Un employé des CFF nettoie avec amour les sièges d’un wagon de première classe, un paysan bernois caresse sa vache sur fond de nature impeccable, tandis qu’une jeune danseuse de techno s’ébroue, éperdue, à l’Usine de Genève: la Suisse est là, à la fois multiple et nichée dans la série sans fin de ses clichés et de ses traditions, revisités de génération en génération.
Né en 1961, le photographe Didier Ruef regarde la Suisse depuis trente ans, avec un étonnement et un sens de la situation jamais taris. Auparavant, en bon Genevois tourné vers la France, il avoue qu’il connaissait à peine ce pays.
Il fallut qu’il passe plusieurs années aux Etats-Unis, dont six mois à les parcourir en autostop, pour que, revenant en Helvétie en 1987, il se mette à le scruter et à l’arpenter. Tout en menant une carrière d’une riche variété, avec l’être humain au cœur de ses préoccupations. Il a ainsi beaucoup montré les habitants de l’Afrique noire, notamment avec Médecins sans frontières. Son ouvrage le plus récent, Recycle, fait transparaître l’humanité derrière les déchets qu’elle produit, subit ou recycle.
Il y a deux ans, il a voulu clore le chapitre suisse. Le résultat, impressionnant, tient en 170 photos en noir et blanc, «une technique qui permet d’aller à l’essence de l’être», et autant de scénettes familières habilement observées, dans un ouvrage qui a des allures de somme, de trace visuelle vivante.
Lui-même le définit comme «un témoignage à la première personne pour les générations prochaines. Un recueil qui «parlera» encore au lecteur de 2030 ou 2050, en raison des partis pris dans sa manière de présenter un pays qui réussit à vivre en harmonie dans le respect de ses différences ethniques et culturelles.» Le déguster est presque un devoir citoyen.