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Shania Twain: «La musique m’a sauvé la vie»

La superstar canadienne de la country pop installée dans le canton de Vaud n’avait encore jamais ouvert ses portes à la presse en vingt-trois ans. Pour L’illustré, Shania Twain fait une exception. Récit hallucinant de la vie d’une résiliente, entre triomphes et échecs.

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Alexander Harbaugh
Dana Didier

Avant de pénétrer chez la superstar canadienne Shania Twain, figure mondiale de la country pop domiciliée à La Tour-de-Peilz, il faut franchir deux portails. Elle a dessiné le second, orné d’un feuillage en métal. On retrouve le motif sur la porte d’entrée de sa villa aux murs jaune pâle. Trois chiens déboulent et vous escortent depuis la cour jusqu’au vaste séjour ouvert sur la véranda. Un piano trône devant le portrait géant de la chanteuse dans l’un des salons en enfilade. Le jardin en pente douce donne sur le lac et les montagnes, le Grammont et les Dents-du-Midi. L’écrin abrite une piscine turquoise à l’ombre de palmiers.

Pieds nus, en leggings pattes d’ef noirs et haut blanc, la maîtresse de maison taille ses rosiers aux senteurs citronnées: «Bonjour», fait-elle avec un sourire éclatant. L’artiste, dont l’album «Come On Over» est le plus vendu de l’histoire de la musique country, s’est mise au français il y a dix-sept ans. Celle que tout le monde appelle Eilleen, son vrai prénom, rejoint la cuisine, où elle avale un sandwich en attendant ses invités. Les Knie arrivent d’une minute à l’autre. «Ils sont comme moi, des enfants de la balle.» Avec eux, son ami Thierry Amsallem, président de la Fondation Claude Nobs, et Mirko Manfredi, son compagnon.

Installée dans la région depuis vingt-trois ans, Shania Twain, née Eilleen Regina Edwards, cultive la discrétion. Lorsqu’on lui demande si nous sommes bien les premiers représentants de la presse qu’elle reçoit depuis qu’elle a décidé de venir vivre en tout anonymat dans le canton de Vaud, elle rigole. «Oui, c’est vrai! Mais je ne cherche pas à faire des mystères.» D’aucuns la reconnaissent à la Coop. «J’ai toujours promené mon garçon dans sa poussette et je l’amenais à l’école comme toutes les mamans.» Si elle figure chaque année dans le classement des 300 plus riches de Suisse, les portes de son intimité ne s’étaient encore jamais entrouvertes. En revanche, celles de sa vie privée ont volé en éclats lors de sa séparation d’avec le célèbre producteur Robert John «Mutt» Lange.

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Dans le jardin de sa villa de La Tour-de-Peilz, le 6 septembre dernier, Shania Twain taille ses rosiers.

Alexander Harbaugh

Il a été sa moitié dans tous les sens du terme. Son époux, peu de temps après leur rencontre, et le co-auteur de ses tubes, «Man! I Feel Like a Woman» entre autres. A sa sortie en 1997, «Come On Over» fait un triomphe historique – c’est le neuvième disque le plus vendu aux USA – et planétaire.

Dans ses clips, Shania incarne alors une femme libérée et sexy en cuissardes, entourée d’hommes-objets à torse nu. Ses succès avec «Mutt» Lange, l’homme d’AC/DC, de Lady Gaga et de Muse, vont générer une fortune estimée entre 350 et 500 millions de dollars. Le couple semble inoxydable, jusqu’au jour où la mécanique amoureuse se grippe. Monsieur part avec la secrétaire, confidente intime et bras droit de sa femme, elle-même mariée au Vaudois Frédéric Thiébaud.

La séparation fut annoncée en 2008, le divorce prononcé en 2010. En Suisse romande, tout le monde avait eu vent du scandale sans savoir qui était Shania Twain. Victime d’une trahison brutale – «un coup de poignard dans le dos et dans le cœur» –, elle sombra dans la dépression. «Je suis partie au Canada, loin de tout. Etre trompée est une blessure qui ne se voit pas physiquement, elle vous marque de façon obsédante et vous rend très vulnérable. On ressent de la colère, de la frustration et de la tristesse.»

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Le bonheur en couple avec Frédéric Thiébaud, l’homme de sa vie, qu’elle a épousé à Porto Rico en 2011.

