A 62 ans, Sharon Stone s’accommode du temps qui passe même si, juste avant de se retrouver confinée comme la moitié de l’humanité, elle posait encore en une des magazines de mode, affichant un physique avantageusement retouché. Depuis quelques semaines, du moins au début, il lui arrivait d’oublier de gommer ses cernes, ses rides et la racine blanchie de ses cheveux sur son compte Instagram. Elle assumait son apparence au naturel, semblable au commun des mortels à qui elle s’adresse.
Fin mars, début avril, elle commettait des erreurs de débutante lorsqu’elle se filmait de trop près ou en contre-plongée. La star du grand écran n’était alors qu’un lointain souvenir, mais son authenticité était un gage de beauté. L’ex-mannequin devenue actrice ne nous parlait ni depuis son jacuzzi, un cigare au bec, comme le débonnaire Schwarzie, ni comme tant d’autres, certains de devoir nous gratifier de leur humour, d’une chanson fatiguée ou d’un discours sur l’avenir de la planète.
Le 4 avril, s’adressant au personnel de la Croix-Rouge italienne dans un polo rouge brodé «Croce Rossa» avec l’écusson vert-blanc-rouge, Sharon Stone, fidèle alliée de l’organisation de secours bien avant la pandémie, encourageait ces vaillants anonymes. «Vous entrez chez les gens pour transporter les victimes du coronavirus. Je vois le cœur que vous mettez dans votre travail. Je sais que vous mettez vos vies en danger pour mener à bien votre mission. Je suis avec vous…»
Le public a pris son message en plein cœur en regardant couler une larme sur sa joue gauche. Le monde allait mal et Sharon Stone, la voix étouffée par l’émotion, tombait le masque en pleine tragédie collective. Son engagement humanitaire a souvent accompagné sa carrière, qui décolla en 1992.
A Cannes, cette année-là, armée de son charisme exceptionnel, d’une plastique de rêve et d’un QI autoproclamé de 159, Sharon Stone mit le monde à ses pieds. On finit par la confondre avec son rôle: la riche romancière bisexuelle Catherine Tramell, prompte à ligoter ses amants au lit, un pic à glace planqué sous le sommier. Ce personnage de femme-piège fit le succès de «Basic Instinct»; la scène de son interrogatoire policier avec son ébouriffant jeu de jambes – croisées, décroisées – allait devenir culte. Le réalisateur Paul Verhoeven avait demandé à son actrice de retirer sa culotte – triangle de tissu blanc gênant à l’image – lui promettant de ne pas cadrer son intimité. Las, en découvrant le montage définitif le soir de l’avant-première mondiale, elle se sentit trahie et le gifla. La séquence flirtait avec les limites de la censure, mais Sharon Stone allait quitter la Croisette en star internationale.
Trois ans plus tard, «Casino» lui valut un Golden Globe. Avant de l’engager, Martin Scorsese et Robert De Niro voulurent la mettre à l’épreuve. Le premier lui posa un lapin. Le second voulait une actrice qui puisse lui tenir tête. Parce qu’elle savait ce qu’elle se voulait, qu’elle avait roulé sa bosse dans le métier depuis une bonne quinzaine d’années et qu’elle portait sa sexualité en bandoulière, elle remporta la mise haut la main devant ses rivales.
En plus de son talent de comédienne, Sharon Stone intimidait. «Le sexe, je m’en servais comme d’une arme pour obtenir ce que je voulais», confia-t-elle. Elle ne cadrait pas avec les mœurs hollywoodiennes. «Je n’ai jamais voulu me soumettre au système», dira celle dont la carrière s’effilocha pourtant. En marge, elle ne maîtrisait hélas pas toujours les enjeux de ses généreux élans envers les plus démunis.
Au Forum de Davos, en 2005, il lui suffit de défier des messieurs bien comme il faut en offrant 10 000 dollars de sa poche pour susciter une levée de fonds de 1 million. Moins d’un quart de la somme arriva à destination. Le but était d’offrir des moustiquaires à la Tanzanie. Ce geste allait déstabiliser la production locale en inondant gratuitement le marché de ces filets destinés à lutter contre le paludisme.
En 2008, alors convertie au bouddhisme après avoir appartenu à l’Eglise de scientologie, elle fit des déclarations à l’emporte-pièce contre la Chine après le tremblement de terre qui frappa le Sichuan et fit 80 000 morts. Selon elle, la cause du séisme était un «mauvais karma» parce que Pékin malmenait le Tibet. Le régime piqua la mouche, boycotta ses films et toutes ses campagnes de pub.
Par la suite, on apprit qu’elle n’avait jamais fait partie de Mensa, une école pour surdoués qu’elle prétendait avoir fréquentée. Elle reconnut avoir menti et sentit le vent tourner. «J’ai attrapé la maladie de la quarantaine», dira-t-elle. Ajoutant à l’intention des jeunes actrices: «Apprendre à survivre est ce qui compte avant tout.» Elle qui frôla la mort à deux reprises en sait quelque chose. Une cicatrice lui traverse le cou, visible sur ses images postées récemment. Ce douloureux souvenir de jeunesse est le résultat d’une balade à cheval au cours de laquelle elle heurta accidentellement une corde à linge et faillit mourir étranglée.
En 2001, Sharon Stone fut hospitalisée d’urgence à la suite de violents maux de tête. Les médecins diagnostiquèrent un accident vasculaire cérébral. Il lui fallut deux ans pour réapprendre à parler et à marcher. «Ça a été la chance de ma vie», dira-t-elle.
Devenant mère de trois garçons, elle modifia l’ordre de ses priorités. Aujourd’hui, Roan, l’aîné, adopté avec Phil Bronstein, son second mari, a 19 ans, Laird, né d’une mère porteuse, en a 14 et Quinn, qu’elle adopta seule, a 13 ans.
Un peu trop seule à son goût, Sharon Stone n’hésite pas à fréquenter les applications de rencontre. Du moins a-t-elle tenté de le faire. Sur Bumble, c’était en décembre dernier. Elle le fit savoir avec humour lorsque l’accès lui fut refusé: «Des utilisateurs ont rapporté que ça ne pouvait pas être moi. Ne me laissez pas en dehors de la ruche!» Avec plus de 21% de fréquentation, l’application a fait son miel depuis que chacun vit chez soi. On ne sait pas si Sharon, reine des abeilles un temps ostracisée, a toujours le bourdon du célibat. Au temps de sa splendeur, elle déclarait: «Si je pouvais taxer de 2 dollars tous les hommes qui prétendent avoir couché avec moi, je serais riche jusqu’à la fin de mes jours.»