Dans son bureau de la Schwarztorstrasse à Berne, pas d’affiche ou le moindre symbole féministe ostentatoire. Sylvie Durrer, 59 ans, directrice depuis 2011 du Bureau fédéral de l’égalité entre femmes et hommes, privilégie le travail de longue haleine aux coups de gueule ou d’éclat. Mais cette linguiste n’en demeure pas moins une combattante.
- Un grand distributeur national s’est fait remarquer par une campagne publicitaire misérablement sexiste autour des barbecues estivaux. C’est le signe qu’il reste encore beaucoup de travail pour un bureau comme le vôtre, non?
- Sylvie Durrer: Absolument! Mais on a aussi vu dans ce cas-là que cela ne passe plus, que l’absence de sensibilité est immédiatement sanctionnée. Le sexisme est plus visible que jamais, grâce à une lucidité collective inédite et aux médias sociaux.
- Quand cette interview sera publiée, la grève des femmes aura déjà eu lieu. Vous poserez-vous alors, ou vous êtes-vous déjà posé, la question: «Et maintenant, que devons-nous faire?»
- Non, parce que si cette grève constitue un moment clé, elle s’inscrit dans un continuum. Les thématiques ne sont pas nouvelles. En revanche, nous avons toujours autant besoin de soutien public. Cette mobilisation, qu’on peut presque qualifier de mouvement social, est à cet égard très importante.
- Alors quelles sont les priorités en termes d’égalité que vous allez faire progresser, notamment grâce à l’impulsion de cette grève?
- Il y a d’abord l’égalité salariale, en faveur de laquelle le parlement a récemment adopté une loi obligeant les entreprises dès 100 employés à effectuer une analyse régulière. Pour le Bureau de l’égalité, cela va cependant au-delà: il faut que toutes les entreprises le fassent sur une base volontaire. Il faut marteler que l’égalité salariale est un enjeu central, car elle a des impacts à court terme mais aussi à long terme, puisque les retraites des femmes sont environ de 40% inférieures à celles des hommes. C’est énorme et inacceptable. Cela implique de la précarité, voire de la pauvreté pour un grand nombre de femmes à la retraite.
- Concernant les violences faites aux femmes, comment espérez-vous réduire ce fléau?
- En Suisse, près d’un homicide sur deux est en lien avec la violence domestique. Nous devons intensifier nos actions, lever tous les tabous liés à ce phénomène. Pour cela, nous devons travailler auprès de la justice pour qu’elle comprenne mieux les mécanismes de cette violence et aussi améliorer l’aide d’urgence et l’accompagnement de ces femmes en détresse.
- Vous étiez responsable de l’égalité pour le canton de Vaud avant de diriger le bureau fédéral. Votre commentaire sur les atouts et les faiblesses du fédéralisme en matière d’égalité?
- La Confédération ne peut pas tout faire. Or certains cantons ne prennent pas leurs responsabilités. Quinze cantons seulement ont un bureau spécialisé ou une personne chargée de l’égalité, et tous ont des moyens modestes. En Suisse romande, la situation est meilleure que la moyenne suisse, grâce en particulier à des conseillères d’Etat, de gauche comme de droite, qui s’engagent sur cette question. Le fédéralisme permet aux cantons de Vaud, Fribourg, Neuchâtel et bientôt Genève de jouer un rôle de laboratoire national avec leur partenariat public-privé du financement de l’accueil de jour.
- L’avènement de l’égalité dépend-il surtout de nouvelles législations?
- Des lois existent déjà. Elles doivent être d’abord mises en œuvre avec fermeté et ensuite régulièrement adaptées au monde actuel. C’est ainsi le cas du monitoring électronique qui vise à dissuader les auteurs de violence domestique de s’approcher de leur victime. Cela passe aussi par le taux de représentation des femmes aux postes décisionnels et dans les médias. Mais pour parvenir à l’égalité dans tous les domaines, cela nécessite des changements de mentalité. En Suisse, les femmes et les hommes, jeunes surtout, se montrent de plus en plus sensibles à cette question. En revanche, dans d’autres pays, on observe des reculs, sur l’avortement par exemple, ou le retour de discours sexistes décomplexés. Il faut donc faire constamment preuve de vigilance, car, en matière de droit des femmes, rien n’est encore acquis.
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