Nous sommes le dimanche 8 décembre 2019. Il est 20 heures à Helsinki, capitale de la Finlande. Le parlement monocaméral de ce relativement grand pays (dont la superficie fait environ huit fois celle de la Suisse) et à la petite population (un peu plus de 5 millions d’habitants) vient d’élire à sa tête le plus jeune chef d’Etat en exercice. Oh, et attendez. C’est une femme.
Le visage de Sanna Marin, 34 ans à l'époque, tout sourire et bouquet de fleurs à la main après son élection, fait le tour du monde. Les Américains se réveillent à leur tour, décalage horaire oblige, et découvrent que non, la Finlande n’est pas un lac du nord de la Norvège mais bien l’un des pays les plus égalitaires du monde. Et comme pour le prouver encore, le gouvernement Marin décide, au début du mois de février, d’instaurer un congé paternité de sept mois, soit égal au congé maternité en vigueur. A titre de comparaison, rappelons tout de même que nous, Helvètes, faisons pâle figure. Après moult consultations et la décision de nos parlements d’accorder dix jours de congé aux jeunes papas, nous serons finalement appelés aux urnes, car 55 120 d’entre nous ont estimé que dix jours, c’était quand même… beaucoup trop.
Bon, ne nous égarons pas et revenons à 2520 kilomètres au nord-est de Berne. A Helsinki, la petite Sanna Marin voit le jour le 16 novembre 1985, soit exactement quatre jours avant la sortie du premier système d’exploitation de Microsoft (le fameux Windows 1.0). Cette année-là, la monarque britannique Elisabeth II entre dans sa 60e année et Paul Biya, président camerounais indétrônable, célèbre les trois premières années d’un (long) règne, toujours d’actualité.
«Ok boomers.» Vous l’avez donc compris, Sanna Marin est jeune. Mais dans un pays où les ministres de l’Education, des Finances et de l’Intérieur ont respectivement 32 et 34 ans et sont des femmes, elle ne fait finalement pas figure d’exception. Pourtant, ses défenseurs continuent de marteler à qui veut bien l’entendre que «c’est un choix logique et qu’elle ne sort pas de nulle part». Parce que si les (rares) femmes cheffes d’Etat doivent souvent justifier leur position, il apparaîtrait que les (ultra-rares) jeunes femmes cheffes d’Etat doivent doublement le faire. Et ça n’a pas raté. Mart Helme, ministre de l’Intérieur estonien et leader du parti d’extrême droit Erke, s’est fendu d’un tweet à l’élection avant de rencontrer sa voisine finlandaise: «Une caissière est devenue première ministre et quelques militantes de rue sans éducation sont aussi devenues membres du gouvernement…»
Oui, Sanna Marin a été caissière. Elle a aussi été boulangère, ouvrière dans une entreprise d’emballage et a vendu des journaux. «Pour payer mes études, explique la première ministre sur son blog. Je n’ai jamais osé demander de prêt étudiant de peur de ne jamais pouvoir le rembourser.» Et lorsqu’un journal local accuse les politiciens finlandais d’être des «animaux politiques sans expérience», la jeune cheffe d’Etat réagit et raconte une enfance compliquée au sein d’une famille précaire.
Son premier anniversaire, elle le fête dans un foyer pour femmes battues, sa mère y ayant trouvé refuge pour échapper à son mari, alcoolique. Elles déménagent ensuite à Pirkkala, banlieue de la deuxième plus grande agglomération du pays, Tempere. «Comme beaucoup d’autres Finlandais, ma famille est pleine d’histoires tristes», ajoute-t-elle. Autre fait marquant, elle ne connaîtra jamais sa famille maternelle: sa mère a passé son enfance dans un orphelinat. «Ma famille était dans le besoin. Enfant, je n’ai pas connu d’abondance matérielle, mais l’abondance de l’amour.»
Car, alors qu’elle n’est qu’une enfant, sa mère tombe amoureuse d’une femme. Le couple arc-en-ciel élèvera dorénavant ensemble une petite fille qui rencontre quelques difficultés à l’école. «Je faisais mes devoirs paresseusement et ma réussite scolaire était médiocre. Après l’école, nous passions notre temps au centre paroissial de Pirkkala à boire des cafés et à jouer au billard, se souvient la première ministre. Je ne suis pas croyante aujourd’hui mais, je reconnais l’importance du travail des églises.»
Puis Sanna Marin entre à l’Université de Tempere. Une première dans la famille. Elle y étudiera les sciences administratives. En 2006, elle a 20 ans et rejoint le mouvement de jeunesse social-démocrate. La politique, c’est aussi une première dans une famille qui n’en a pas l’habitude. «Pendant longtemps, la politique m’a paru étrangère, réservée à une autre espèce plus "grande". Même si le fait de voter a toujours été important pour moi, ma famille n’était pas politisée.»
Mais les choses s’enchaînent. Et Sanna Marin gravit les échelons quatre à quatre. Après avoir été élue au Conseil municipal de Tempere, elle en devient présidente, est élue à l’Eduskunta (le parlement finlandais) et devient vice-présidente de son parti. Tout ça en cinq ans. Chapeau. La Finlande découvre donc une nouvelle politicienne qui crève l’écran. En juin dernier, elle est choisie par Antti Rime, son prédécesseur à la tête du pays, pour diriger le ministère des Transports et des Communications. La suite est connue.
Sanna Marin fait partie de ces politiciens qui vivent avec leur temps. Les réseaux sociaux, Instagram? Elle maîtrise. Et n’hésite d’ailleurs pas à afficher son baby bump tout rond à quelques mois de son accouchement, ni quelques photos d’elle allaitant sa petite Emma, quelques mois plus tard. Fait anodin mais rarissime, la première ministre ne supprimera pas ces images de son profil après son élection à la tête du pays scandinave.
Sur ses photos personnelles, Sanna Marin prend aussi la pose avec Markus Räikkönen, son fiancé. Ancien joueur de football professionnel, il partage la vie de la première ministre depuis qu’ils ont 19 ans. Le mariage, lui, n’est pas encore à l’ordre du jour, carrière oblige. Et pourtant, il y a quelques mois, lors de la fête de l’indépendance, Sanna Marin portait cette longue robe blanche en satin et plaisantait: «Ma future robe de mariée!» On est écolo ou on ne l’est pas. Et savez-vous comment dit-on égalité en finnois? «Naisten ja miesten tasa-arvo.» Tout un programme.