L’arrogance? Rarement pendant une semaine ce vilain défaut n’a été autant évoqué, multiplié par le faramineux tourbillon d’émotions d’un match de football enflammé. En cause, la supposée arrogance «montgolfiéresque» française envers le petit voisin helvète, soulignée avec d’autant plus de délectation que les champions du monde ont fini par perdre. L’arrogance de l’ex-sélectionneur Raymond Domenech, statuant avant le match que «le ballon, les Suisses ne vont pas le voir. Je ne vois pas comment les Français peuvent perdre ce match, à moins que les Bleus restent coincés dans l’ascenseur avant de partir.» L’arrogance du journaliste vis-à-vis, décrétant que les Suisses seront «des ânes» s’ils décident de jouer un tant soit peu offensif contre les surhommes tricolores. L’arrogance de Didier Deschamps estropiant gaiement le nom de l’entraîneur d’en face, «Petrovic» pour «Petkovic». Etc.
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L’arrogance, c’est «le vice de celui qui croit que les autres ne sont rien», explique dans L’Obs le philosophe Michaël Foessel, qui en fait une marque de notre époque. «L’arrogant ne se tait jamais, il n’écoute pas, il est dans une folle justification de sa supériorité.» La Fontaine, qui a peu joué au foot, l’a sublimé avec son corbeau sûr de sa hauteur, qui pense que rien ne peut lui arriver.
Alors Suisse-France, démonstration de l’arrogance vaincue? Pas faux, malgré l’impression trompeuse donnée par la caisse de résonance que sont les télévisions à jet continu. Un homme nuance. L’attaquant français Guillaume Hoarau est en Suisse depuis sept ans, au FC Sion après avoir fait les beaux jours des Young Boys. Le système, il connaît. «Je n’écoute plus les médias français. Tous ces consultants sont obligés d’être too much pour faire le buzz.» Il désamorce en une tirade: «Dans chaque blague qu’on entend, il y a une part de vérité. Cette rivalité existe et existera toujours. On sait qu’il y a des sujets, comme les frontaliers, qui embêtent les uns et les autres. Cela dit, les Français de Suisse, par exemple, savent pourquoi ils sont là. Au fond d’eux, ils sont aussi contents. La Suisse est une terre d’accueil, un pays magnifique. J’ai eu plusieurs fois l’opportunité de retourner en France pour le foot et j’ai à chaque fois décliné. Là, j’ai envie de dire aux Suisses: «Lâchez-vous, c’est le moment ou jamais!» Mais de l’arrogance? «En tout cas pas chez les joueurs français. Plutôt de la suffisance à 3-1, quand ils ont cru que c’était bon pour eux.»
Ouf, ces gouttes d’arrogance ont été tempérées par des mots sympas, tout aussi nombreux. Ceux du journaliste star Didier Roustan: «Oui bravo aux Suisses. Au-delà de la performance ils dégageaient vraiment ce sentiment d’équipe.» Ceux de son collègue Yoann Riou: «Quand tu gagnes, c’est pour l’éternité. L’éternité, c’est aujourd’hui pour la Suisse.» Il y eut de l’humour gaulois pour adoucir les plaies, pour que le corbeau descende un instant de sa branche. Y remontera-t-il?