C’est le début de la belle saison et les probabilités de croiser une tique sont en forte augmentation. Comme les promeneurs, Ixodes ricinus, l’espèce de tique la plus répandue en Suisse, aime les forêts de chênes et de hêtres, les charmes et les noisetiers. De nature calme et discrète, elle va s’installer à la lisière d’un bois, le long d’une sente de sanglier ou au calme d’une clairière et attendre la victime qui lui offrira un premier repas de sang, son unique préoccupation dès sa sortie de l’œuf.
Digestion avant mue
A l’état de larve, la tique est à peine visible à l’œil nu. Mais sitôt fixée sur un quelconque vertébré, elle va lentement se gorger de sang avant de se laisser tomber sur le sol pour digérer et muer. Devenue nymphe, elle mesure 1 mm à jeun et va immédiatement se mettre en quête d’un deuxième repas. De retour au sol, elle va enfin devenir adulte et pouvoir copuler. La vie des mâles s’arrête à ce stade, tandis que la femelle se cherchera un dernier repas de sang qui lui permettra de pondre.
Rudimentaire en apparence, le corps de la tique est pourtant équipé d’organes extrêmement sophistiqués. Ainsi ses huit pattes possèdent à la fois des ventouses et des crochets. Sur la paire avant, les poils sont sensibles aux vibrations et aux variations de température et, dans une dépression du tarse, un extraordinaire organe sensoriel lui permet à la fois de mesurer l’hygrométrie et de détecter les phéromones ou le gaz carbonique exhalés par les mammifères. C’est le nez de la tique. Sans yeux, elle possède néanmoins des capteurs de lumière capables de l’alerter quand une proie potentielle lui fait de l’ombre en passant.
Film d’horreur
Après s’y être accrochée et avoir choisi un endroit où la peau est le plus tendre, sa piqûre semble une séquence de film d’horreur. Avec ses puissantes chélicères, elle va, pour commencer, découper la peau puis y enfoncer son hypostome qui, avec des dents tournées vers l’intérieur, lui permettra de s’ancrer solidement. Cette opération de forage sera abondamment arrosée d’enzymes salivaires capables de détruire les cellules de la victime et de substances anesthésiantes pour qu’elle ne se rende pas compte de ce qui lui arrive.
Infos et conseils: le guide pratique sur la tique
«On peut être infecté sans être malade»
Directeur de l’Institut de microbiologie et professeur à la Faculté de biologie et de médecine de l’Université de Lausanne, Gilbert Greub fait le point sur les principales maladies transmises par les tiques.
- Parmi vos différentes activités de médecin, de professeur et de chercheur, vous faites partie du Centre national de référence pour les maladies transmises par les tiques (CNRT). Quel est son travail?
- Gilbert Greub: sur mandat de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP), nous avons pour mission de mettre à disposition des diagnostics sur les différents agents infectieux transmis par les tiques. A Spiez (BE), un laboratoire est particulièrement chargé de la méningo-encéphalite verno-estivale (l’encéphalite à tiques). A La Chaux-de-Fonds, les biologistes Reto Lienhard et Marie-Lise Tritten s’occupent en priorité de la borréliose de Lyme et c’est dans leur laboratoire que sont analysées les tiques volontairement envoyées par les personnes piquées (voir l’application et le site Zecke).
Ici, à Lausanne, nous avons réalisé il y a quatre ans une grande étude à partir de 60'000 tiques récoltées par l’armée dans 172 endroits différents de Suisse. En faisant des PCR, c’est-à-dire en amplifiant l’ADN, nous avons pu vérifier la présence ou pas de trois agents pathogènes sur ces milliers de tiques. Actuellement, en collaboration avec le Laboratoire de géographie de l’EPFL, nous travaillons sur la géolocalisation des tiques et l’établissement de cartes.
Chaque équipe développe des compétences et des visions un peu différentes, mais nous poursuivons le même but: mieux connaître les différents pathogènes transportés par ces animaux.
- Un des deux vaccins disponibles en Suisse contre l’encéphalite à tiques est actuellement en rupture de stock. Les gens cèdent-ils à la panique?
- Non, je ne pense pas. D’après le nombre de consultations, les cas de piqûre sont en forte augmentation, avec d’importants pics saisonniers – 1100 cas l’année dernière au mois de juin par exemple. En 2018, 375 cas d’encéphalites à tiques ont été déclarés. C’était trois fois plus qu’en 2015.
