Un lustre. Cinq ans déjà que Michael Schumacher, Corinna, son admirable épouse, Gina Maria et Mick, leurs enfants de 21 et 19 ans, vivent au quotidien le drame d’un mari et d’un père terrassé par ce qui n’aurait pu être qu’une banale chute à ski lors d’une balade hors-piste. Une faute de carre, une petite cabriole «à faible allure» selon les enquêteurs, rien de bien méchant à priori. Surtout pour un skieur et un sportif de son niveau. Sauf qu’au cours de sa chute, le champion allemand a heurté une pierre avec sa tête. Sur ses lattes comme au volant de ses bolides, Schumi portait un casque.
Pourtant, le «Baron rouge», comme on le surnomme depuis qu’il a ramené cinq couronnes mondiales à Ferrari, ne se relèvera pas. Bien que la Faculté et la famille n’aient jamais officiellement confirmé cette version, il semble en fait que ne ce soit pas le choc contre le rocher qui a provoqué le grave traumatisme crânio-cérébral qui l’a laissé handicapé, mais le petit tube en métal qui fixait la GoPro à son casque. Celui-ci aurait transpercé le couvre-chef et provoqué son éclatement. Une information divulguée dix mois après l’accident par le journaliste français Jean-Louis Moncet, spécialiste de la F1, qui assure l’avoir reçue de Mick, le fils du pilote de F1 le plus titré de l’histoire, qui retrouva le premier son père inanimé sur la piste. Après plusieurs interventions chirurgicales, six mois passés dans un coma artificiel au CHU de Grenoble, puis un séjour de deux mois et demi au CHUV de Lausanne, l’infortuné champion poursuit depuis sa lente convalescence dans sa propriété de Gland.
«Michaël voulait disparaître»
Mais quatre ans après son retour à sa somptueuse propriété de 17 hectares, où le couple a fait construire une maison de 2200 mètres carrés, en 2004, son état de santé continue de susciter des interrogations et d’inspirer l’inquiétude chez ses millions de fans. Il est vrai que les statistiques n’incitent guère à l’optimisme. Dans la majorité des cas de traumatismes crâniens graves avec lésions cérébrales diffuses, le risque de séquelles majeures, voire de décès, est élevé. En outre, à 50 ans, qu’il fêtera le 3 janvier prochain, Michael Schumacher est considéré comme âgé du point de vue des neuro-réanimateurs (lire ci-après l’interview du neurologue zurichois Erich Dieterer).
Jusqu’ici, l’entourage du champion a constamment soufflé le chaud et le froid, donnant des bribes de nouvelles rassurantes avant de doucher l’enthousiasme de ceux qui évoquent parfois des progrès significatifs. En réalité, selon les spécialistes, l’ex-as du volant est sans doute enfermé dans un état végétatif, raison pour laquelle sa famille le protège des regards indiscrets et cadenasse l’information.
Avec le temps, les personnes ayant accès à Schumi ont été drastiquement triées et le personnel à son chevet, une quinzaine de médecins et de thérapeutes, est non seulement tenu de respecter le secret médical, mais aussi une clause de confidentialité concoctée par les meilleurs juristes. En parallèle, Corinna a écarté sans ménagement les curieux et les visiteurs à risque, chargeant la seule Sabine Kehm, fidèle communicante de son mari depuis 2000, de dispenser les rares informations.
Lorsqu’elle est accusée de retenir les informations, l’ancienne journaliste allemande de 51 ans se justifie en assurant suivre la volonté de son patron. En mars 2016, elle confiait au journal Süddeutsche Zeitung que peu avant l’accident, Schumi lui avait dit: «Tu n’as pas besoin de m’appeler pour l’année prochaine, je vais disparaître». Ajoutant: «Je crois que c’était son rêve secret. C’est pourquoi, je veux le protéger et ne rien laisser sortir».
