La Pinte des Trois Canards se situe au débouché des gorges du Gottéron, pile sur le Röstigraben. La légende dit que c’est ici que dort le dragon qui a insufflé son ardeur bouillante au Hockey Club Gottéron. Au Café du Coin de L’illustré se retrouvent le président de la Confédération, Guy Parmelin, 61 ans, la star du hockey Slava Bykov, 61 ans aussi, le président du Conseil d’Etat fribourgeois, Jean-François Steiert, 60 ans, Sonja Dinner, 58 ans, de la DEAR Foundation-Solidarité Suisse, l’étudiant en histoire fribourgeois Jakob Spengler, 25 ans, ainsi que les étudiantes en journalisme et communication Lisa Willener, 19 ans, de Homberg (BE), et Anic Marchand, 21 ans, de Villars-sur-Glâne. Corédacteur en chef de la Schweizer Illustrierte, Werner De Schepper anime la discussion dans les deux langues mais supplie le conseiller d’Etat Steiert, originaire de Guin, de ne pas parler le Seislertütsch, le dialecte de la Singine.
- Monsieur Parmelin, qu’avez-vous fait ce matin?
- Guy Parmelin: Je suis parti de Bursins pour Berne. Nous avions l’habituelle réunion du matin. Puis il y a eu une réunion à l’Office fédéral de l’agriculture et, enfin, la réunion préparatoire de la séance du Conseil fédéral du mercredi.
- Y a-t-il en ce moment un dossier qui concerne les étudiants ici présents?
- Guy Parmelin: Pas directement, mais des sujets essentiels pour leur avenir. Par exemple les assurances sociales. Et bien sûr le covid. Ça fait bien deux ans que nous n’avons pas eu une séance sans l’évoquer. En ce moment, nous parlons de la vaccination.
- Slava Bykov: Moi qui suis né en Russie, j’ai opté pour le vaccin Sputnik, puisqu’il n’existe pas de vaccin à proprement parler suisse.
- Jean-François Steiert (opine du chef): Parce que la pharma bâloise a malheureusement vendu sa division vaccins.
- S. Bykov: Ce serait bien que le Sputnik soit bientôt autorisé en Suisse.
- Guy Parmelin: En Suisse, nous n’acceptons que des vaccins autorisés par l’Agence européenne des médicaments.
- S. Bykov: La Russie a sans cesse été en avance dans le développement des vaccins. J’ai souvent été vacciné depuis mon enfance et je n’ai jamais eu de problème. Dommage que, dans cette crise, la politique passe avant la santé.
- J.-F. Steiert: Comme tous les membres du gouvernement fribourgeois, je me suis fait vacciner, car c’est le seul moyen de sortir de la crise. Pour moi, il faut aussi peu de contraintes que possible et autant d’occasions d’échanges sociaux que possible.
- Anic Marchand: Je souffre de la pression sociale. Elle ne vient pas du Conseil fédéral, mais chez nous, à Fribourg, de l’université et de mon entourage. Si je me sentais libre de décider, je serais sans doute déjà vaccinée. Mais dans ces circonstances, j’attends encore.
- Jakob Spengler: Je me suis fait vacciner en février déjà parce que, à côté de mes études, je travaille dans un EMS et que je ne veux pas mettre quiconque en danger. De sorte que, pour moi, la question du libre choix ne se pose pas comme pour Anic. Pour moi, la vaccination m’a ouvert de nouveaux espaces de liberté.
- Lisa Willener: Pour moi, c’est comme pour Anic. Je souffre quand il y a de la pression, quand on est contraint de faire quelque chose dont on n’est pas convaincu.
- J.-F. Steiert: Beaucoup de jeunes sont tombés en dépression durant la pandémie. S’ils ne peuvent plus rencontrer leurs camarades, ils se sentent abandonnés. Nous aurons à lutter encore longtemps contre le covid long, surtout contre ses séquelles psychiques. Mais revenons à la vaccination: nous avons toujours tenté d’établir les directives de façon qu’on puisse se faire tester si on ne veut pas du vaccin.