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Sur ce tas de cendres va pourtant éclore une romance. «Frédéric Thiébaud était surtout proche de mon mari. Nous ne nous connaissions pas bien.» Shania et lui, trompés tous les deux – «Nous avions été jetés par-dessus bord» – vont se rapprocher à travers leurs enfants respectifs, Eja et Johanna (18 ans). «Après des mois de souffrance, je me suis dit: «J’espère être aussi forte et généreuse que lui.» Nous étions deux êtres en miroir, nous nous comprenions pour être passés par la même épreuve. Chacun faisait un bout du chemin.» Il a fallu du temps avant que leur relation ne s’officialise. «J’ai fait ma demande en mariage en ballon au-dessus de la Gruyère au printemps 2010. Le vol s’est bien passé, mais l’atterrissage a été plutôt acrobatique», confie Thiébaud, amusé. Grand, souriant, le cheveu long et bouclé, il a mis un genou à terre pour témoigner son amour. «Il me demandait l’autorisation de m’aimer», commente Shania, qui avait trouvé en lui l’homme de sa vie. Le couple s’est uni à Porto Rico en janvier 2011.

Cet épisode, comme tant d’autres, illustre la faculté de résilience de Shania Twain. A 54 ans, elle dégage une fraîcheur et une énergie palpables, comme si rien n’était jamais perdu et que, même si la vie ne vous épargnait pas, il fallait saisir sa chance et troquer un mal pour un bien. «Je suis fière de ce que j’ai accompli; I survived!» dit-elle. Frédéric, 49 ans, est un ancien cadre de chez Nestlé passé chez Nespresso à l’international. Homme d’affaires aguerri, il a repris sa liberté. «C’était indispensable si nous voulions nous retrouver. Nous étions l’un comme l’autre en permanence entre deux avions.» Désormais, il l’accompagne en tournée. «Je supervise la coordination entre les différents corps de métiers, Shania a les mains libres pour gérer l’artistique», dit-il avant de s’interrompre.

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Dans le jardin, le jeune Ivan Frédéric Knie défait le licol d’Hermès avec Shania. Frédéric Thiébaud, bon photographe, n’a rien raté de la scène.

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Une drôle de caravane vient d’arriver. Mary-José Knie et son petit-fils Ivan Frédéric ont une surprise pour la country girl. Voici Hermès, un cheval de haute école noir ébène. Ce frison hollandais paraît sûr de son effet. «Il est beau et il le sait», confirme Ivan. Avec sa crinière et sa queue ondulées, l’animal possède une robe qui se détache sur le gazon vert tendre. L’autre passion de la maîtresse de maison, ce sont les chevaux. Elle en a monté d’innombrables et même sur scène. «Attention, c’est une Ferrari!» prévient Maycol Errani, le maître d’écurie du cirque. «Des Ferrari, j’en ai eu pas mal», rétorque Shania. Elle assure sans étriers. Au château de Sully (VD), son ancienne demeure, elle en possédait une dizaine. Lorsque Maycol ordonne «Hoch!», Hermès se cabre. En showgirl avisée, Shania aime ça et elle a même un œil sur le photographe: «Keep shooting! Clic, clic, clic!» lance-t-elle. Thierry Amsallem est bluffé.

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A Caux, dans le chalet de Thierry Amsallem et Mirko son compagnon, Shania et Fred dégustent une fondue.

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Ce soir, il invite le couple dans les chalets de Claude Nobs à Caux. Cet été, entre le Grillon et le Picotin, hauts lieux de l’histoire du Montreux Jazz, Shania Twain a été une ambassadrice cinq étoiles pour Bon Iver, Tom Jones, Joan Baez, Janet Jackson, Rita Ora, Slash ou encore le barbu Billy Gibbons de ZZ Top.

Là-haut, Amsallem a aménagé pour elle un petit mazot. Lorsqu’elles découvrent ce lieu de carte postale à plus de 1000 mètres, sa vue panoramique à couper le souffle, les vedettes de passage la jalousent gentiment. «Le chanteur George Ezra m’a demandé s’il pouvait revenir avec sa femme», s’amuse-t-elle. L’été musical a été particulièrement fructueux pour Shania. «Il y a eu Montreux, ses concerts et les jam-sessions à 2h30 du matin avec Janelle Monae, Lizzo, Quincy Jones. Et je me suis rendue trois fois à la Fête des vignerons. Quelle source d’inspiration pour moi!» dit-elle.