Nous avons contacté Sabine Kehm la semaine dernière. Elle n’a pas donné suite à notre demande, fidèle à une déclaration faite il y a trois ans déjà. «La santé de Michael n’est pas un problème public, et nous allons donc continuer de ne faire aucun commentaire à ce sujet. C’est aussi pourquoi il faut protéger sa sphère privée. Sur le plan légal et sur le long terme, chaque communiqué lié à sa santé diminuerait l’étendue de sa sphère privée». Dont acte.
«Mick a du mal à faire face»
Et inutile d’insister. Une armada d’avocats veille au grain et leur impitoyable intransigeance dissuade quiconque aurait l’idée de briser l’omerta imposée par le clan. Pour avoir faussement affirmé en 2015 que Michael Schumacher pouvait remarcher, l’hebdomadaire allemand Bunte a été condamné à payer 50 000 euros de dédommagement à la famille, qui lui en réclamait le double. Quelques mois plus tard, c’est auprès du parquet d’Offenburg que Sabine Kehm déposait une plainte contre inconnu pour atteinte à la vie privée. Selon elle, un homme en possession de photos de Schumi allongé sur son lit les proposait à différents journaux en échange d’un million d’euros. Après plusieurs mois de recherches infructueuses, l’enquête fut finalement abandonnée.
En été 2017, c’est un maître chanteur de 25 ans qui menaçait de tuer Gina Maria et Mike s’il ne recevait pas un million de dollars, qui a été condamné à un an de prison par le tribunal de Reutlingen. Enfin, on se souvient qu’en août 2014, un cadre de la Rega suspecté d’avoir volé le dossier médical d’une dizaine de pages du champion lors de son transfert de Grenoble à Lausanne, s’était pendu dans sa cellule zurichoise, quelques heures avant d’être interrogé par un enquêteur du Ministère public. L’identité de cette personne n’a jamais été divulguée par la justice et sa culpabilité jamais démontrée.
Cette chasse aux fouineurs a fini par rendre la question de l’état de santé de la star tabou. C’est en tout cas le sentiment du pilote danois Nicklas Nielsen, à la fois ami et concurrent de Mick Schumacher depuis plusieurs années. Dans un entretien au tabloïd BT, le jeune pilote confie que Mick a «du mal à faire face» et qu’il est «complètement fermé» depuis l’accident: «Il ne dit pas si la situation de son père le rend triste. Il dit juste parfois que les temps sont durs.» Quant à Ralf Schumacher, le frère de Michael, ancien pilote avec qui il a également tissé des liens d’amitié, Nicklas Nielsen confie qu’il ne parle jamais de son frère aîné.
«Né pour se battre»
Malgré cette loi du silence et ses réflexes procéduriers, Corinna, qui a obtenu du Tribunal de paix de Nyon le droit de gérer les affaires de son mari, «frappé d’incapacité», sait aussi se montrer bienveillante envers les gens qui s’émeuvent de la situation. En 2014, elle avait été profondément émue par un petit irlandais de 9 ans, Aidan Gormley, qui lui avait envoyé un livre écrit en trois semaines en hommage à son idole. L’histoire d’un petit garçon parcourant le monde au volant d’une Ferrari rouge. Très touchées par ce geste, elle avait tenu à répondre personnellement au jeune écrivain: «Notre Michael est un guerrier. Il n’abandonnera jamais. Un grand merci pour tes souhaits et ton très beau cadeau. Pour notre famille, c’est un moment merveilleux».
Un message de reconnaissance qu’elle a récemment repris et adressé à un artiste allemand, Sascha Herchenbach, qui a composé un chanson intitulée «Born to Fight» (né pour se battre), en soutien à son époux. «Cela nous fait plaisir de recevoir tant de pensées bienveillantes et réconfortantes. Ces marques de soutien nous vont droit au coeur», lui a-t-elle écrit avant d’évoquer son mari. «Nous savons tous que Michael est un battant. Il n’abandonnera pas», peut-on lire sur la lettre reproduite par Bunte.
