Première publication: le 16 avril 2022
Pour qu’elle daigne guigner hors de son box pour la photo, il faut séduire Dynamix De Belheme avec une carotte. De son museau, la jument de 9 ans donne une bourrade à Steve Guerdat. Elle est chez lui, à Elgg (ZH), depuis quatre ans. Il a fallu beaucoup de temps au cavalier jurassien pour connaître ses besoins, savoir comment elle se sent le mieux. «Depuis six mois, j’ai l’impression que nous nous comprenons. Elle évolue de jour en jour, cela me fait plaisir.» Steve Guerdat apprécie les chevaux comme elle, avec beaucoup de caractère, peut-être un peu plus difficiles. Cela crée une vraie relation, dit-il.
Après sept semaines passées en Espagne, Steve Guerdat vient de rentrer au haras qu’il a repris il y a cinq ans. A l’instar de ses chevaux, il a besoin d’un peu de sérénité avant de repartir parcourir le continent d’un concours à l’autre. Habituellement, ce sont quarante-cinq semaines par année de compétitions dans le monde entier. Des pauses comme aujourd’hui sont rares. Manquent à l’appel son épouse Fanny Skalli, 29 ans, et leur fillette Ella, qui a eu 1 an le 4 avril. Elles ont profité de cette pause pour rendre visite à la famille de Fanny dans le sud de la France.
Cinquante chevaux vivent au haras d’Elgg et Steve Guerdat en monte entre douze et treize lui-même. Tous les jours, il s’entraîne avec sept ou huit d’entre eux une heure durant. Avant que le couple ne déniche une nounou pour Ella, il montait une partie de ses chevaux dès l’aube et jusqu’à 9 h 30, puis s’occupait du bébé afin de permettre à sa femme de s’entraîner à son tour (elle est cavalière de saut professionnelle). Et, l’après-midi, ils inversaient les rôles. Grâce à la nounou, la famille a désormais plus de temps. «Mais nous pouvons à tout instant aller voir Ella un petit moment.»
A 39 ans, le champion jurassien ne s’attendait plus guère au grand amour ni à une famille à lui. Jusqu’ici, sa vie était entièrement vouée aux chevaux, à sa carrière. Il n’avait pas de relation fixe et encore moins de grand projet de vie. «Je me sentais quand même l’homme le plus heureux du monde, parce que, entre le sport et les chevaux, je peux vivre pleinement ma passion et parce que j’ai la chance de vivre en Suisse. Quiconque trouverait encore le moyen de se plaindre dans ces circonstances serait un éternel insatisfait.»
Il y a plusieurs années, il a fait la connaissance de la cavalière de saut française Fanny Skalli. Ils ont des contacts espacés. Mais lorsqu’ils se sont revus il y a quatre ans, il leur est vite apparu qu’il y avait entre eux quelque chose de spécial. «Si bien que j’ai maintenant la plus belle femme et la plus jolie petite fille du monde.» Avant qu’Ella ne voie le jour, il avait souvent entendu dire qu’un bébé bouleversait l’existence. Mais quand elle est arrivée, il ne l’a pas ressenti ainsi et se demande toujours pourquoi. «Elle est évidemment le centre de tout. Mais j’ai toujours dit que les chevaux faisaient partie de ma famille. Ils ont toujours été au centre de mes préoccupations. Dans ma propre vie, je n’ai jamais occupé le centre, j’arrivais toujours après les chevaux.» Et comme son épouse vient du même monde et fonctionne comme lui, l’harmonie règne.
Une fois tous les chevaux soignés, Steve Guerdat passe volontiers sa soirée au salon devant la télé. L’habitation du haras est décorée de photos de son épouse et de lui, quelques autres sont là, toutes avec leur signification. Son tableau préféré? Un panneau de bois gravé par un ami, qui énonce simplement: «Bianca – 2006-2021». C’est une évocation d’Albführen’s Bianca, sa jument baie préférée avec laquelle il a remporté ses premiers grands succès et qu’il regrette toujours amèrement.
Un autre cheval auquel il était extrêmement lié lui manque: Nino des Buissonnets, qui lui a valu une victoire olympique à Londres en 2012. Nino est à la retraite depuis 2016 déjà. Steve Guerdat l’aurait volontiers gardé chez lui, au haras. Mais le cheval âgé de 21 ans a fait une vive réaction à une piqûre de moustique et est couvert d’eczéma, raison pour laquelle il vit depuis un an en Normandie, où aucun moustique ne l’embête. «Je préférerais l’avoir ici, mais il se porte très bien là-bas.»
Il y a des chevaux avec lesquels Steve Guerdat s’entend particulièrement bien – c’est comme entre les humains. La différence est qu’il traite tous les chevaux de la même manière, jeune ou vieux, victorieux ou non. «Après tout, ils n’ont pas pu choisir d’être ici, nous avons donc une responsabilité envers eux.» Ce qu’il aime chez les chevaux, c’est qu’ils ne sont pas méchants, ni vicieux. Il a toujours eu plus confiance dans les animaux et la nature qu’en ses semblables. Sauf deux exceptions, qui portent les jolis noms d’Ella et de Fanny.