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Shania Twain ambassadrice et hôte du Montreux Jazz cet été, ici avec Joan Baez et Billy Gibbons, de ZZ Top.

DR

Son souhait serait de perpétuer l’esprit de celui qu’elle a connu en 1997 et qu’elle surnomme «oncle Claude»: le légendaire Claude Nobs, qui a accueilli sur la Riviera les Rolling Stones, David Bowie ou Freddie Mercury. «Il m’a initiée à la Suisse et à ses merveilles; ce qu’il y a de meilleur et notamment le fromage qui fond. J’adore la raclette! Il savait recevoir, établissait la connexion entre les artistes, d’Ella Fitzgerald à Prince.» Le Kid de Minneapolis correspondait avec Shania, mais ils ne s’étaient encore jamais rencontrés. «Un jour, à la demande de Claude, j’ai rejoint Prince en tongs depuis chez moi. Prince m’a dit: «Tu as des pieds magnifiques!» Il voulait produire mon album. Avec lui, vous étiez en présence d’un pur génie. Pour ça, Montreux est un bijou.»

Au décès de Nobs, en 2013, elle a ressenti un manque. «Il ne faut pas que ce lieu chargé d’histoire reste un endroit du passé.» Thierry Amsallem la connaît bien. «Il y a Shania Twain et Eilleen», dit-il. L’artiste et la femme. La première, avec cinq Grammy Awards et plus de 100 millions d’albums vendus, n’a plus rien à prouver. La seconde a surmonté des drames insoupçonnés. Elle ne laisse rien deviner de ses cicatrices intérieures. «J’en parle sans tabou. En témoignant, je souhaite montrer aux autres comment j’ai surmonté mes problèmes», dit-elle. Oubliant les paillettes, elle accepte de se replonger dans son enfance.

Tout commence au Canada, à Timmins, en Ontario, où elle grandit dans un environnement hostile et glacé. «Je viens d’un milieu très pauvre. Je n’ai jamais connu mon vrai père, il nous a abandonnés lorsque j’avais 2 ans.» Sharon, sa mère, va se remarier avec Jerry Twain, alcoolique et violent. Le couple et les cinq frères et sœurs vivent dans une seule pièce. Shania dort à même le sol sur une dalle en béton. «Ils ne pouvaient pas payer le loyer. Nous déménagions sans cesse; j’ai changé d’école 17 fois.» Shania a manqué de tout. De quoi se changer, se laver et se nourrir. A midi, elle se contentait d’une pomme ou de tranches de pain, beurre et moutarde. «A la récréation, je restais en classe avec ma guitare, je prétendais m’exercer. En réalité, je jouais avec les mots et les sons pour oublier ma faim. J’avais honte de me mêler aux autres à cause des odeurs corporelles, des trous dans mes habits. L’hiver, je n’avais même pas de chaussures adéquates. Nous gelions.»

Le soir, la précarité avive les tensions familiales. Les violences conjugales nocturnes sont terrifiantes. Un soir, Jerry cogne la tête de sa femme sur la céramique des WC et la plonge dans la cuvette. Shania, 11 ans, la croit morte. Elle s’interpose en fracassant une chaise sur le dos de l’agresseur, qui la frappe à la mâchoire. Pour la première fois, elle rend les coups. «Aujourd’hui encore, dit-elle, si deux personnes se battent, j’interviens. C’est plus fort que moi.»

En face de nous, Shania l’adulte, jambes croisées, paraît indemne. «C’est dur de comprendre comment j’ai réussi à rester stable en grandissant dans cet environnement. D’une certaine façon, c’était devenu normal pour nous. Je n’ai pas de colère. J’ai pardonné…» Elle s’était juré d’aider les autres si un jour elle gagnait suffisamment d’argent et elle a tenu promesse. Sa fondation, Shania Kids Can, gérée par son mari, vient en aide aux plus démunis dans le but de les extraire du cycle infernal: pauvreté, violence et isolement. «Il faut profiter du temps de présence des enfants à l’école pour leur donner le choix, leur fournir de quoi se laver, se changer, faire leurs devoirs et manger afin de les sortir de ce qu’ils pensent être une fatalité.»