- Sonja Dinner, vous avez précocement mis en garde contre les répercussions de la pandémie…
- Sonja Dinner: Je suis marquée par mes expériences de travail dans l’aide au développement, avec des épidémies comme la dengue, Ebola et la malaria. Les pandémies ne se conforment pas aux programmes des partis. Cette pandémie-ci a mille visages suivant les personnes concernées: médical, économique, mental, lié à l’âge. Mon souci était que la Suisse ne s’en remette durablement pas. Ça n’a pas été aussi grave: bien des secteurs, tel le tourisme, s’en sont plus ou moins remis. Le choix de passer ses vacances au pays a fait du bien au secteur touristique. Mais d’autres secteurs comme la restauration et la culture ne s’en relèveront jamais tout à fait. Or il n’y a jamais eu autant d’argent en Suisse qu’aujourd’hui.
- G. Parmelin: Certaines branches doivent être mieux accompagnées que d’autres. Et les jeunes ne doivent pas être abandonnés à leur sort. Cela dit, l’économie ne sera plus la même après. Prenons l’exemple de la restauration: comme beaucoup d’entreprises ont instauré le télétravail, les gens ne mangeront plus cinq fois par semaine au restaurant. Il faudra apprendre à vivre dans une situation nouvelle.
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- Slava Bykov, quel effet a eu la pandémie sur les jeunes dans le sport?
- S. Bykov: Dans les sports d’équipe, ce fut triste. La vie professionnelle, on peut l’organiser numériquement. Mais le sport ne fonctionne en général qu’en collectif: c’est ensemble qu’on atteint l’objectif. Le sport est une bonne drogue. Grâce au hockey sur glace, j’ai trouvé ici ma deuxième patrie. Je sais gré à la Suisse de m’avoir accueilli les bras ouverts.
- L. Willener: Pour moi aussi le sport est essentiel. Je fais du unihockey.
- S. Bykov: Génial, c’est presque aussi bien que le hockey sur glace (il rit).
- L. Willener: Lorsque, à cause de la pandémie, nous n’avons soudain plus pu nous entraîner ensemble, l’essentiel m’a manqué: mes camarades de l’équipe. Lorsqu’on doit s’entraîner seule, il manque la motivation réciproque et la joie collective.
- A. Marchand: La pandémie m’a sacrément mis des bâtons dans les roues. Je rêvais d’une carrière de danseuse et j’étais inscrite à l’école de ballet de Zurich. Le covid a mis fin à mes projets.
- J.-F. Steiert: Alors nous avons quelque chose en commun: j’ai moi aussi dansé naguère, car j’étais fou amoureux d’une ballerine. Mais ce rêve ne s’est hélas pas concrétisé (il rit).
- A. Marchand: Monsieur Parmelin, je ne voudrais pas être à votre place, car vous subissez une terrible pression. Je voudrais bien savoir comment vous avez vécu cette pandémie personnellement.
- G. Parmelin: Dans notre famille, nous avons eu des cas très différents, des lourds et des plus anodins. Cela m’a marqué. Mais en tant que conseiller fédéral, on doit prendre des décisions qui concernent tout le monde. J’ai reçu beaucoup de courriers évoquant des situations personnelles. C’est pourquoi je remercie madame Dinner de compléter avec sa fondation les mesures prises au niveau de l’Etat.
- S. Dinner: J’incite tout le monde à se montrer flexible et à ne pas s’accrocher inutilement à des modèles désuets. Mais il y a beaucoup de gens qui ne peuvent pas être flexibles, qui n’ont pas le choix parce qu’ils ne peuvent tout simplement pas changer de métier. A cet égard, nous devons en tant que société proposer un filet de sécurité.
- J.-F. Steiert: Lorsque je roule à vélo, je suis souvent interpellé par des gens. Et, bien sûr, je dois parfois admettre des erreurs. Avec la pandémie, notre travail politique a beaucoup perdu en précision. En politique suisse, nous avions autrefois presque une culture d’horlogers. Ce n’est souvent plus possible.
