- Qu’est-ce qui vous a attirée vers les métiers de l’image?
- Séverine Barde: Mon père était réalisateur à la TSR et ma mère était monteuse. C’était un milieu dans lequel je baignais. Quand j’avais 5 ou 6 ans, on m’a offert un appareil photo et, pour chaque photo, il y avait une discussion avec mon père sur le cadre et la lumière selon l’heure de la journée ou l’emplacement du soleil. Cette réflexion par rapport à l’image m’a donné envie de partir dans ce domaine-là.
- Quel était le modèle de ce premier appareil photo?
- C’était un petit Instamatic Kodak où on ne pouvait pas faire grand-chose à part appuyer sur le bouton. Par contre, réfléchir, on pouvait le faire.
- Quels étaient vos premiers sujets photographiques?
- Comme mon père faisait pas mal de films d’ethnographie, c’était beaucoup de monuments. J’ai fait beaucoup de photos de pierres, des temples romains, des temples grecs. Parfois, la famille prenait la pose. Les conseils de mon père venaient surtout face aux monuments qu’on visitait. Ces sont des conseils de base qui restent vrais à chaque photo: regarder d’où vient la lumière. C’est aussi simple que ça et aussi compliqué que ça.
- Peut-on traiter tous les sujets par l’image?
- Je pense qu’on peut tout montrer. Mes interdits à moi, c’est d’être irrespectueuse. C’est important qu’il y ait une confiance et qu’on soit dans l’échange. La personne en face de la caméra a le droit de ne pas tout dire ou de ne pas tout montrer. Sa limite sera la mienne. Ce principe-là, pour moi, il est vital, il est fondamental.
- D’où vous est venue l’idée d’aller filmer une classe pendant quatre ans pour «Grandir»?
- Le film est né de discussions que j’avais eues avec une amie, Nahed, l’enseignante qui a les enfants en première et deuxième. Elle me racontait ce qu’elle faisait dans sa classe, les événements qui s’y passaient, ses principes pédagogiques, etc. Je me suis dit que ce serait vraiment chouette d’en faire quelque chose. Les enfants sont livrés à eux-mêmes pour la première fois de leur vie sans les parents, donc leur rapport à la société et aux autres devient très différent de ce qu’ils ont connu avant. Ça me rappelait ma propre enfance, ou ça me mettait face à ma réalité sur le moment, parce que, même si on est plus âgé, on a la même âme face à la nouveauté. Ce n’est pas réservé aux petits de grandir.
- Quel souvenir gardez-vous de vos premières années scolaires?
- J’ai eu une jolie enfance dans un village à la campagne. C’était assez communautaire, il y avait beaucoup de liberté. J’allais à pied à l’école, les copains venaient jouer à la maison. L’école était très ludique. J’ai un bon souvenir de la partie primaire. Je trouvais que c’était un moment joyeux où il y avait un réel plaisir à découvrir les choses.
- Quel jour aimeriez-vous pouvoir revivre?
- Quand j’étais petite, on allait souvent manger en famille au restaurant de l’aéroport. Il y avait de la musique live et on pouvait voir les avions décoller. Un jour, je devais avoir 5 ou 6 ans, je me suis approchée pour regarder le groupe de musiciens. La chanteuse m’a demandé mon prénom, je le lui ai donné et je suis allée me rasseoir. Et puis elle a commencé à brailler mon nom dans ses chansons et je l’ai pris comme une trahison ultime! Rétrospectivement, je me dis que c’était chou.
- Quel événement a changé votre vie?
- Quand j’ai décidé de partir étudier à l’Institut des arts de diffusion, en Belgique, j’étais sûre que je serais recalée au concours d’entrée. J’ai même oublié de rappeler l’école. Au dernier moment, alors que les cours devaient commencer le lendemain, j’ai pensé à appeler. Je m’y vois encore: j’étais dans une cabine téléphonique de la rue du Mont-Blanc, en dessous de la gare, et on m’a annoncé que j’étais prise. C’était la panique totale! Il fallait quitter Genève, ça devenait concret. C’était une épreuve et en même temps ça a tout changé parce que j’ai fait des rencontres décisives pour la suite de ma carrière.