- Vous recommandez donc la vaccination?
- Oui, à toute personne aimant se promener dans la nature. C’est un vaccin efficace et bien toléré. Aujourd’hui, seuls les cantons de Genève et du Tessin semblent épargnés par les tiques infectées.
- Quels sont les symptômes d’une infection par le virus de l’encéphalite à tiques?
- La maladie peut comporter deux phases. Durant la première, c’est-à-dire une à deux semaines après la piqûre, il n’y a aucun symptôme ou des symptômes grippaux, de la fièvre, de la fatigue et des maux de tête. Pour la plupart des personnes infectées, la maladie s’arrête là. Mais chez environ 10% des personnes atteintes, la maladie entre dans une deuxième phase et des symptômes neurologiques (maux de tête, sensibilité excessive à la lumière, vertiges, troubles de la concentration et de la marche) apparaissent. Ceux-ci peuvent persister des semaines, voire des mois. La mortalité est de 1% et il n’existe aucun traitement spécifique. Chez les jeunes enfants en revanche, la maladie est presque toujours bénigne.
- Le vaccin protège de l’encéphalite, mais les tiques porteuses de la bactérie de Lyme sont beaucoup plus nombreuses…
- Oui, on estime que 20% à 30% des tiques sont aujourd’hui porteuses de la bactérie Borrelia burgdorferi. Mais toutes les tiques infectées ne transmettront pas la bactérie. Le risque de transmission est encore diminué si on peut limiter la durée du repas sanguin! On estime ainsi que sur 100 personnes mordues par une tique, moins de 3 d’entre elles contracteront une infection par la Borrelia. Pour les 97 autres, la morsure n’aura aucune conséquence.
- Quels sont les signes d’une infection à maladie de Lyme?
- Parmi les symptômes bien connus, il y a la rougeur ou la couleur chamois des érythèmes, qui parfois se déplacent, le fait qu’ils sont surélevés et pas forcément à l’endroit de la piqûre. Ensuite, il y a des cas de paralysie faciale, qui sont très angoissants. On observe aussi des cas d’arthrite, quand le genou est vraiment gonflé, ça n’a rien à voir avec une simple douleur, ça peut être terrible! Le lien entre ces atteintes graves et le virus de Lyme ne fait aucun doute.
- Comment les soigne-t-on?
- Avec des antibiotiques. Le taux de succès est excellent. Dans la grande majorité des cas, trois semaines de traitement suffisent et tout rentre dans l’ordre.
- La maladie de Lyme peut-elle malgré tout provoquer des affections chroniques?
- Oui, en l’absence de traitement, certaines personnes développent un deuxième stade de la maladie qui peut survenir plusieurs mois, voire plusieurs années après la piqûre. Au cours de cette deuxième phase apparaissent des symptômes qui touchent les articulations, la peau ou le système nerveux, et provoquer une paralysie faciale par exemple. C’est beaucoup plus rare, mais ça existe.
- Selon la Ligue suisse des personnes atteintes de maladies à tiques (LMT), il n’existe pas de test de laboratoire fiable qui permette de reconnaître la maladie. Qu’en est-il?
- Les analyses sont fiables pour savoir si vous avez été infecté ou pas, c’est-à-dire si vous avez développé des anticorps. Par contre, elles ne permettent pas de dire si vos symptômes actuels sont causés par la bactérie de Lyme.
- Certaines personnes présentant des symptômes de la maladie de Lyme se sentent abandonnées par la médecine et sont envoyées chez le psychiatre. Pourquoi ces polémiques?
- Une des difficultés à établir un diagnostic vient du fait que plusieurs symptômes, par exemple la fatigue chronique, les maux de dos, les douleurs articulaires, ne sont pas spécifiques à la maladie de Lyme. Si ces patients sont exposés à la forêt, leur médecin va peut-être aller chercher dans cette direction et demander une sérologie de Lyme. Comme on compte que 10% de la population est positive, la probabilité que l’on trouve des anticorps est importante et le risque est grand que l’on fasse l’amalgame entre Lyme et les symptômes du patient. Mais ça n’a peut-être rien à voir et vous pouvez tout à fait souffrir d’une autre maladie.
- Certaines tiques peuvent-elles être porteuses de bactéries que nous ne connaissons pas?