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Shania Twain, ici avec son mari dans le salon où trône son piano, a retrouvé le sourire.

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La musique fut son salut. Un exutoire et un refuge. «Je partais seule avec ma guitare dans la forêt immense. C’était ma façon d’échapper au réel.» Shania chante depuis l’âge de 3 ans. «La première mélodie dont je me souvienne est "Twinkle, Twinkle, Little Star". Très vite, j’ai compris que ma voix était un instrument.»

Elle n’a que 8 ans lorsque, contre une poignée de dollars, elle se produit dans des clubs sordides. «Les clients faisaient provision d’alcool. A minuit, le bar fermait et j’entrais en scène. Mes parents restaient à proximité. Je voyais défiler les strip-teaseuses. Des bagarres éclataient, les bouteilles jetées contre les murs explosaient. C’était extrême et traumatisant.» Avec son cousin, elle a appris ses premiers accords. «J’étais devenue la petite chanteuse de la communauté. J’ai écrit mes premières chansons à 10 ans, habitée par le besoin de m’en sortir.»

Une urgence et un juste pressentiment. En novembre 1987, ses parents se tuent dans un accident de voiture. Shania a 22 ans lorsque la police lui demande de reconnaître les corps. Ejecté du véhicule, son frère Mark, 14 ans, est le seul survivant. Elle devient soudain cheffe de famille. Un rôle assumé pendant six ans. Elle est appelée à régler la succession, on lui parle d’hypothèques. Sa sœur aînée, partie fonder une famille, est hors de portée. «J’étais perdue. Je n’avais personne.» Elle va élever ses frères Mark et Darryl et s’occuper de Carrie, la dernière. Que faire? Poussée par son instinct, Eilleen va se réinventer et devenir Shania. Ce prénom d’origine indienne signifie «je suis mon chemin». Dans la région, sa voix fait sa réputation. La chance est au rendez-vous lorsqu’elle décroche un contrat discographique chez PolyGram. «La musique m’a sauvé la vie!» Et celle des siens, qu’elle met à l’abri.

Sa carrière, Shania Twain l’a construite pierre par pierre, des bars locaux aux stades de 100 000 personnes. En quatre albums, de 1993 à 2002, elle a tutoyé les plus grands, d’Elton John à Céline Dion. En 2003, un mal sournois la contraint au silence. Une parenthèse de treize ans. «J’ai contracté la maladie de Lyme en Virginie, après avoir été mordue par une tique.» Sa voix se dérobe: les médecins diagnostiquent une dysphonie. «Les nerfs permettant d’actionner mes cordes vocales étaient paralysés à 20% d’un côté et à 10% de l’autre, suffisamment pour en déstabiliser le contrôle.»

La rééducation à laquelle elle s’astreint la prive du plaisir de chanter. «Il me fallait entre deux et trois heures d’échauffement avant un show. C’était devenu impossible…» Shania songe à se retirer avant de recourir à une laryngoplastie. «On m’a ouvert la gorge et posé des implants en Gore-Tex.» Son timbre légèrement modifié, elle repartira de plus belle. «Lorsque vous signez pour 110 dates, revenir en arrière est impossible. Il n’y a rien de mieux qu’une deadline!»

En 2017, son public la retrouve. Elle écrit et sort son premier album toute seule. Now s’inspire de sa séparation. Le prochain est prévu pour 2020. Le soir de notre rencontre, dans l’intimité de l’auditorium high-tech du Picotin, Shania Twain nous en dévoile les maquettes d’inédits, cinq diamants bruts. «J’ai retrouvé confiance en moi. Je suis heureuse, je nage en plein bonheur familial. Mais je suis toujours la petite fille dans la forêt…»

Deux jours après, elle s’envolait pour Las Vegas afin de préparer «Let’s Go!». Ce show en résidence au Zappos Theater démarre le 6 décembre. En mars prochain, elle sera au cinéma, aux côtés de Gary Sinise, dans «I Still Believe». La plus Vaudoise des Canadiennes est prête comme jamais à en découdre avec son destin.

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Ne penser à rien d’autre qu’au bonheur: Shania Twain prend le temps de vivre sur la terrasse de sa villa. A ses côtés, Loona, le berger blanc d’Eja, son fils.

Divers

Par Dana Didier publié le 28 novembre 2019 - 17:01