A Milan, le cavalier jurassien a réalisé cinq parcours sans faute pour décrocher l’or avec sa phénoménale jument Dynamix de Belheme. Après l’or olympique à Londres en 2012, le bronze aux Mondiaux en individuel en 2018 et cinq médailles européennes par équipe, Steve Guerdat décroche enfin le titre européen! Il a répondu à nos questions par téléphone, depuis l’aéroport, juste avant de s’envoler pour Calgary, où il disputera une nouvelle compétition. Le repos, ce sera pour demain.
- Juste après votre sacre continental, vous avez lâché un «Enfin!» aux micros des télévisions. Vous l’attendiez depuis longtemps, ce titre?
- Steve Guerdat: J’ai participé à mes premiers Championnats d’Europe avec l’élite en 2003, à Donaueschingen, en Allemagne. J’avais été tout proche de les gagner. Mais une malheureuse faute sur l’avant-dernier obstacle m’avait relégué de la première à la sixième place… Avec Nino des Buissonnets, en 2013 à Herning, au Danemark, j’avais aussi perdu la médaille sur le dernier obstacle. Pendant longtemps, j’ai eu l’impression d’avoir laissé filer ma chance. D’où cet «Enfin!» que j’ai lâché en interview. Cela faisait des années que je courais derrière ce titre.
- Avant de franchir le dernier oxer, ces mauvais souvenirs vous sont-ils revenus en tête?
- Non. Je suis resté concentré sur ma jument et sur ce que j’avais à faire. J’ai suffisamment d’expérience pour aborder mentalement ces moments avec la bonne attitude.
- On vous a vu très ému sur le podium. A quoi pensiez-vous?
- Vous savez, dans ce sport, il y a beaucoup de bas. Plus de bas que de hauts. Les retours à la maison, le dimanche après les concours, sont souvent plus douloureux qu’agréables. J’ai pensé à mon équipe, à toutes les personnes qui travaillent pour moi. Ce n’est pas facile tous les jours. A mon père aussi, qui a des soucis de santé. C’est aussi la première fois que j’ai pu ramener une médaille d’or à ma petite fille, Ella. Je l’ai retrouvée le dimanche soir à la maison.
- Elle comprend que son papa est champion d’Europe?
- (Il rit.) Non, elle n’a pas réalisé. Elle était contente de nous retrouver, ma femme et moi. Elle n’a même pas voulu mettre la médaille d’or autour du cou. Elle voulait juste des câlins de maman et de papa, c’était plus important que la médaille. Ce qui, d’une certaine façon, est très bien comme ça!
- Vous avez littéralement survolé la compétition avec Dynamix de Belheme en étant le seul cavalier à avoir aligné cinq sans-fautes!
- J’ai une jument fantastique, elle était en pleine forme. Tout s’est vraiment bien passé à Milan, sans couac majeur si ce n’est le résultat final par équipe (la Suisse n’a terminé qu’au sixième rang mais assure sa qualification pour les Jeux olympiques de Paris en 2024, ndlr). Cela m’a sans doute permis de ne pas me relâcher et de rester «focus» sur l’objectif.
- Une telle aisance se dégageait de votre duo, on avait l’impression que rien ne pouvait vous arriver.
- C’est vrai que j’ai pleinement confiance en cette jument. J’aime à imaginer que c’est réciproque. Dynamix est arrivée chez moi alors qu’elle n’avait que 5 ans. Elle n’a jamais fait de compétition avec un autre cavalier que moi sur son dos. On dit souvent dans notre sport qu’il ne faut faire qu’un avec sa monture. C’est le cas avec elle. Je n’ai même pas besoin de penser à tourner à gauche, elle ressent mon intention, elle réagit à cela d’une façon incroyable. Il y a une véritable osmose entre nous, on se connaît par cœur et on se comprend. Je n’avais jamais connu ça auparavant.
- Même pas avec Nino des Buissonnets ou Jalisca, vos précédents cracks?
- Nino avait des qualités intrinsèques extraordinaires, très proches de celles de Dynamix. En revanche, il était très difficile à canaliser. C’était compliqué de trouver le juste milieu entre lui laisser son grain de folie pour qu’il puisse s’exprimer et, en même temps, lui faire accepter que c’était quand même moi qui décidais où on allait. Jalisca, elle, avait un mental similaire à celui de Dynamix mais pas les mêmes aptitudes physiques. Ce qu’elle compensait avec le cœur. Dynamix réunit toutes les qualités de mes cracks passés. Elle a l’intelligence, le génie, mais aussi les capacités physiques. Souvent, c’est soit l’un, soit l’autre. Elle combine les deux, c’est ce qui explique qu’elle est si spéciale.
- Quelle est sa personnalité?
