Lorsqu’on s’apprête à rencontrer un entrepreneur qui habite un «palazzo» de 1650 m2, on se demande quel genre d’homme cela peut bien être. Un parvenu arrogant ou un nouveau riche qui étalera sa fortune? A 63 ans, Stefano Artioli n’est ni l’un ni l’autre: chaleureux, il vous regarde droit dans les yeux et éclate souvent de rire. Il passe aussi beaucoup de temps avec son fils Alain. De deux heures d’entretien prévues, on passe à cinq. Pour calmer les gargouillements de nos estomacs, on sort le jambon, le salami, de la pizza et du «vino». «Travailler dur en toute transparence, tel est le secret de notre succès, avoue cet homme qui n’a pas fait d’études. Je bosse depuis que j’ai 15 ans.» Il s’est formé au métier de constructeur métallique dans l’entreprise de son père. A 40 ans, il a vendu celle-ci pour se lancer dans l’immobilier avec le groupe Artisa. Ce dernier développe et construit des résidences pour les troisième et quatrième âges, dont le groupe Tertianum est souvent le locataire. Sous le label City Pop, il propose aussi des micro-appartements dans les grandes villes. Et à Oerlikon, en banlieue zurichoise, le groupe a conçu et réalisé la Tower55, haute de 80 mètres.
Petit déjà, Stefano Artioli s’émerveillait devant le «palazzo» où il vit actuellement. Pendant des années, l’endroit a servi de siège à la Banque nationale suisse et à la banque Wegelin. «Construite en 1815 par l’architecte Giocondo Albertolli, cette demeure était, à l’origine, privée», précise l’entrepreneur. Ce spécialiste du bâtiment apprécie les stucs et fresques des frères Giocondo, Natale et Grato Albertolli. «Regardez ici, toutes ces représentations en filigrane datent de 1815! Ce sont des originaux!»
Au plafond du salon pend un impressionnant lustre en verre de Murano. Il y en a huit au total aux quatre coins de la maison. Dans chacune des pièces, on peut admirer des «Teste di Moro» de Caltagirone. Giancarla, sa femme, adore ces têtes en céramique d’origine sicilienne. Dans la salle de musique trône un piano à queue centenaire. «C’est mon domaine! J’aime interpréter et écouter du Mozart», lance Alain, 37 ans. Son père, lui, préfère la pop. D’ailleurs, naguère, il organisait des concerts à Bellinzone, il a même fait venir David Bowie. Dans la «libreria», on découvre un jeu de quilles design de Giorgetti.
A 25 ans, Alain a reçu de Stefano la moitié du capital du groupe Artisa. «Je tenais à ce que nous réalisions des projets ensemble. Je n’avais pas envie que l’on me dise qu’il s’est contenté d’hériter de tout.» Tous deux s’admirent et se respectent beaucoup. Stefano et Giancarla Artioli ont eu à cœur de transmettre à Alain les valeurs de la famille: «Etre cohérent, honnête, transparent et travailler dur.» «C’est formidable d’avoir un père aussi visionnaire, qui a toujours une idée d’avance. Cela m’a donné confiance en moi», souligne Alain Artioli.
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Une idée venue de New York
Stefano ne peut s’empêcher de sourire lorsque ses contemporains lui présentent leur nouvelle compagne, surtout quand elle est très jeune. «C’est moins le vieux que sa carte de crédit qui leur plaît», lance-t-il en éclatant de rire. Et de préciser: «Avec ma femme, nous sommes mariés depuis bientôt quarante ans.» Il tient à avoir une partenaire avec qui il se sent en phase. Chaque année, les Artioli prennent dix jours de vacances ensemble. Parfois ils vont au Japon, tantôt à Miami ou à New York. Alain organise le voyage et joue les guides, à l’affût des dernières tendances commerciales.
Il y a dix ans, Michael Bloomberg, alors maire de New York, lançait un concours visant à recueillir des idées pour remédier à la crise du logement. En sont sortis des projets qui ont donné à la famille Artioli l’idée de décliner son concept de «microliving» sur une plateforme entièrement numérique. Stefano Artioli en est convaincu: «Pour créer des objets et des services adaptés à la société dans laquelle on vit, il faut d’abord la comprendre.» Baptisée City Pop, la formule propose des appartements meublés de 20 à 45 m2, équipés de lits d’appoint. D’ici à 2025, elle totalisera 2800 logements. Présente dans les principales villes suisses, elle s’étendra bientôt à Berlin, à Francfort, à Prague et à Milan. Ces logements se réservent facilement, comme une chambre d’hôtel, via un téléphone portable et une application. Ils offrent en revanche le confort et la flexibilité d’un contrat de location traditionnel. L’idéal pour un séjour trop long à l’hôtel, mais trop court pour une location.
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Alain est désormais aux commandes de l’entreprise. Quant à son père, il s’occupe de projets qui lui tiennent à cœur et qu’il finance par le biais des revenus de la gestion de son patrimoine. Outre la rénovation du Grand Hôtel de Locarno, un établissement de style Belle Epoque, pour quelque 80 millions de francs, il relance la station de ski de San Bernardino. Un budget estimé à 300 millions de francs. «J’ai 63 ans et les hommes vivent en moyenne jusqu’à 81 ans en Suisse. Bientôt, le chef là-haut m’appellera, relève-t-il en souriant. Désormais, je prends donc six mois de vacances pour profiter de la cuisine italienne et de mes vins toscans. Et le reste de l’année, je mets les bouchées doubles.»
Il est satisfait de l’évolution des travaux dans la station de ski du sud des Grisons: «Nous avons remis en service les remontées mécaniques cet hiver, avec un an d’avance!» Stefano Artioli voit grand. Il rénove des maisons délabrées et transforme des hôtels oubliés en établissements trois ou quatre étoiles. Construction phare, un cinq-étoiles doté d’un espace bien-être de plus de 1000 m2, également ouvert au public. «San Bernardino dispose d’un accès direct à l’autoroute et l’on s’y rend facilement depuis le nord comme le sud. Il y fait en moyenne 10°C de moins qu’en ville l’été, son domaine skiable grimpe jusqu’à 2600 mètres. L’endroit a donc tout pour devenir une destination de premier ordre.»