Un match nul, une défaite, une victoire. Reine du consensus, la Suisse a passé en revue en huit jours et trois matchs la panoplie des sentiments: l'agacement, l'impuissance, l'euphorie. Du premier but de la tête d’Embolo irrésistible contre le Pays de Galles aux ballons enroulés de Shaqiri contre la Turquie en passant par le désert de Gobi vécu face à l’Italie, elle a tout visité, et le public suisse avec elle, courageux quoique éprouvé. Premier constat, le foot marche, les gens ont envie de vibrer, de se mettre en colère, toutes ces puissantes émanations collectives que la pandémie avait suspendues.
Ils étaient 200 000 téléspectateurs contre Galles, 344 000 contre l’Italie, 491 000 contre la Turquie, massés chez eux ou sur des terrasses astucieusement improvisées. Pour le huitième de finale, les Suisses seront encore davantage. A analyser, à pronostiquer. A vivre. A critiquer, aussi.
L’équipe a été visée et même moquée. Hormis l’affaire du coiffeur dépêché à Rome pour blondir Xhaka et Akanji, même l’ex-capitaine Alexander Frei s’y est mis: «Ils roulent en Ferrari, moi c’était en Mazda. C’est une partie du problème.» Or, contre la Turquie, Zuber a joué comme quatre, Seferovic sorti un but de nulle part, Sommer dit non à tous les tirs. Quelqu’un les connaît bien, les pratique au quotidien. Coordinateur sportif de l’équipe, l’ex-joueur Vincent Cavin sert de trait d’union entre les sélectionnés et l'entraîneur. Il donne sa vision , fine et nuancée.
- Avant le match contre la Turquie, qu’avez-vous senti?
- Vincent Cavin: Une tension, peut-être la plus grosse que j’aie connue en cinq grands tournois. Il y avait l’envie de bien faire, un adversaire coriace. Mais on sentait que l’équipe était là. A ma famille, qui me demande toujours comment cela va aller, j’ai dit que j’étais tranquille. Je le sentais à l’en- traînement, il y avait des indices.
- Vladimir Petkovic a écrit une lettre pour mobiliser le peuple suisse avant le match. Comment l’avez- vous vécu?
- J’ai bien aimé. C’était un bon message pour tous. Juste dire que nous sommes comme tout le monde, là pour offrir des émotions aux gens.
- Comment avez-vous subi les critiques?
- Cela fait longtemps qu’une certaine presse est opposée à la gestion actuelle. C’est dommage car, avec la pandémie, les gens ont envie de positif, pas d’être bombardés de polémiques. Comme supporter, on passe vite d’un extrême à l’autre, de tout va bien à tout va mal. Dans ce tournoi, on a pris acte des cri- tiques justifiées, on les a affrontées. Après l’Italie, les joueurs se sont réunis entre eux, pour redéfinir nos valeurs, se dire qui on était et où on voulait aller.
- Les critiques les touchent, même s’ils jouent tous dans de grands clubs?
- Oui, même s’ils disent le contraire. En- core plus aujourd’hui avec les réseaux so- ciaux. Pour un joueur, c’est compliqué; il est facile d’avoir un impact direct sur lui, de l’insulter. Dans la presse, si je prends l’histoire des voitures, des coiffeurs, quel est le but? Monter les gens contre les joueurs qui roulent en Ferrari? Cela n’amène que de la négativité.
- Comment les ressentez-vous?
- Ce sont tous des bons gars, pas comme on aime parfois à les caricaturer. Pour moi, au niveau des caractères, ils sont juste une représentation de ce qu’on trouve dans la société. Avant, j’étais dans la formation des jeunes, au Tessin. Or, en arrivant en équipe nationale, j’ai été impressionné de constater comment rien ne changeait. Tout est pareil, tout le monde est aussi naturel.
- Quelle est l’importance de Petkovic?
- Fondamentale. Les joueurs le connaissent mieux que les journalistes. Pour cela, il faut le côtoyer. Il est différent de ce que l’on croit.
>> Lire aussi l'interview de Petkovic avant l'Euro: «La Nati est meilleure, plus mûre et plus sereine»
- Quels sont ses aspects méconnus?
- Il a certes un air sérieux, il en impose physiquement. Mais il est surtout humain. Aux joueurs qui le découvrent, je dis: «Si vous l’appelez au milieu de la nuit pour un problème, il sautera dans sa voiture et viendra.» Il est très relationnel. Il pousse aussi les joueurs à être autonomes, entreprenants. C’est important, car on recommence presque à chaque fois à zéro. Petkovic a les épaules larges. Un collègue a l’habitude de dire: «Si je devais aller à la guerre, je prendrais Vlado...» Rester fort dans la tourmente, avoir une ligne et donner confiance, ce n’est pas donné à tout le monde.
- L’équipe est-elle fatiguée par ses déplacements?
- Je ne le pensais pas, mais oui, cela a un impact. Nous avons souvent été assommés, même en gardant le fuseau horaire de Rome à Bakou, en mangeant à 22 h 30. Un Euro où des équipes jouent trois fois chez elles, ce n’est à l’évidence pas normal.