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«La Suisse ne doit pas produire que du bio»

Lorsqu’il est devenu patron de l’Economie, le conseiller fédéral reconnaît avoir été regardé avec méfiance, en raison de ses origines paysannes. A la veille de plusieurs votations écologiques, le Vaudois plaide pour une voie alternative à l’interdiction pure et dure des pesticides.

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Kurt Reichenbach

Habitué du restaurant Zimmermania, dans la vieille ville de Berne, Guy Parmelin décline poliment le menu qu’on lui tend. «Je vous recommande le saucisson vaudois», nous glisse le conseiller fédéral, avant de commander pour lui une soupe à l’oignon et une escalope panée. «Faite avec de la viande suisse», précise-t-il. Pour accompagner le repas, le ministre de l’Economie commande un chasselas d’Yvorne, puis un pinot noir de Saint-Saphorin. Ça tombe bien, nous voulions justement parler des bonnes choses de la vie avec lui.

Monsieur le conseiller fédéral, vous buvez et mangez des produits suisses. C’est une habitude, ou c’est un message que vous voulez faire passer à nos lecteurs?
Qu’est-ce que vous allez chercher? Vous voyez bien que je mange un Wiener Schnitzel, une spécialité autrichienne (il rit). Non, soyons sérieux: cela me tient sincèrement à cœur. En tant que ministre de l’Agriculture, mais aussi comme consommateur. Lorsque c’est possible, nous devrions tous nous tourner en priorité vers les produits régionaux. Cela fait sens sur le plan écologique et cela soutient nos paysans. Je trouve navrant de constater que de nombreux restaurants à Zurich et dans l’est du pays n’ont pas de vins suisses à leur carte.

Vous pouvez nous affirmer que si nous nous glissons dans votre cave à Bursins, nous n’allons pas tomber sur des vins étrangers?
Je n’affirme rien du tout! Lorsque j’étais plus jeune, j’ai acheté des vins de Bordeaux parce que je les apprécie. Mais la spéculation est passée par là et je ne m’y retrouve plus. Comme la majorité des consommateurs, j’attache de l’importance au rapport qualité-prix. Désormais, la Suisse produit tellement de belles choses qui répondent à ce critère que je n’achète que très rarement du vin étranger.

Nous voterons cette année sur l’interdiction des pesticides de synthèse. On aurait attendu de quelqu’un comme vous, proche de la nature, qu’il milite pour cette solution.
La question n’est pas d’être proche de la nature. Je suis contre, car il n’y aurait alors plus que du vin bio. J’apprécie sa qualité, là n’est pas la question, mais son prix est relativement élevé et cela pousserait les Suisses à faire du tourisme d’achat, ce que nous devons absolument éviter pour ne pas fragiliser au final l’ensemble de la branche.

Donc tout va bien, on continue avec les pesticides?
Je n’ai pas dit cela. Nous devons bien sûr tendre vers un usage minimum des pesticides.

Mais alors comment?
En développant et privilégiant des cépages résistants aux maladies de la vigne. Cela permettra également de limiter l’usage du cuivre, un métal lourd dont je vous rappelle qu’il est utilisé dans la viticulture biologique. L’Agroscope de la Confédération est d’ailleurs un leader mondial dans le développement d’espèces résistantes. Nous devons encore développer la recherche dans ce domaine afin d’implanter au plus vite les espèces qui nous permettront de nous passer des produits de synthèse. Cette démarche est d’ailleurs valable pour l’ensemble de l’agriculture.

Et l’initiative sur l’eau potable?
L’initiative sur l’eau potable n’est pas non plus le bon chemin à prendre. En cas d’acceptation, les maraîchers suisses seront, par exemple, tentés de renoncer aux paiements directs qui ne représentent pas un gain substantiel, afin de pouvoir utiliser des pesticides. Grâce aux paiements directs, nous avons au contraire un contrôle sur le type de produits et la quantité utilisée pour la production. Il ne faut pas oublier qu’il n’est pas nécessaire de faire un usage massif des pesticides pour assurer sa production et que le consommateur exige de beaux fruits et légumes…

Vous venez pourtant d’une famille célèbre pour ses excellents vins biologiques. Et vous-même, en tant qu’agriculteur, avez fait l’effort de vous passer au maximum des pesticides.
C’est vrai, mais cela n’est pas possible dans toutes les régions, pour tous les types de produits. Et ce que je souhaite avant tout éviter, c’est que la Suisse ne produise au final que des produits agricoles chers, hors d’atteinte de ceux qui ont des moyens financiers limités.

