C’est une réalité souvent méconnue. En Suisse, en 2020, sur 100 personnes victimes de violence en couple, 26 étaient des hommes. Un chiffre en constante augmentation. Selon Serge Guinot, travailleur social à Pharos-Genève, une structure qui prend en charge les hommes victimes de ce type de violence, quatre hommes frappent chaque semaine à la porte de l’association, parfois venant de toute la Suisse. «On peut être un homme grand, fort et musclé et subir ce genre de violence, relève le travailleur social; ce n’est pas une question de force mais d’emprise relationnelle et psychologique.» Loin de lui l’idée de jouer un sexe contre l’autre. Il a lui-même travaillé aux côtés de femmes victimes de partenaires violents, qui restent bien sûr majoritaires, mais il faudrait, assure-t-il, que la réalité de la souffrance des hommes soit prise en compte.
La vague #MeToo a-t-elle rendu encore plus difficile pour un homme de confesser un statut de victime? Oui, à entendre nos trois témoins, qui ont préféré porter un masque et utiliser un prénom d’emprunt pour deux d’entre eux. Faire leur «coming out» dans ce domaine s’est apparenté à un véritable parcours du combattant et les a souvent exposés à l’incrédulité, la moquerie, l’indifférence, des milieux tant hospitaliers que policiers. C’est que les clichés sur la masculinité ont la vie dure. «Sois fort et tais-toi!» reste un adage prépondérant. Quid du profil des hommes qui poussent la porte de l’association genevoise? «Ils sont tous de catégorie sociale moyenne à supérieure, constate Serge Guinot. Des hommes sensibles, souvent gentils, dans le bon sens du terme, qui cherchent avant tout à réparer leur relation de couple.»
Bon à savoir, Pharos va prochainement ouvrir le premier centre d’hébergement d’urgence avec accompagnement social pour hommes de Romandie. Car, comme l’affirme notre intervenant: «Je vous mets au défi de trouver une seule femme victime de violences conjugales qui dort dans la rue. Des hommes, il y en a!»
«Je souffre d’être un homme trop gentil»
Bernard, 49 ans
Bernard venait d’entamer une série de chimiothérapies en 2013 lorsqu’il a fait la connaissance par amis interposés de celle qui allait devenir sa femme. Une ressortissante philippine avec qui il échangera sur le web avant de la rencontrer sur son île et de la faire venir en Suisse. Le couple se marie en 2014. Et décide très vite d’avoir un enfant. Le Genevois se décrit comme un homme incapable de violence, qui souffre d’ailleurs «d’avoir un caractère trop doux et trop gentil». Il est à l’AI après avoir connu un épisode particulièrement douloureux de harcèlement et de dumping salarial alors qu’il était ingénieur en informatique à l’Etat de Genève en 2007. Des faits reconnus par son employeur mais qui ont provoqué une cassure psychique irréparable.
Chez lui, tout est rangé au cordeau, notamment les dizaines d’albums photos qui disent le bonheur perdu avec son épouse et son fils né en 2018. L’année où le comportement de sa femme a commencé à changer. «J’avais refusé de continuer à envoyer de l’argent à plusieurs membres de sa famille. Elle est devenue agressive, ne voulait plus que je voie ma mère, mes amis, puis elle s’est mise à m’insulter et m’agresser physiquement. Elle me pinçait le bras, me tapait, me bousculait, notamment après une chimiothérapie où j’étais particulièrement faible et qui m’a laissé complètement sonné.» Son épouse quittera le domicile trois jours après leurs cinq ans de mariage. «Elle pensait qu’elle obtiendrait son permis C au terme de ce délai, mais elle ne l’a pas eu. Je ne comprenais pas qu’elle parte avec mon enfant. J’ai essayé de reprendre contact avec elle, mais j’ai appris par la police qu’elle portait plainte contre moi pour violence conjugale.» Une plainte qui sera classée en l’absence de preuves. Bernard par contre a, lui, consigné les rapports médicaux et les clichés de ses lésions notamment au bras droit après morsure et des hématomes causés par des pincements violents.
«Mais c’est toujours difficile, quand on est un homme, dit-il, de faire reconnaître son statut de victime. On le sent bien dans le regard des autres!» Bernard se bat aujourd’hui pour la garde partagée de son fils qu’il ne voit pas assez souvent à ses yeux. «Avant, je n’avais pas cette force, c’est la maladie qui m’a donné ce courage, que ce soit le mobbing ou les violences conjugales, il ne faut pas baisser les bras!»
«Je me réfugiais dans la voiture pour lui échapper»
Christophe, 54 ans
Christophe a fait son coming out d’homme violenté sur Facebook. «Il fallait que ça se sache», lance ce père de deux enfants de 8 et 11 ans. Qui décrit une relation conjugale qui a périclité assez vite après la naissance de sa cadette. «J’ai été élevé dans un univers féminin, j’ai appris très tôt que les hommes participent aux tâches ménagères. Mais à la maison je n’en faisais jamais assez alors que j’assurais presque tout moi-même. Elle était sur mon dos avec des reproches incessants, me poursuivait dans la maison, j’allais me réfugier dans la voiture pour lui échapper. Elle bloquait la porte d’entrée parfois pour que je ne lui échappe pas. Un jour, elle m’a demandé si j’avais fait la playlist qu’elle m’avait demandée, je lui ai dit de me laisser tranquille, mais elle m’a planté deux ongles dans le visage et arraché un bout de peau sur 10 cm. «Tu veux ma mort?» lui ai-je crié. Elle m’a répondu: «Oui!»
