«Waouh! Je me suis pris pour un commandant de bord russe à la manœuvre d’une fusée Soyouz. Me retrouver sur les sièges qu’occupent habituellement les cosmonautes, vous vous rendez compte? Non seulement c’est un grand honneur, mais c’est surtout une explosion d’émotions, impossibles à décrire. Il me faudra du temps pour réaliser. Pfff! Si seulement je pouvais partir, là, maintenant, tout de suite!» Accroché au bras d’Irina, son épouse russe, Boris Otter tangue de bonheur en traversant le long hall où sont installés les simulateurs des capsules Soyouz.
Une ou deux minutes de bonheur
Vêtu de la combinaison Sokol portée par le commandant Alexandre Skvortsov lors d’une mission de six mois, en 2010, ce fondu d’aviation, qui truste presque tous les brevets, peine à remettre les pieds sur terre. Et pour cause, il vient de passer quarante-cinq minutes dans le simulateur principal du célèbre vaisseau, construit à l’échelle 1:1 et équipé à l’identique par rapport à l’original. Trois quarts d’heure en immersion dans l’objet de son désir, à suivre, tel un enfant écoutant un conte de fées, l’instruction de l’ingénieur en chef du module.
Une étape de plus vers son rêve fou de partir, bientôt, un jour peut-être, dans les étoiles. Certes pas aussi longtemps que Claude Nicollier, le seul Helvète de l’histoire à avoir tourné autour de notre planète. Et pas qu’un peu. Quarante-deux jours, douze heures et six minutes pour être précis, quatre missions cumulées. Lui se contenterait d’une ou deux minutes au-delà de la ligne de Karman, à 100 km d’altitude, qui délimite la frontière entre l’atmosphère terrestre et l’espace. Un petit tour qui a un prix, cependant: 250'000 francs! «Pour la grande balade, celle qui vous emmène dans la Station spatiale internationale (ISS), comptez entre 20 et 35 millions», évalue, tout guilleret, le premier-lieutenant auto de l’armée suisse. «A ce jour, seuls sept touristes fortunés (six hommes et une femme) se le sont payé», soupire-t-il avec une pointe de jalousie.
De Bykov à Soyouz
Celui qui fut aussi arbitre de hockey en LNA dans les années 1990 n’a, hélas pour lui, pas le compte en banque aussi bien garni. «Mais grâce au hockey, j’ai pu financer mes licences de pilote d’avion et d’hélicoptère. Comme arbitre principal, je touchais 500 francs par match et 800 francs pour une rencontre de play-off. J’ai la fierté d’avoir arbitré Slava Bykov et son fils Andreï, quelques années plus tard», confie-t-il, comme pour confirmer que son destin était arrimé à celui de la Russie.
Tour à tour employé de commerce, puis sapeur-pompier professionnel, ce père de trois enfants a en fait la tête dans les nuages depuis son adolescence. «C’est un prof d’aéronautique, ancien pilote de chasse, qui m’a donné le virus, s’enflamme-t-il. A chacun de ses cours, il organisait un concours donnant droit au gagnant de piloter son petit avion en double commande. J’ai remporté le premier challenge et, depuis, ma passion n’a cessé d’aller crescendo.» Au point de s’endetter pour passer son brevet de pilote de ligne chez Crossair, en 2001. «Malheureusement, les attentats du 11 septembre 2001, puis le crash d’un Jumbolino de la compagnie et enfin le grounding de Swissair, pour couronner le tout, ont brisé net mes espoirs de devenir professionnel. Après cet enchaînement de malheurs, les compagnies n’engageaient plus de jeunes pilotes», regrette, aujourd’hui encore, le citoyen de Grand-Lancy (GE).
Coup de foudre et obsession
Autant dire que la passion de l’espace ne l’a jamais quitté. Après avoir fait le deuil de sa vie d’homme volant, Boris Otter, qui possède même le brevet de pilote d’hydravion, se recycle chez Skyguide, en tant que pilote sur simulateur. Une profession qu’il exerce encore aujourd’hui.