- C’est un amour de jument, d’une gentillesse folle. C’est le premier cheval que ma fille a caressé, le premier aussi sur lequel on a osé la poser sur le dos. Dynamix est presque comme une personne, elle comprend tout. Elle est très sage même si elle a quand même son petit caractère. Si on la laissait entre les mains d’une personne inexpérimentée, elle pourrait prendre très vite un autre chemin. Chez nous, si tout se passe dans le meilleur des mondes avec mon équipe et moi, c’est parce qu’elle a confiance en nous. Quand elle était jeune, elle était effrayée par beaucoup de choses en balade, mais le temps a passé. Impossible de trouver un point négatif à cette jument. C’est un pur bonheur.
- Elle est arrivée dans vos écuries à l’âge de 5 ans. Vous avez immédiatement senti que c’était un crack?
- Je me souviens d’un moment, ça devait être la deuxième ou troisième fois que je lui faisais faire quelques sauts à la maison. On avait installé un obstacle anodin dans le manège. Allez savoir pourquoi, les chevaux que j’avais montés ce jour-là ne l’avaient pas sauté correctement. Dynamix le passe une première fois, on décide de rehausser l’obstacle avec l’idée qu’elle ferait sans doute la faute. Parfois, quand on monte un jeune cheval, on le laisse commettre une faute, pour qu’il sache comment réagir et comprenne ce qu’il doit faire. De nouveau, la jument passe l’obstacle sans aucun problème. Je me suis arrêté direct, j’ai regardé ma femme et je lui ai dit: «C’est incroyable, je n’ai jamais vu une chose pareille.» J’ai vraiment l’impression que je n’ai rien dû lui apprendre. Et c’est peut-être ça qui a été plus compliqué pour moi à assimiler. Elle me fait penser à un élève surdoué qui s’embête en classe, car il sait déjà tout. J’ai dû prendre garde à ne pas l’ennuyer. Elle est née en sachant ce qu’elle devait faire. C’est pour cela que le mot génie lui va à merveille.
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- Vous avez dû ménager ce génie, ne pas griller d’étapes. C’était son tout premier championnat.
- Oui, c’est quelque chose d’extrêmement important pour moi. Gagner l’est aussi, bien sûr. Quand j’entre en piste, ça bout en moi, j’ai envie d’être performant. Et quand ça ne va pas, je suis très, très déçu. Mais j’accorde la plus grande importance au respect des chevaux. Il est tellement difficile de trouver de bons chevaux, alors quand on les a, il faut les faire durer le plus possible. Cette jument aurait pu déjà faire de grandes choses l’an passé. Sauf qu’elle aurait peut-être déjà été sur la pente descendante dans une année. Si elle reste en bonne santé, nous avons encore de nombreuses années de bonheur devant nous. Il m’a fallu me forcer à ne pas presser les choses et lui laisser le temps de grandir. Même si ce n’est pas toujours facile.
- Surtout que ces deux dernières années, vous avez connu une baisse de régime.
- Oui… Et souvent, on me disait: «Mais pourquoi tu ne la montes pas dans les grands prix?» Je répondais qu’il fallait que j’attende le bon moment. Je savais que cette patience finirait par payer.
- Cela a dû être une période difficile à vivre pour un compétiteur comme vous...
- Quand on se rend compte qu’on s’éloigne des meilleurs, ce n’est pas facile à vivre, sportivement parlant. J’ai beaucoup cogité les dimanches soir quand ça ne se passait pas très bien en concours. Mais d’un autre côté, j’ai pu passer aussi beaucoup de temps à la maison avec mes chevaux, et ça, ça contribue grandement à mon épanouissement. Quand on est tout en haut, on va en compétition en pensant parfois plus au résultat qu’à la forme. J’ai pu me poser un peu et j’ai réappris à prendre du plaisir, notamment en travaillant avec de jeunes chevaux. Cela donne une nouvelle motivation. Mais soyons honnêtes: dans un coin de ma tête, l’objectif de retrouver des résultats sportifs était présent. Je ne vais pas m’en cacher.
- Justement, la motivation, quand on a tout gagné, on parvient toujours à la trouver?
- Les championnats me motivent énormément. J’adore ça et je n’aime pas regarder en arrière. Je suis hyper-motivé par les concours qui arrivent et forcément par les Jeux olympiques, l’année prochaine. C’est magique de pouvoir repartir tous les week-ends avec des étoiles dans les yeux en étant aussi motivé que la première fois.
- Les Jeux olympiques, c’est demain. Comment vous y préparez-vous?
- En gardant le cap. Depuis des mois, je prépare ma jument avec l’objectif d’arriver en forme aux JO. De continuer à la faire grandir afin qu’elle soit la plus compétitive possible. Les JO, en plus à Paris, ça me fait rêver. J’ai l’impression d’être un petit enfant, même si j’ai passé 40 ans!
- Est-ce que le public aura la chance de voir Dynamix au Concours hippique international de Genève, en décembre?
- C’est au programme. Mais avant, elle a droit à un repos bien mérité! Deux mois presque sans concours et ensuite on reprendra gentiment.