- Le débat sur le covid devient très agressif…
- G. Parmelin: On peut discuter âprement mais il faut écouter. Et respecter les convenances. L’agressivité avec laquelle le débat est parfois mené n’est pas acceptable, car, en Suisse, tout un chacun a droit à la parole. Nous pouvons voter au moins quatre fois l’an sur toutes sortes de sujets. Cela dit, il y a aussi des moments rigolos. J’étais récemment à l’hôpital de Nyon, où j’ai dû m’annoncer pour un examen de routine. La dame de la réception, sans doute une Française, m’a demandé si j’étais toujours vigneron. J’ai répondu que non, que j’étais désormais conseiller fédéral. Alors elle m’a demandé: «C’est quoi ce métier, conseiller fédéral?» Voyez à quel point en Suisse un conseiller fédéral demeure un inconnu!
- J. Spengler: J’ai une question pour Jean-François Steiert: selon les Pandora Papers, Fribourg est un petit paradis pour les sociétés boîtes aux lettres. Vous trouvez ça bien?
- J.-F. Steiert: Les sociétés boîtes aux lettres ne créent pratiquement pas d’emplois. Mais il y a une théorie selon laquelle une forte concurrence fiscale est bonne pour l’économie. Je ne partage que très moyennement cet avis. Finalement, on a des sociétés qui ne sont là qu’à cause des impôts et qui s’installent ensuite ailleurs. Si nous ne prêtons pas garde à qui vient chez nous, nous aurons tôt ou tard un problème.
- S. Dinner: Je suis d’avis qu’on doit payer ses impôts partout et, si possible, faire ses achats là où l’on vit. Cela aussi, c’est de la solidarité. Quand quelqu’un a un salaire suisse, il doit contribuer comme consommateur à ce que son prochain puisse également obtenir un salaire suisse.
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- Nous sommes ici sur le Röstigraben, mais, à Fribourg, le bilinguisme n’est guère vécu…
- J.-F. Steiert: C’est un paradoxe. La part des germanophones a diminué en ville de Fribourg. Mais dans la perception subjective de la population francophone, elle a augmenté. Nous ne pourrons optimiser la coexistence des cultures qu’en concrétisant des projets communs. Sur ce point, le sport peut jouer son rôle. Au vestiaire, on parle deux langues. On peut voir le Röstigraben comme un fossé ou comme un terrain de rencontre entre les cultures.
- S. Bykov: J’ai surtout ressenti le Röstigraben quand nous jouions contre le CP Berne. Mais nous, les Russes, nous sommes précisément venus en Suisse pour rassembler les gens et combler les fossés (il rit).
«Des perspectives solides à long terme»
Dans le cadre de la table ronde de «L’illustré» et de la «Schweizer Illustrierte», l’indicateur de compétitivité d’UBS publié à la fin d’août met en lumière chaque canton que nous visitons. Aujourd’hui, le canton de Fribourg.
Comparé aux autres cantons, le canton de Fribourg a des perspectives de croissance solides sur le long terme. Il représente ainsi la moyenne suisse dans plusieurs dimensions importantes pour la compétitivité. C’est surtout sur le marché de l’emploi qu’il impressionne grâce à une population active locale très jeune et en robuste croissance.
Les régions du canton présentent globalement des similarités mais aussi des spécificités en termes de potentiel de croissance. Les branches les plus attractives sont ainsi bien établies dans la région de la Sarine où se trouve le chef-lieu du canton. La région Glâne-Veveyse tournée vers le Léman se distingue par une plus grande force d’innovation; Morat et Sense offrent des conditions plus avantageuses aux entreprises.
Comparé à de nombreux autres cantons, tels que les cantons voisins de Berne ou de Vaud, celui de Fribourg n’a pas de pôle économique régional de premier plan qui pourrait avoir une influence positive sur le reste du canton grâce à sa puissance de rayonnement; et ce, malgré la présence d’une ville universitaire bien desservie. Une promotion économique locale ciblée pourrait par exemple contribuer à libérer l’avantage de position centrale du chef-lieu du canton (encore) sous-exploitée.
(En collaboration avec UBS)