La visite d’un archevêque
Après des années de douleur, Corinna entend d’ailleurs retirer des éléments positifs de la tragédie. «Nous voudrions encourager les autres à ne jamais abandonner», a-t-elle martelé, lors du lancement d’une action intitulée «Keep Fighting» (continuer à se battre, https://www.keepfighting.ms/), en décembre 2016. «Keep Fighting cherche à canaliser l’énergie positive reçue par le septuple champion du monde de Formule 1 et sa famille comme une force pour le bien du monde», lit-on sur le texte de l’initiative, ajoutant que cela «célèbre les attitudes de «Keep Fighting» et de «Never Give Up» (n’abandonne jamais) qui sont directement inspirées par Michael Schumacher».
«Michael sent ces énergies positives et que des personnes remplies d’amour à son égard l’entourent», a affirmé la semaine dernière l’archevêque allemand Georg Gänswein, révélant avoir rendu visite à son compatriote en été 2016. «Ses joues sont un peu plus rondes mais son apparence n’a pas changé. Je me suis assis en face de lui, j’ai pris ses mains et je l’ai regardé. C’était très émouvant», a confié au journal Bild l’ancien secrétaire du pape Benoît XVI, assurant prier chaque Noël pour le bien de Schumi et des siens, que les médias allemands décrivent comme étant très catholiques. Des paroles bienveillantes, comme en livre parfois Jean Todt, le président français de la Fédération automobile internationale, l’un des rares à pouvoir régulièrement visiter son ami de longue date.
1 milliard de fortune
Le clan a brisé un silence de deux ans il y a quinze jours, en postant de façon surprenante sur le site de l’ancien pilote (http://www.michael-schumacher.de/en/fans/michael-talks/), une vidéo inédite tournée quelques semaines avant le drame. Jusque-là, Sabine Kehm n’était intervenue qu’à une seule reprise, en août dernier, pour réagir à l’information de L’Illustré selon laquelle la famille enivisageait de se déplacer sur l’île de Majorque, où elle a récemment acquis pour 30 millions d’euros une luxueuse propriété appartenant à Florentino Perez, le président du Real de Madrid.
Un investissement dans les Baléares, région très prisée du pilote avant son accident où réside Willi Weber, son manager historique auprès duquel il bâti son fabuleux palmarès et sa fortune, estimée à 1 milliard de dollars par le magazine économique américain Forbes. 30 millions d’euros, soit dit en passant, c’est le prix auquel a été vendu le jet de la star, un Falcon 2000, qui stationnait à Cointrin. Afin de tirer un trait sur sa vie d’avant, Corinna s’est également séparée du chalet de Méribel et de la maison que la famille possédait au nord d’Oslo.
La victoire dans les gènes
Il faut dire que le patrimoine du clan ne croit plus au même rythme désormais. Le coût des soins du «Baron rouge» est estimé à 150 000 francs par semaine alors que ses sponsors ont fortement réduit, voire abandonné leur soutien. Même les plus indéfectibles, comme le fabriquant de portes Hörmann et l’horloger genevois Audemars Piguet, qui a retiré de sa collection les montres en édition limitée créées à l’effigie du champion, ont fini par jeter l’éponge.
Avant eux, Jet Set, Navyboot, Rosbacher ou encore Erliny avaient eux aussi lâché l’Allemand. Seule, finalement, la société de services financiers Deutsche Vermögensberatung est restée fidèle. Après vingt deux ans, l’entreprise basée à Marburg, dans le centre du pays, où elle a créé un musée éphémère à la gloire de son champion qui fermera ses portes le 31 décembre prochain*, a néanmoins transféré son soutien à Mick, frais émoulu champion d’Europe de Formule 3 et déjà courtisé par la «Scuderia».
A croire que la victoire est génétique au sein du clan puisque de sa grande sœur, Gina Maria, est championne du monde de reining (équitation western) individuel et par équipes, dépassant ainsi sa mère, «que» championne d’Europe et depuis dix ans à la tête des sublimes installations du CS ranch de Givrins, un cadeau de son mari. Des titres et des trophées qui mettent assurément un peu de baume sur les douleurs d’un clan plus soudé que jamais, cinq ans après avoir été plongé dans le malheur...
*Une exposition permanente et gratuite des monoplaces, trophées et autres objets personnels du septuple champion du monde est ouverte à Cologne depuis le mois de juin.