Christophe n’a jamais songé à se défendre physiquement face à une femme pourtant d’un petit gabarit. «J’ai toujours détesté les bagarres physiques, ce n’est pas mon truc, et lever la main sur une femme, ça ne se fait pas dans ma tête.» Le couple va se déchirer devant les tribunaux. «Elle a multiplié les accusations contre moi, la dernière étant que j’étais alcoolique, ce qui a obligé le juge à prendre des mesures d’urgence.» Une prise de sang invalidera l’accusation. Mais las des recours incessants et des insultes, le Fribourgeois baste et accepte de ne voir ses enfants qu’un week-end sur deux. «Mon ex me faisait peur, elle me fait toujours peur d’ailleurs, j’ai demandé à la croiser le moins possible. Heureusement, mes enfants semblent avoir compris qu’il y a une sorte d’interrupteur à actionner entre les deux mondes.»
Heureux dans une nouvelle relation, ce musicien très actif a eu néanmoins besoin de comprendre pourquoi il s’était infligé quatorze ans de cet enfer. «J’étais sous emprise. Elle était très forte pour trouver le truc qui ne va pas, m’avait isolé aussi des autres, je ne voyais plus ma mère. Tous les curseurs dans ma tête étaient déréglés, je ne savais plus où était le bien ou le mal, j’étais décalibré. Je me sentais coupable de m’être laissé battre par ma femme et d’avoir laissé s’installer cette violence dans notre couple.» Le Fribourgeois se décrit comme «un gentil manipulable». Il a suivi une thérapie et un stage d’affirmation de soi. «Depuis, j’ai un gyrophare dans la tête qui s’allume dès que je détecte une tentative de manipulation chez la personne en face de moi.»
«Personne ne m’a cru parce que je suis un homme»
Samir, 36 ans
Il travaille dans la sécurité à Genève et pratique un sport de combat. Difficile d’imaginer que Samir puisse être victime de violences conjugales, et pourtant. Il montre ses certificats médicaux attestant de blessures diverses qui pouvaient justifier des arrêts de travail. «Pourtant, on ne m’a jamais cru, ni dans les hôpitaux, où on m’a bien signifié que la violence conjugale s’exerçait contre les femmes et pas l’inverse, ni dans le poste de police où on a refusé de prendre plusieurs fois ma plainte.» Ce qui a obligé ce père de deux garçons, qui vit en France voisine, à changer de ville pour être pris au sérieux. Après des mois de procédure houleuse, après avoir dû quitter l’appartement conjugal et se retrouver à dormir dans sa voiture.
«Si mon ex-femme avait été en possession de mon dossier, je serais en prison aujourd’hui, mais moi, personne ne m’a cru!» Samir est Maghrébin d’origine mais travaille en Suisse depuis de nombreuses années. «Dans mon éducation, on ne lève pas la main sur une femme», assure celui qui reconnaît aussi sa part de responsabilité dans l’effondrement de son mariage. «Je travaillais jusqu’à seize heures par jour, je n’étais pas toujours très présent.»
Puis les insultes ont commencé. «Sale bâtard, fils de pute» ont résonné souvent à ses oreilles. «Je faisais semblant de ne rien entendre, mettant son humeur sur le compte d’un phénomène passager, avec l’espoir que ça s’arrête.» Son épouse finira par s’en prendre physiquement à lui. «Un soir, je dormais dans le salon après une garde de nuit, elle m’a donné un violent coup de talon dans le dos, j’ai bloqué sa jambe, elle m’a giflé. «T’as pété un plomb!» lui ai-je lancé, elle m’a jeté son smartphone sur la cuisse gauche, j’ai eu un hématome de 5 centimètres!» Il y aura d’autres occasions, avec à la clé une tuméfaction à l’œil, des bleus aux bras. «Parfois devant les enfants. Je n’ai jamais répondu par la violence.»
C’est sa femme qui, finalement, va l’accuser à son tour de violences conjugales, ce qui lui vaudra une obligation de quitter le domicile familial. «La police l’a crue elle et pas moi.» Samir bosse dans un milieu dominé par la testostérone, «difficile d’aller raconter mes malheurs», soupire-t-il. C’est la rencontre avec Serge Guinot, de l’association Pharos, qui va lui permettre de relever la tête. «Quand il m’a dit que j’étais une victime de violence dans mon couple, cela m’a fait du bien, j’étais dans un état d’épuisement psychologique total!» Le 4 mars 2021, Samir a été blanchi des accusations portées par sa femme à son encontre, il a aussi pu récupérer son appartement et revoir ses enfants après un an et demi de privation. «On n’a pas jugé des faits, on a jugé un sexe», résume-t-il avec amertume.
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