En quelques journaux télévisés seulement, le temps d’un été et d’un remplacement à l’antenne, elle a fait mouche et a surpris les téléspectateurs romands, charmés par son dynamisme, sa fraîcheur et son professionnalisme déjà aiguisé. Sans oublier son sens de l’interview pugnace marquant les esprits face à René Prêtre ou à Mgr Morerod par exemple, ne lâchant rien, sans se laisser impressionner par ces invités souvent bien plus âgés qu’elle.
On en parle comme d’un secret bien gardé, à l’heure du café ou de l’apéro, mais les réseaux sociaux s’enflamment aussi, séduits par cette jeune journaliste d’à peine 30 ans passant magnifiquement «dans le tube», comme on dit. Et réunissant cette alchimie souvent inexplicable, mélange de décontraction et de fluidité permettant d’entrer sans infraction, avec bienveillance, dans tous les foyers cathodiques, comme une personne proche à laquelle on s’attache très vite. «Elle a pleinement sa place au «19h30», où elle réussit le tour de force de rester elle-même malgré la pression», s’enthousiasme son collègue de bureau Gabriel de Weck, qui admire «ses qualités de journaliste tout-terrain, à l’aise autant comme correspondante que comme présentatrice», conjuguant «rigueur et compétence avec une rare décontraction».
Même unanimité chez sa cheffe d’édition, Annabelle Durand, qui ne cache pas son bonheur devant cette petite perle rare en devenir: «Elle est adorable, nature et très pro, et elle a une grande qualité aussi: elle en veut!» Olivier Kohler, un autre de ses collègues, à la rubrique internationale du téléjournal, confirme le sentiment général, louant sa «grande connaissance de la culture alémanique, une de ses grandes qualités», mais incarnant aussi «un nouveau storytelling dans sa manière de raconter, à l’image de son récent road movie, aux côtés de Théo Jeannet, une superbe immersion à vélo au cœur de la Suisse profonde. J’avais adoré.»
Au moment où la légende Darius Rochebin disparaît des écrans de la RTS, happé par l’excellence française à LCI (il a fait ses adieux dimanche soir au téléjournal), elle apparaît soudainement, l’air de rien, comme un recours possible, crédible et totalement inattendu, s’imposant sous les yeux de chacun au fil de ses présentations, presque comme une évidence. La Romandie a perdu sa légende télévisuelle, mais a-t-elle déjà trouvé le nouveau visage familier qui pourrait accompagner durablement les téléspectateurs?
>> Lire l'interview de Darius Rochebin après l'annonce de son départ
«Je suis très admirative du parcours de Darius, j’ai grandi avec lui à travers son image à la télévision. Et, par un incroyable hasard, c’est moi qui ai dû annoncer son départ aux téléspectateurs, c’était assez dingue, quand même, quand on y pense. Mais j’ai surtout le souvenir que c’était très stressant sur le moment d’annoncer une nouvelle pareille», dit-elle.
Confrontée à cette vacance accidentelle, pourrait-elle succéder du même coup au «chouchou des Romands» comme titulaire du poste, un week-end sur deux, en alternance avec une autre journaliste de talent, Jennifer Covo? Fanny Zürcher refuse de se projeter, comme elle se refuse à commenter.
Ce petit bout de femme énergique est et demeure pour l’instant la correspondante de la RTS pour la Suisse alémanique et le Tessin, où elle a désormais ses repères depuis bientôt trois ans. C’est d’ailleurs là, sur les bords de la Limmat, qu’on l’a retrouvée samedi pour la journée, d’abord au Café Wühre, où elle aime venir le matin prendre son café et lire les journaux, avant de nous emmener ensuite au Letten, au Chuchi am Wasser, écluser un Huusgemachter Icetee, un thé froid au citron bien désaltérant en cette journée de canicule. «J’adore Zurich, s’enthousiasme-t-elle, une grande ville à dimension humaine. Quand on m’a nommée ici, je l’ai d’abord pris un peu comme un Erasmus, un échange culturel. Mais moi qui croyais plutôt connaître la Suisse alémanique, je me suis vite rendu compte que je ne connaissais rien. Cela a été une vraie bonne découverte, car j’ai vraiment l’impression de mieux avoir compris, depuis, la Suisse dans toute sa diversité.»
