécurité. Pour la première fois de ma vie, des paires d’yeux me fixaient, comme si elles ne formaient qu’une seule personne. Et tout s’est enchaîné à une vitesse folle. Ma performance est musicale et visuelle. Je me suis dit: «Je dois séduire chacun, aller les chercher individuellement.» Le public, dans la fraction de seconde, me l’a rendu à la puissance mille. Une heure de concert, c’est une heure de transe. Je chante et je danse, toute seule. Si nous étions plusieurs, aurais-je moins peur? Je n’ai jamais été douée pour les travaux de groupe. Ma formation de danseuse m’a pourtant appris à exécuter des mouvements alignés, mais j’ai un tempérament de soliste. Je suis une individualiste, une kamikaze, tellement exigeante que, à chaque faux pas, je me dis que je ne mérite pas les applaudissements. Je travaille sans relâche, j’essaie d’arriver à un état de perfection qui me permettrait, enfin, alors que je doute en permanence, de me libérer totalement.
A la fin, j’avais les jambes en coton. Il m’a fallu quelques heures avant de faire redescendre l’adrénaline. On a filé jusqu’à la prochaine ville. Je n’ai presque pas le temps d’apprécier ce qui m’arrive. Je me souviens du temps où, derrière le comptoir d’un bar, j’écrivais les paroles de mes premières chansons. En y songeant, au moment où je vous parle, je suis émue. Malgré la peur viscérale qui m’étreint, soir après soir, et cette nuit-là tout particulièrement, c’est cette vie que je désirais. Et quoi qu’il en coûte, je ne l’échangerais pour rien au monde...»
Le dernier album de Suzane
«L’expression «toï, toï», titre de mon premier album, sorti en 2020, et de sa nouvelle édition, enrichie de cinq titres, est utilisée comme porte-bonheur en Allemagne et en Suisse alémanique. On me l’a soufflée à l’oreille lorsque je suis montée sur scène la première fois. Depuis, c’est mon grigri.»
>> Suzane a été privée de Paléo en 2020 à cause de la pandémie. Et 2021? «J’attends la confirmation. J’y crois!» dit-elle.