On appelle et dans l’heure qui suit on est déjà accueilli dans les entrailles du stade de la Pontaise, cette arène historique dont les couloirs ont été repeints en rouge depuis que le FC Stade Lausanne Ouchy (SLO) y a pris la place du Lausanne-Sport, en 2020. Au bureau, un employé est pendu au téléphone. «Depuis ce matin, cela n’arrête pas d’appeler pour des billets. Là, j’ai toute une famille qui veut savoir comment faire. Je n’ai jamais vu cela.» C’est qu’on est à la veille d’un match de barrage de tous les suspenses. Le Stade Lausanne, fondé en 1901 puis fusionné avec le FC Ouchy en 2001, pourrait fêter une phénoménale première promotion en Super League sur les hauteurs des Plaines-du-Loup, lui qui a longtemps vécu au bord du Léman. Voici son directeur sportif. Souriant, affable, une pointe d’accent belge, Hiraç Yagan se réjouit de sentir cet engouement, «surtout depuis les deux derniers matchs». Il est celui qui, dans l’ombre, a façonné en quatre saisons ce qui pourrait devenir une des plus folles sensations de l’histoire du football suisse. Le SLO troisième club vaudois et quatrième romand en Super League la saison prochaine: pourquoi pas, après tout?
- Pour ce match contre Sion, le président sédunois Constantin dit que vous êtes les grands favoris…
- Hiraç Yagan: (Rires.) Il fait exprès. Ce sont eux l’équipe de Super League, eux le plus gros budget, eux qui ont les joueurs qui gagnent énormément et qui ont le plus de pression: si Sion tombe, ce sera plus de 10 millions de pertes.
- Mais une telle occasion ne reviendra peut-être plus jamais pour vous?
- On n’a pas de pression du tout. On a juste des joueurs qui ont faim et qui savent d’où ils viennent. Il y a une vraie mentalité ici, des footballeurs soudés qui ont envie d’écrire l’histoire.
- On vous présente comme l’architecte de l’équipe. Vous êtes d’accord?
- Cela ne me dérange pas. Le club est surtout à l’image du président (Vartan Sirmakes, horloger de luxe multimillionnaire, ndlr). Il est d’origine arménienne, comme moi, c’est un ami de mon père. Tout ce que je fais, je le lui rapporte ou lui en parle d’abord. Là, je l’ai eu trois fois au téléphone ce matin. Ce club est bien structuré et composé de personnes qui ne calculent pas leur temps, tels le responsable administratif, Karim, ou la responsable de la communication, Corinne. Et le vice-président, Serge Duperret, j’espère avoir autant d’énergie à son âge…
- Votre réussite, c’est un recrutement incroyable. Comment faites-vous?
- Sortir autant de joueurs en quatre ans, c’est énorme. Quand vous avez un peu moins de moyens que les autres clubs, vous êtes obligé de trouver des solutions, d’être systématiquement dans la recherche. Nous prenons beaucoup de soin à définir les profils dont nous avons besoin. Et puis je vous le redis: les joueurs qui arrivent ici ont faim. Ils sortent souvent de situations pas faciles, où on n’avait pas confiance en eux. Ils ont envie de revanche. Alban Ajdini, Servette ne souhaitait pas le conserver. Teddy Okou avait été exclu de Boulogne. Dany Da Silva n’avait pas eu sa chance à Lausanne. Ils nous rendent la monnaie de notre pièce. Cette mentalité, on la sent en parlant avec eux. Et en analysant les matchs, les efforts fournis.
- Qu’est-ce qui changerait pour vous en Super League?
- Beaucoup plus de demandes, de sécurité durant les matchs. La télévision, les dispositions pour la VAR.
- Cela vous inquiète?
- Non. On va faire des erreurs et on va apprendre. Ce serait une année de transition, comme quand on est arrivés en Challenge League.
- Pour les Vaudois, le Stade Lausanne, c’est Vidy, le bord du lac. Comment entretenir une identité?
- Stade Lausanne, c’est le stade Samaranch, à Vidy. Or il n’est pas aux normes. Mais Lausanne est une ville de sport, la cité olympique! Avec la présence du CIO, elle se doit d’avoir un beau stade olympique, et pas seulement pour Athletissima. C’est une décision politique, car l’argent existe. Mon rêve, c’est d’avoir un stade où le CIO participe, comme l’UEFA à Nyon.
- Richard Dürr, vous connaissez?
- Bien sûr. Les anciens du Stade comptent beaucoup pour nous. On essaie d’impliquer les présidents d’honneur, MM. Berney, Rochat, Prahin. Ils ont des connaissances que nous n’avons pas. Ce club, ce sont aussi 850 jeunes et 37 nationalités différentes, avec l’immense travail d’intégration et d’éducation que cela représente.
- La première équipe mélange aussi les nationalités. Comment trouver une osmose?
- Nous avons eu des soucis les deux premières années, avec des joueurs au comportement inacceptable. Depuis, nous faisons très attention. Nous prenons beaucoup d’informations, pour ne pas répéter les mêmes erreurs.
- C’est le cas pour ce groupe?
- Il est top. Tout fonctionne bien entre Romands, Français, Suisses alémaniques, étrangers.
- Vous aimez Lausanne?
- La ville? J’adore. Je suis né à Bruxelles, un lieu plutôt fermé et bourgeois, puis je suis parti jouer au Standard Liège pendant quatre saisons. Tout y était plus ouvert, plus chaleureux. Je retrouve cette ambiance à Lausanne. Des gens proches les uns des autres, qui aiment boire un verre et partager.
- Trois clubs vaudois en Super League, ne serait-ce pas trop?
- Il y a trois clubs à Zurich, pourquoi pas dans le canton de Vaud? Après, tout le monde doit rester à sa place. Pour moi, le Lausanne-Sport se doit d’évoluer en Conference League, en Europa League. C’est ce qu’on leur souhaite. Dès le départ, on leur a dit qu’on aimerait travailler main dans la main. Nous avons eu plusieurs transferts avec eux, Labeau, Amdouni, nous nous entendons bien.
- Le plus beau coup?
- Zeki Amdouni, aujourd’hui à Bâle et en équipe nationale. Il était d’ailleurs présent au dernier match, il est reconnaissant. Lui, je l’ai repéré quand il était à Carouge, en quatrième division. Je l’ai vu quatre fois, alors que j’étais encore joueur à Nyon. Je l’ai appelé, nous avons signé à minuit et demi avec le président et son père, dans une brasserie de Plainpalais. Magique.
>> Le barrage entre SLO et Sion a lieu le 3 juin à Sion et le 6 juin à Lausanne.