Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai l’impression d’avoir 77 ans depuis que je suis né», avouait récemment au journal italien La Repubblica l’acteur et réalisateur américain Sean Penn, qui a eu 60 ans le 17 août. Une énième pirouette dans la bouche de cet indomptable que sa nouvelle épouse Leila George, la troisième, de trente-deux ans sa cadette, espère bien assagir. Malgré les rides au front, le marginal d’Hollywood a conservé l’impétuosité de sa jeunesse. Espérons pour sa tendre moitié qu’il n’a plus le coup de poing facile…
«Mon père était un esprit indépendant, confia-t-il un jour, et cet esprit imprégnait notre maison.» Sean Penn a toujours farouchement défendu ce trait de caractère. «Mes valeurs relèvent de mon instinct.» Un chien fou, craint et admiré. Pétri de contradictions, capable à la fois de réclamer une législation fédérale plus sévère en matière d’acquisition d’armes et de posséder plusieurs flingues, Sean Penn est une forte tête. Américain jusqu’à l’os. «L’Amérique est mal en point, observe-t-il, mais je lui resterai fidèle jusqu’au bout.»
Entier, généreux, excessif, ses faits et gestes ont souvent nourri la polémique. En 2002, il s’offre pour 56 000 dollars une pleine page dans le Washington Post pour laminer George W. Bush. Il milite contre la guerre en Irak, se rend en Iran en 2005 pour le quotidien San Francisco Chronicle, récidive à Cuba en octobre 2009 avec, à la clé, une interview exclusive de Fidel Castro qui le fascine autant que le leader vénézuélien Hugo Chavez, son pote, disparu en 2013 et enterré à Caracas en sa présence.
Courant 2015, Sean Penn avoue regarder sur internet les vidéos d’exécutions tournées par les djihadistes de Daech. «Pour ouvrir les yeux» de l’opinion publique, il plaide pour leur diffusion dans les JT. Incompréhension. En janvier 2016, alors que son propre fils se bat contre des problèmes de drogue, il publie dans le magazine Rolling Stone un entretien avec le narcotrafiquant mexicain El Chapo, rencontré en cavale. Son espoir? Nourrir le débat sur l’échec de la politique antidrogue ultra-répressive menée par les Etats-Unis. Un fiasco. Il se montre plus inspiré lorsque, dans le sillage du film «Harvey Milk» (2009), l’histoire vraie d’un leader gay assassiné en 1978 à San Francisco, il défend ardemment les droits des homosexuels. Imitant son idole Robert De Niro, il nourrit aussi de fréquentes salves contre le président Trump, telle celle-ci, en 2018: «L’indignité de sa propre flamboyance et de son cerveau mineur déprécie l’air que nous respirons.»
A l’instar du cinéaste Oliver Stone ou du couple Tim Robbins-Susan Sarandon, Sean Penn soutient la gauche dure du Parti démocrate. Idéaliste, élevé dans la laïcité par des parents qui étaient d’ascendance juive russe et lituanienne du côté paternel, catholique et italo-irlandaise du côté maternel, Sean Penn se revendique agnostique: une singularité à Hollywood.
Pilote héroïque de la Seconde Guerre mondiale devenu réalisateur de cinéma et de télévision, Leo Penn, son père, disparu en 1998, a figuré dans les années 1950 sur la liste noire du sénateur McCarthy, anticommuniste dogmatique. Sa mère, l’actrice et artiste peintre Eileen Ryan (née Annucci), 93 ans aujourd’hui, a encouragé ses trois fils à suivre leur propre route. Michael, l’aîné, est devenu musicien, les deux autres, acteurs, jusqu’au décès de Chris, le cadet, en 2006.
En 1974, à 14 ans, Sean Justin Penn apparaît dans «La petite maison dans la prairie» sans être crédité au générique. Il découvre le théâtre et fréquente le même cours d’art dramatique que Michelle Pfeiffer. Le cinéaste Harold Becker le recrute avec Tom Cruise pour son film «Taps» (1981), mais il se fait surtout remarquer deux ans plus tard dans la comédie pour ados «Fast Times at Ridgemont High», avec Nicolas Cage et Forest Whitaker, puis dans «Bad Boys», où il campe un jeune rebelle enclin à la violence. Une image qui se renforce encore dans l’excellent «Colors» (1988) de Dennis Hopper, où il joue un jeune flic confronté aux gangs de L.A. aux côtés de Robert Duvall.
Doté d’une présence folle, Sean Penn est le seul acteur masculin, avec Jack Lemmon, à avoir obtenu un prix d’interprétation à Cannes, à Venise et à Berlin: le grand chelem. Il a aussi récolté deux Oscars, pour «Mystic River» (2003) de Clint Eastwood et «Harvey Milk» (2008) de Gus Van Sant. Il est aussi brillant dans «La ligne rouge, «Outrages», «La dernière marche» ou encore «Accords et désaccords». «J’aime le métier d’acteur, confie-t-il, mais de l’extérieur. Intérieurement, c’est un travail qui vous lamine. Il faut ensuite recoller les morceaux.» Avec lui, la réalité rejoint souvent la fiction.