Née à Bienne le 23 février 1990, ville bilingue à la frontière des langues, elle revendique fièrement d’être «un concentré de petites Suisses», et reste «très attachée à [sa] ville de Bienne, une cité à la vie très alternative, partagée entre la rigueur alémanique et la fantaisie romande». Passer la barrière de röstis était donc loin d’être une punition, mais bien une belle occasion pour Fanny, fille d’un enseignant de l’école primaire de cette ville et d’une logopédiste originaire de Moutier, maniant parfaitement l’allemand, l’anglais et l’espagnol, «et un peu d’itagnol», s’amuse-t-elle en qualifiant sa connaissance fragmentaire de la langue de Dante, encore trop mâtinée de celle de Cervantès.
Et ce n’est dans le fond qu’un défi de plus qui s’ajoute à un parcours étonnant et déjà très riche, commencé il y a cinq ans à Léman Bleu, à Genève, puis à TeleBielingue, à Bienne, et enfin à la RTS, où elle fait ses premières armes comme recherchiste pour A bon entendeur, puis comme journaliste pour Mise au point, TTC, Nouvo et dans les bureaux régionaux. Avant de passer un casting pour la présentation du téléjournal, un peu par hasard: «J’avais fait un sujet un peu incongru sur la tarte au vin cuit, ça ne s’invente pas, et mes chefs avaient apprécié mon intervention. Le vin cuit mène à tout: il m’a catapultée au téléjournal», rigole-t-elle de bon cœur.
Mais avant tout cela, il y a eu bien sûr des études, une maturité bilingue à Bienne, un bachelor puis un master en lettres et sciences humaines à l’Université de Neuchâtel, le tout entrecoupé par de multiples petits métiers temporaires, comme responsable de l’accueil des spectateurs au Théâtre français de Bienne, enseignante en Angleterre ou employée dans une ONG à Madagascar. Et enfin, encore, un échange académique avec l’Université de Valence, en Espagne: «C’est là que j’ai vraiment eu l’envie de devenir journaliste, confie-t-elle, alors que je pensais plutôt me diriger vers l’enseignement.» Pour son mémoire, elle s’immerge durant deux mois dans le Cabanyal, un quartier de pêcheurs menacé par la destruction et la spéculation immobilière, pour y raconter la lutte de ses habitants pour sauver leur patrimoine et leur identité. Un premier déclic: «J’ai réalisé alors plusieurs interviews, j’ai dû aller chercher ce qu’ils avaient au fond d’eux-mêmes. Ça m’a donné le goût du métier, c’est certain...»
En dehors du journalisme, devenu sa passion, Fanny Zürcher aime le théâtre depuis toujours, discipline dans laquelle elle s’est aussi beaucoup investie et où elle a appris «plein de trucs tellement utiles aujourd’hui dans la présentation du téléjournal». Mais elle affectionne également se déplacer au quotidien à vélo, «mon ADN biennois», dit-elle, faire du yoga, nager dans la Limmat, et voir des films d’Almodovar. Elle rêverait d’interviewer un jour Michelle Obama, Alexandria Ocasio-Cortez, la plus jeune candidate jamais élue au Congrès américain qui dénonce sans relâche les violences faites aux femmes, ou encore Jacinda Ardern, la première ministre néo-zélandaise. Elle aime bien sûr aussi la lecture – «mais hélas pas assez, par manque de temps» –, dévorant notamment les livres de l’écrivain finlandais Arto Paasilinna, auteur du fameux «Petits suicides entre amis».
Terriblement de son époque, Fanny prend l’existence et sa vie comme elles vont, au jour le jour, le sourire aux lèvres, sans se prendre la tête. Comment se voit-elle dans dix ou vingt ans? «Je ne sais pas, peut-être encore à la télévision. Ou ailleurs. Je n’ai pas tellement envie de savoir. Je ne suis qu’au début de mon chemin, on verra bien où tout cela me mène...»