«Toute mon enfance, je me suis torché le cul avec du papier journal ou avec la main ou avec n’importe quoi. Le pécu, c’était un luxe. […] J’ai grandi dans un système clos: tout ce que je savais, c’est qu’on détestait les Russes. […] La frontière rendait les Russes complètement paranoïaques. Ils pensaient que nous voulions tous nous échapper.»
«Ma mère a été élevée par sa mère. Il n’y avait pas de père, ou plutôt celui-ci ne croyait pas qu’il était le père, du moins c’est ce qu’il a affirmé avant de disparaître. Quand ma mère avait 6 ou 7 ans, sa mère est morte. Elle a vécu quelque temps chez des parents qui l’ont utilisée comme esclave domestique, comme femme de ménage. Un jour, elle avait 16 ans, elle est rentrée de l’école et a trouvé l’appartement vide. Ils étaient partis et l’avaient abandonnée. […] Elle n’avait rien à manger, pas de vêtements, pas d’argent. C’est à ce moment-là qu’elle a rencontré mon père. Il était videur, haltérophile et membre de la délégation soviétique d’haltérophilie au titre de masseur. Il était plus âgé qu’elle et d’une violence extrême. Un homme brutal. Plus tard ma mère m’a dit: «Il était maudit depuis sa naissance.»
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«J’avais 1 an quand mon père a failli me battre à mort. Un jour, ma mère est rentrée à la maison et je hurlais. Mon père était en train de me frapper avec ses gros poings. Si elle n’était pas arrivée, il m’aurait probablement tué. Il voulait me faire taire […]. Ma mère n’a plus jamais voulu me laisser seul avec mon père.»
«Ma mère a dû passer un accord avec l’employée du service des visas: notre appartement en échange du tampon. Rien n’était gratuit, pas même la sortie du pays.»
«En Estonie, nous avons longtemps été en mode survie, ma sœur Greete et moi. On ne vivait pas vraiment. […] Enfants, on ne nous a pas appris ce qu’était l’amour. Parfois, quand je vois des frères et sœurs très proches, je réalise à quel point ça me manque.»
«L’Estonie telle que je l’ai connue n’existe plus. Tout était austère, difficile, et tout a été effacé. Il n’en reste rien. […] Tu te sens trahi, incompris et dépossédé de ta propre histoire.»
«Je n’avais pas vu ni entendu mon père depuis trente ans. Au bout de deux minutes, il s’est mis à m’engueuler parce que j’avais perdu mon estonien. […] J’ai dit: «Va te faire foutre.» J’ai raccroché et n’ai plus jamais rappelé. […] Je ne sais même plus où il habite. Si je le savais, je lui enverrais des fleurs. Des chrysanthèmes. Celles qu’on donne aux morts.»
«Pendant ma dépression, j’ai beaucoup pensé au suicide. Comment est-ce que je m’y prendrais? […]Je me suis promené dans la forêt: ici ce serait possible. Me pendre en forêt. Mais si quelqu’un me trouve? Il serait traumatisé à vie. Le plan était donc le suivant. J’appellerais les flics et je leur dirais: «Il y a un mort dans la forêt.» Et ensuite je me pendrais, en espérant que les flics me trouvent, et pas un promeneur qui ferait des cauchemars pour le reste de sa vie. Heureusement, je n’avais pas accès à une arme, sinon je serais sans doute mort.»
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