Depuis cinq ans, le chanteur belgo-rwandais de 35 ans n’a pas cessé de travailler, mais il l’a fait dans l’ombre, en passant de l’hyper-célébrité à une sorte de faux anonymat. Il n’a pas pour autant rompu le fil de sa créativité: il s’est mis au service du label Mosaert, l’anagramme de Stromae et de Maestro, qu’il a créé en 2009 avec son frère cadet, le producteur Luc Junior Tam, et a travaillé avec d’autres artistes. Il s’est aussi marié et a eu un fils, aujourd’hui âgé de 2 ans, dont le prénom est un secret bien gardé.
Sa silhouette dégingandée, qu’il promenait de concert en concert, de la Belgique à la Suisse, des Etats-Unis à l’Afrique, et qui aimantait des dizaines de milliers de fans au passage, manque dans le paysage musical. Ses fans le réclament. Il revient cet automne, autrement: pour parler de la marque de mode qu’il a créée avec sa femme, la styliste Coralie Barbier. Nous lui avons parlé toute fin septembre au téléphone.
La musique fait toujours partie de sa vie, mais elle ne tourne plus uniquement autour de lui, et vice versa. Stromae s’est mis dans les marges. En mars 2018, il a chanté en duo avec son ami Orelsan sur la chanson «La pluie» lors du concert de ce dernier. Avec son frère, il a réalisé le clip de la chanson «Hostage», de Billie Eilish, qui totalise presque 100 millions de vues sur YouTube. En novembre 2019, le groupe britannique Coldplay a publié une vidéo tournée en Jordanie, où l’on voyait le chanteur belge partager la scène avec Chris Martin sur la chanson Arabesque de l’album «Everyday Life». Mais quant à savoir quand on reverra Stromae seul sur une scène…
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La musique, Paul Van Haver, alias Stromae, en fait depuis qu’il a 12 ans: du piano, de la musique électronique. Elevé par sa mère, son père ayant été assassiné pendant le génocide rwandais, Paul est un enfant timide qui cache sa grande taille et sa minceur sous des vêtements baggys. C’est Coralie Barbier qui l’aidera plus tard à affiner son look de dandy foutraque. Ses nœuds papillons portés avec des polos aux couleurs flashy, ses bermudas avec chaussettes apparentes sont devenus aussi reconnaissables que le catogan et les cols blancs de Karl Lagerfeld.
Le chanteur se sent plus Belge que Rwandais, mais parce qu’il connaît mal ce pays. «L’Afrique était présente à la maison quand j’étais jeune, mais c’était une Afrique vue à travers le prisme européen, nous a-t-il confié lors d’une interview à Paris. On est de là où l’on a grandi. Le fait d’aller là-bas m’a permis de me rendre compte que je n’avais pas tort quand je disais que je suis 30% Africain et 70% Belge.»
Stromae s’est fait remarquer en 2005 avec son groupe Suspicion et la chanson «Faut qu’t’arrêtes le rap», puis il s’est lancé dans une carrière solo en 2007. Le titre «Alors on danse» est sorti en 2010, mais c’est son deuxième album, «Racine carrée», lancé en 2013, qui fut le facteur déclenchant d’une notoriété exponentielle. Le disque s’est vendu à plus de 2,5 millions d’exemplaires. Sa manière moderne de faire de la chanson française, en mélangeant les genres, a plu au monde entier. Mais après sa dernière tournée mondiale, en 2015, il a mis son micro en mode silence.
La dernière étape de cette tournée était l’Afrique. C’est là-bas que tout a basculé. «Après 150 dates, j’étais à plat. Je n’ai pas supporté mon traitement anti-paludisme, ça m’a filé des hallucinations. J’ai cru que j’avais basculé dans la folie, on m’a diagnostiqué une décompensation psychique. J’aurais pu faire une connerie, je n’étais plus moi-même», confiait-il à Libération. Le chanteur fut contraint de faire une pause.
Outre la maladie, l’hyper-célébrité aussi commençait à lui peser. Ses fans l’avaient quasiment «chosifié». Le jour où il a pris conscience que c’était trop, «c’était pendant une séance de dédicace à la Fnac à Lille. Il y avait énormément de monde. Quand je suis parti, les gens ont encerclé ma voiture. Ils étaient déchaînés, ils frappaient dessus, comme si c’était Michael Jackson. J’avais comme cette impression que je sortais de mon corps.»
Le mariage et la paternité l’ont aidé à s’apaiser, à définir ses priorités, et à prendre du poids aussi, accessoirement. Paul et Coralie se sont rencontrés en 2012 et se sont dit oui en décembre 2015. La styliste créait ses tenues de scène et pendant la promotion de l’album «Racine carrée», ils ont commencé à réfléchir à une collection de vêtements.
La première «capsule», en édition limitée, est sortie en 2014. La sixième vient d’être lancée le 25 septembre. Elle est unisexe, écoresponsable et fabriquée en Europe à base de coton 100% bio et de matières recyclées. Elle coche toutes les cases en cette période où l’on ne supporte plus le gâchis (la mode est la deuxième industrie la plus polluante du monde). Pourquoi faire des vêtements? «Déjà parce que, avec Coralie, on s’est dit que c’était dommage de ne les créer que pour moi. C’est un luxe que je pouvais m’offrir, mais c’était un peu égoïste. Ensuite, parce qu’il y a eu de la demande», explique Stromae.
Leur collection leur ressemble et les mannequins qui la portent pour la campagne de lancement sont à leur image: un mélange de modèles, professionnels ou pas, de différentes ethnies et tailles. «Notre toute première photo représentait une famille à moitié blanche et à moitié noire. C’est sans doute dû à nos origines. Nous ne cherchons pas à surfer sur l’actualité: nous l’avons toujours fait», relève Stromae. Et tandis qu’il parle, on entend son fils jouer tout près de lui.
Il le protège autant qu’il peut. Pas question de faire subir à son enfant les feux de sa propre gloire, mais cela ne l’empêche pas de vivre, de sortir et de le promener dans les rues de Bruxelles. «On le croise régulièrement, confie Marie, l’une de ses voisines. Il affiche toujours une allure décontractée et bienveillante, qu’il aille faire ses courses au Proxi ou prendre un café au bistrot du coin avec son fils, dans sa poussette. Sa collection de vêtements lui ressemble.» Des formes douces, confortables, des tissus responsables, des teintes pastel… Et si c’était le symbole d’un cocon familial qui protège et rassure?