2019 a été une année verte. L’UDC Parmelin n’a-t-il pas été gagné par la fièvre écologique?
C’est indéniable: la vague verte internationale a eu un impact sur le monde politique. Mais en ce qui me concerne, je n’ai pas attendu 2019 pour avoir une conscience écologique. Lorsque nous avons acheté notre maison en 1971, elle fonctionnait au mazout et était un gouffre à énergie. Nous avons, depuis, remplacé tous les vitrages, refait le toit et isolé les façades pour éviter les pertes d’énergie, remplacé la chaudière par un poêle à pellets et installé des panneaux photovoltaïques. J’ajoute que ma femme et moi faisons toutes nos courses à proximité, que je n’utilise que très peu ma voiture privée et ne mange de loin pas de la viande tous les jours. Donc j’attends de pied ferme celui qui voudrait me donner des leçons d’écologie pour voir s’il fait mieux que moi.

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«J’attends de pied ferme celui qui voudrait me donner des leçons d’écologie pour voir s’il fait mieux que moi» Kurt Reichenbach

Au Bade-Wurtemberg, en Bavière et en Autriche, l’accent est mis sur les installations photovoltaïques dans les espaces agricoles ouverts. Avec 4% de la superficie agricole suisse dédiée au solaire électrique, nous serions en mesure de produire du courant de manière indépendante sans nucléaire. Et les agriculteurs percevraient des revenus solaires selon le même principe que les cantons avec l’électricité hydraulique. Qu’en pensez-vous?
C’est une perspective très intéressante pour la Suisse, avec pourtant beaucoup de «mais». Il y a déjà les résistances liées à la protection du paysage. Néanmoins, cela vaut la peine d’étudier cette piste, c’est pourquoi j’irai à la Semaine verte à Berlin cette année et j’examinerai attentivement ces «systèmes d’espaces ouverts». Parce que ma devise pour 2020 est: «Osons poser un regard neuf sur ce qui paraît immuable.»

Nous avons l’impression qu’on ne vous croit pas capable d’une «nouvelle pensée» parce que vous êtes – excusez-nous, ce n’est pas notre opinion personnelle – «juste un paysan»?
Vous avez raison. J’ai trois défauts dans certains cercles: je suis agriculteur, Romand et je suis UDC.

Et comment gérez-vous cela?
Lorsque j’ai pris mes fonctions de ministre de l’Economie, j’ai immédiatement cherché le dialogue avec les représentants de l’économie suisse, les entreprises et les partenaires sociaux. Ce n’est qu’en soignant les contacts directs qu’on avance.

Et vous fait-on finalement confiance?
Je pense que lors du voyage au Japon et au Vietnam, j’ai montré aux milieux économiques suisses que je peux représenter et promouvoir leurs intérêts. Ma décision d’abolir les droits de douane industriels leur a également prouvé que je souhaitais résolument les aider à être concurrentiels en abaissant le niveau des prix.

Vous avez dû avaler une pilule amère avec le traité de libre-échange du Mercosur, qui contraint la Suisse à importer 3000 tonnes supplémentaires de viande de bœuf d’Amérique du Sud.
Non, ce n’est pas un problème. Tant que la Suisse importe volontairement et consomme beaucoup plus de viande de l’étranger que ce que nous imposent les normes de l’OMC, la marge de manœuvre reste confortable, même si nous mangerons moins de viande à l’avenir. Je vous rappelle qu’à l’heure actuelle, l’OMC nous impose d’importer 23 000 tonnes de viande de bœuf, alors que nous en consommons chaque année 40 000 en Suisse, une demande à laquelle nos paysans ne pourraient pas répondre. De plus, ces pays tiennent à offrir la meilleure qualité de viande possible. Ce qui est important pour moi dans ce dossier, c’est que le libre-échange n’encourage pas des défrichements supplémentaires.

Et qu’en est-il de l’accord de libre-échange avec les Etats-Unis?
Nous menons encore des discussions exploratoires. J’espère pouvoir les amener rapidement à terme, peut-être à l’occasion du WEF de Davos.

Quels sont vos projets personnels pour 2020?
Je vais faire ma pause sans alcool de vingt jours en janvier-février. Cela me fait perdre environ 3 kilos! Mais d’une manière générale, nous voulons profiter davantage de la Suisse à l’avenir, notamment grâce à l’appartement que ma femme et moi avons acheté à Villars-sur-Ollon (VD).

Pour y skier?
J’ai 60 ans, donc je ne suis plus vraiment un skieur assidu. Cet hiver, je vais même m’en passer complètement pour ne pas prendre le risque d’aller au Forum de Davos en béquilles!


Par Werner de Schepper – Michel Jeanneret publié le 9 janvier 2020 - 08:34, modifié 18 janvier 2021 - 21:07