En juin 1987, alors qu’il tourne «Colors», il écope d’une peine de 60 jours de prison ferme pour avoir fracassé une chaise sur un figurant alors qu’il se trouvait déjà en période probatoire pour violence. Détenu modèle, il ne purgera finalement que trente-deux jours. Sa détention l’a-t-elle guéri? Durant vingt ans, il fait profil bas, mais en octobre 2009, il se déchaîne de nouveau sur un paparazzi. Verdict: 3 ans de mise à l’épreuve et 300 heures de travaux d’intérêt général.
Sur le terrain, Sean Penn sait se montrer généreux, comme lorsqu’il se précipite à La Nouvelle-Orléans après le passage de l’ouragan Katrina. Le séisme qui dévaste Haïti en janvier 2010 l’incite à créer sa propre ONG, la JP/Haitian Relief Organization, aujourd’hui dénommée CORE (Community Organized Relief Effort). Durant des mois, elle soutient les désœuvrés de Pétion-Ville. Face à la vague actuelle de Covid-19 aux Etats-Unis, son association se démène pour distribuer des tests de dépistage gratuits à New York, à Los Angeles, à Chicago et à Atlanta.
Personnage complexe et déroutant, Sean Penn fascine, comme feu Marlon Brando avant lui, dont il partage l’intérêt pour l’environnement, le sort des minorités ethniques, les questions de culpabilité et de résilience qu’il aborde en qualité de cinéaste dans «The Indian Runner» (1991), «Crossing Guard» (1995), «The Pledge» (2001) et encore «Into the Wild» (2007).
Sean Penn a beau tracer sa voie seul, il déteste la solitude. Au sujet des femmes, il confie en 1995: «J’ai toujours pensé que leur grand défaut était leur manque de discernement dans le choix des hommes… J’ai souvent eu envie de leur dire: «Si tu es si parfaite, qu’est-ce que tu fous avec moi?» A 22 ans, il connaît son premier grand amour avec l’actrice et photographe Pamela Springsteen, sœur du rocker Bruce Springsteen, mais leur projet de mariage tombe à l’eau.
Elizabeth McGovern, rencontrée sur le tournage des «Moissons du printemps» (1983), lui succède, suivie de la chanteuse Jewel et de Susan Sarandon, de quatorze ans son aînée. Sean Penn aime séduire, mais il a l’alcool mauvais. La reine de la pop Madonna, qu’il épouse en premières noces le 16 août 1985, porte plainte pour coups et blessures au bout de trois ans. Leur divorce intervient le 14 septembre 1989.
Il succombe à la belle Robin Wright en tournant Les anges de la nuit (1990). Coup de foudre réciproque. Six ans plus tard, ils se marient après avoir vu leur maison de Malibu ravagée par un feu de forêt en novembre 1993. Séparations et réconciliations vont rythmer leur union, jusqu’au divorce définitif en juillet 2010. Robin Wright a réussi le tour de force de le transformer en père concerné. Ils ont deux enfants: Dylan Frances, née en 1991, et Hopper Jack, plus jeune de deux ans.
Après son second divorce, plusieurs femmes vont partager sa vie: la top-modèle Jessica White, 25 ans, l’actrice Scarlett Johansson, la productrice Shannon Costello, la star sud-africaine Charlize Theron enfin qui, en janvier 2014, le décrit comme «l’homme de [sa] vie». Ils vont pourtant se séparer.
Depuis l’automne 2016, Sean Penn fréquente l’actrice Leila George, 28 ans, fille de Vincent D’Onofrio – l’inspecteur Goren de la série «New York, section criminelle» – et de l’actrice Greta Scacchi. Une blonde. Encore. Ce troisième mariage pour lui a été célébré très discrètement le 30 juillet. Une fuite sur les réseaux sociaux – les félicitations d’une amie du couple – a tout révélé.
A 60 ans, Sean Penn fonde un nouveau foyer. Ses deux enfants sont au générique de «Flag Day», son nouveau film. Un petit miracle pour le cadet qui, il y a dix ans, a été sauvé in extremis par les neurochirurgiens après une terrible chute de skateboard. A l’époque, marqué par le divorce douloureux de ses parents, Hopper avait plongé dans la toxicomanie. «Je consommais pas mal de choses, mais la méth est la drogue qui m’a fait tomber le plus bas», confiait-il au printemps 2017. Son père lui a alors posé un ultimatum. «Il m’a dit: «Tu choisis: soit tu pars en cure de désintox, soit tu finis sous un abribus…» Hopper s’est soigné, mais un an plus tard, il s’est de nouveau fait arrêter en possession de drogue. Hollywood regorge de ces histoires sordides. En lui tendant aujourd’hui une perche au cinéma, Sean Penn espère protéger son garçon et se donner une chance de réussir, enfin, un mariage.