- Cette fusion-acquisition à marche forcée a-t-elle au moins permis de renforcer la confiance dont la nouvelle banque et les marchés financiers ont besoin pour fonctionner, selon vous?
- Stéphane Garelli: A l’heure où on se parle (lundi 20 mars à midi, ndlr), la partie est loin d’être gagnée. On voit à travers le cours de l’action UBS (jusqu’à 15% de perte peu après l’ouverture de la bourse, ndlr) que les gens se disent que la page Credit Suisse (CS) n’est pas tournée, que beaucoup de choses risquent encore de se passer. On dit que le processus sera terminé à la fin de l’année, je souhaite bonne chance à celles et ceux qui le mèneront à bien. Pour avoir naguère participé à des séances autour de la fusion d’UBS et de la SBS, j’ai vu combien une opération de cette envergure se révèle terriblement complexe.
- Les marchés semblent encore circonspects, en tout cas…
- Tout le monde se demande surtout si ce qui est arrivé à CS peut arriver demain à l’une des 29 banques systémiques qui restent dans le monde. Quand on voit qu’un établissement de cette taille, réputé hyper-solide, peut faire faillite en quelques jours sans que ni les pare-feux, ni les systèmes de contrôle s’allument, il y a de quoi s’inquiéter. CS avait passé avec succès les «stress tests» et répondait, semble-t-il, aux ratios de liquidités et c’est tout de même arrivé. Il y a vraiment de quoi se poser des questions sur l’efficacité des systèmes de contrôle et leurs dépositaires. De plus, UBS sait-elle exactement ce qu’elle a acheté? Y a-t-il des procédures financières ou pénales pendantes contre CS, d’autres cadavres dans les placards? Au rythme où les choses se sont faites, toutes les réponses à ces questions n’ont sans doute pas encore trouvé leurs réponses.
- Les dirigeants de la banque ont-ils caché sa vraie situation?
- Difficile à dire. D’un côté, je comprends les dirigeants, dont le job est de rassurer les marchés. Et je pense sincèrement qu’ils n’envisageaient pas cette issue il y a une semaine encore. Mais tout à coup, les retraits se sont accélérés. Jusqu’à 10 milliards par jour. Puis ils ont découvert des erreurs de «reporting» ici et là. Et à chaque fois qu’ils ouvraient un placard, ils trouvaient quelque chose. A la fin, j’ai l’impression qu’ils ne savaient plus quoi faire. Le nouveau directeur a été vaincu par l’ampleur des dégâts. Cela étant, quand vous voyez que les procédures de «reporting» ne sont pas bonnes, vous devez commencer à vous poser des questions...
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- Qu’adviendra-t-il des gens qui disposent (disposaient) d’un crédit hypothécaire ou d’un compte d’épargne auprès de Credit Suisse, à votre avis?
- Je crois franchement qu’ils n’ont pas à s’inquiéter. Ces comptes seront transférés en l’état auprès d’UBS, qui est une banque importante. Ma réponse est plus réservée concernant les entreprises, les PME notamment, pour lesquelles les relations de confiance comptent énormément. Or, avec le brassage qui se profile, les personnes risquent de changer. Le banquier ou le conseiller qui a accordé sa confiance et une ligne de crédit à une entreprise sera-t-il encore à son poste demain? Pour moi, le risque de changement de personnes est plus important que celui du changement de structure.
- En revanche, les actionnaires, petits ou grands d’ailleurs, se font rincer, comme on dit. Déjà au plancher en fin de semaine dernière, l’action CS a encore été divisée par trois avec la fusion…
- En l’état, oui, puisqu’il faut avoir 24 actions CS (environ 0,60 fr.) pour obtenir une action UBS (environ 17 fr.). Mais gardons-nous de tout mouvement en attendant d’y voir plus clair. Mon sentiment, c’est qu’on va au-devant de beaucoup de ventes d’activités de CS et peut-être même d’UBS pour réduire sa taille. Je pense notamment à la banque d’investissement. Au bout du processus, 1 + 1 ne fera pas 2 mais 1 et demi. L’action UBS variera selon que le marché appréciera ou pas ces futures ventes.
- Et que dire aux 37 000 personnes qui travaillent en Suisse pour les deux banques, qui n’y peuvent rien et qui désormais ne savent pas si elles auront encore un emploi dans une semaine ou dans un mois? C’est d’une violence inouïe...
- C’est très, très dur en effet. Des emplois vont être biffés des deux côtés, c’est certain. On risque de trouver sur le marché beaucoup de gens possédant de grandes compétences financières mais plus de travail. C’est un épouvantable gâchis.
- Cette issue brutale et dramatique était-elle devenue une fatalité?
- Je ne connais pas les chiffres, je ne suis pas dans le secret des dieux. Mais, intuitivement, je pensais qu’il était possible de réaliser le même sauvetage qu’avec UBS ou la BCV à l’époque. En rassemblant toutes les dettes dans ce qu’on appelle une «bad bank» (une mauvaise banque), puis en accordant des lignes de crédit à CS, histoire de le sauver et de gagner du temps pour vendre certains de ses départements plus intelligemment. Des rumeurs d’une quasi-nationalisation temporaire ont d’ailleurs circulé. Cette opération aurait plus fait sens pour tout le monde. En passant en force, on a finalement fait un 49.3 français à la suisse, si j’ose dire. Si une fusion qui prend normalement des semaines pour être menée à bien a été faite en deux jours, c’est que la situation était des plus urgentes.
- Avec, à la clé, des citoyens qui risquent de passer à la caisse?
- Pas forcément. Pour l’instant, les milliards qui ont été articulés représentent des garanties et ne seront peut-être pas utilisés. Dans les affaires UBS et BCV, les choses se sont plutôt bien passées. L’avenir le dira. Reste à savoir qui détient les clés de l’avenir.
- Qui est responsable de cette débâcle, selon vous?
- Le conseil d’administration n’a clairement pas fait son boulot. Les instituts de surveillance comme la Finma et la BNS non plus. Même les banques centrales étrangères dans les pays où Credit Suisse était actif ne sont pas blanches. On croyait avoir mis en place un système à la Titanic, insubmersible, et aujourd’hui on se rend compte qu’il y avait des fuites partout. C’est ce qui inquiète le plus les marchés. Le problème, c’est que dans un système global, un dysfonctionnement pareil a lui aussi un impact global.
- Au bout du compte, retrouvera-t-on des personnes sur le banc des accusés?
- J’ai bien peur que non. La législation internationale n’est pas suffisamment fournie pour aller les chercher là où ils sont.
- Après la banque zombie, la Suisse se retrouve avec l’une des plus grandes banques du monde. Qu’arrivera-t-il si celle-ci se met à trébucher à son tour, comme le craignent certains?
- Il est évident que si quelque chose de fâcheux arrivait à une banque de la taille de la nouvelle UBS, la Suisse n’aurait plus les moyens financiers et les ressources de rattraper la situation.
- Vingt et un an après la faillite de Swissair, c’est un nouveau coup porté à la réputation de notre pays…
- Avec le nom de la banque en faillite, difficile de l’esquiver, en effet. L’image de la Suisse, sa réputation, sa crédibilité et même son savoir-faire sont ébranlés. A l’étranger, les gens doivent se dire: «Si une banque de cette importance peut faire faillite, qu’en est-il du reste?» Ces questions promettent des débats sanglants sous la Coupole fédérale.