Puis, en 2013, c’est le déclic. Grâce à sa femme, il visite le site de Star City (la Cité des étoiles en français), sise à 70 kilomètres au nord-est de Moscou. C’est le coup de foudre. Devenir le deuxième Suisse à aller dans l’espace devient une véritable obsession.
En 2016, il retourne à Chtchiolkovo, la ville où s’étend le fameux site de formation des cosmonautes russes. Pour s’entraîner cette fois. Inauguré en 1960, l’antique centre spatial a vu défiler des dizaines de cosmonautes, russes et étrangers (selon que vous vous envolez de Russie, des Etats-Unis, d’Europe ou de Chine, vous êtes respectivement qualifiés de cosmonaute, d’astronaute, de spationaute ou de taïkonaute).
Cinq minutes d'apesanteur
Lors de ce premier contact, Boris réalise notamment un vol en apesanteur de près de cinq minutes, par modules de vingt-huit secondes chacun. Coût de l’opération: 4000 euros. «Un truc de fou que je ne regretterai jamais! On a l’impression de flotter dans la mer Morte», détaille-t-il avec fougue.
Deux ans d’économies plus tard, rebelote. «Il y a tant de choses à voir, à faire, à découvrir ici», justifie-t-il. Enfin, histoire de fêter dignement son 50e anniversaire, il s’offre un troisième et peut-être dernier «tour de manège» avant la grande envolée qui le fait fantasmer. Le plus beau des trois peut-être, hésite-t-il.
Ce 17 avril, il enchaîne au pas de charge une séance d’essayage de la combinaison Sokol, celle que les cosmonautes enfilent pour le décollage et l’atterrissage; une démonstration du scaphandre Orlan, la combinaison utilisée pour les sorties dans l’espace; la visite du hall des simulateurs Soyouz avec l’instruction; une visite du simulateur Mir, la station spatiale internationale détruite en 2009, et un petit tour – à l’arrêt – à l’intérieur de la centrifugeuse, cette chaise à rotation tournant à 30 tours/minute, cauchemar des candidats à l’espace. «A 1600 euros les trois minutes, ça me faisait quand même cher le tour de carrousel», s’amuse notre homme. Le tout est précédé d’une autre visite, la plus redoutée de toutes, la visite médicale. «Quelques unités de tension de trop peuvent ruiner les rêves d’un apprenti cosmonaute», s’offusque Boris, qui craint déjà pour son hypothétique voyage programmé, si tout va bien, dans les dix-huit mois à venir.
Dans l’espace pour moins de 100 francs
Encore faut-il que des compagnies comme Virgin Galactic, Blue Origin ou encore SpaceX, la société fondée par Elon Musk, le patron de Tesla, toutes engagées dans une course effrénée à l’espace, organisent des vols commerciaux. Bien que le flou subsiste sur la rumeur d’explosion au décollage d’une capsule SpaceX, il y a une dizaine de jours, le Genevois est convaincu que 2019 sera l’année du tourisme spatial.
Histoire de battre le fer pendant qu’il est chaud, le 7 avril dernier, il a donc officiellement lancé une campagne planétaire de crowdfunding pour financer son rêve. Son idée: vendre de la nourriture spatiale importée de Russie et récolter des dons avec, à la clé, un concours offrant la chance à cinq personnes de l’accompagner dans les cieux. Objectif: attirer 20'000 personnes versant au moins 80 francs. «Un ticket pour l’espace à moins de 100 balles, c’est énorme, non?» questionne fébrilement le futur cosmonaute, déterminé comme jamais. «En plus de pouvoir admirer la Terre en flottant en apesanteur, nous aurons droit aux ailes d’astronaute commercial, attestant que nous sommes allés là-haut.» Boris Otter peut toujours rêver. Sa Lune ne lui est jamais apparue si proche…
>> Infos: www.swiss-space-tourism.ch et www.3i3s.com