- Oui, et nous en avons découvert une en étudiant nos 60'000 tiques. Comme nous l’avons trouvée en Suisse, nous l’avons baptisée Rhabdochlamydia helvetica. Environ 1 tique sur 400 en était infectée. Cette nouvelle bactérie est classée dans le même groupe que les chlamydiae. Comme toutes les bactéries de cet ordre, elle a la particularité de ne pouvoir survivre et se multiplier que si elle se trouve à l’intérieur d’une cellule. Cela rend leur étude difficile, car il est compliqué de les faire pousser en laboratoire.
- Cette bactérie peut-elle causer des maladies chez l’homme?
- C’est trop tôt pour le dire. La recherche sur les nouveaux microbes est souvent longue et ce n’est que plusieurs années après la découverte d’une nouvelle espèce que l’on parvient à établir le rôle qu’elle joue dans telle ou telle maladie. Il est fort possible que Rhabdochlamydia helvetica soit simplement un parasite des tiques et qu’elle ne cause aucune maladie à l’homme.
«Ne jamais prendre une piqûre à la légère!»
Depuis plus de dix ans, Karin Sixt endure toutes sortes de douleurs, conséquences de deux piqûres de tique. Mais les effets chroniques de la maladie de Lyme sont souvent difficiles à faire reconnaître par la médecine.
Elle nous attend devant chez elle, un petit chalet noir aux volets rouges dominant la belle ville de Sion, et avoue aussitôt son impatience à rencontrer un journaliste: «J’en ai même rêvé quand j’étais en colère...» Aujourd’hui calme et souriante, Karin Sixt, 43 ans, a tant de choses à dire qu’elle ne sait pas par où commencer. «J’ai été piquée par des tiques en 2006, ici, près de chez moi. J’en ai trouvé une à l’aine et une autre sous le genou.» Une rougeur assez caractéristique est apparue, mais ne l’inquiète pas vraiment, d’autant plus que personne à l’époque ne lui recommande un traitement antibiotique.
Coups de fatigue
Une année plus tard, Karin se déchire le ménisque de ce genou qu’elle sent déjà affaibli. Ce sera le début d’une véritable descente aux enfers. «En 2008 et 2009, j’ai commencé à ressentir des douleurs dans le dos et dans les articulations, des maux de tête et de gros coups de fatigue.» Durant l’année 2010, plusieurs de ces maux deviennent insupportables, «mais au début, tout a été mis sur le compte du stress».
Pendant des années, Karin a tenu sur les marchés un stand d’artisanat sud-américain. Séparée du père de son fils de 15 ans, elle a alors repris une formation à la HES-SO Valais et obtenu, en 2015, son brevet de travailleuse sociale. Ce nouveau départ professionnel ne soulage malheureusement pas ses douleurs. Au contraire: «Un jour, en mai 2017, je n’ai soudain plus pu lever mon bras.» Et toujours, toutes sortes de douleurs, récurrentes, insoutenables.
Clouée au lit
Longtemps clouée au lit, Karin a régulièrement confié à l’enregistreur de son téléphone portable les souffrances qu’elle endurait. «J’avais peur que l’on ne me croie pas et qu’on me dise encore une fois que c’était à cause du stress.»
Au plus fort de ses crises, la jeune femme recense une trentaine de troubles, du simple picotement jusqu’à de véritables malaises: «Je me sentais comme saoule sur un bateau dans un hamac…» Et toujours ce sentiment insupportable de ne pas être comprise, ni même entendue par les médecins. «Dans le cas de ces maladies chroniques, s’ils ne trouvent rien en neurologie, ils vous envoient directement en psychiatrie. Et c’est un choc chaque fois que l’on vous dit que vous n’avez rien! Moi, j’ai l’impression que les bactéries ont pris possession de mon corps, mais qu’elles se cachent.» En janvier 2018, un peu désespérée, elle tente un traitement à base de cortisone, «mais ça a été pire».
Cocktail d’antibiotiques
L’état de Karin commence heureusement à s’améliorer le jour où elle appelle la permanence de la Ligue suisse des personnes atteintes de maladies à tiques (LMT, www.zeckenliga.ch). «On m’a écoutée, on a pu parler de toutes les controverses existantes au sujet de la maladie de Lyme et ils m’ont recommandé le médecin qui me suit désormais.» Selon ses prescriptions, elle a déjà suivi onze cures d’antibiotiques («comme c’est chronique, il faut y aller chroniquement») mélangés comme un cocktail, y compris des médicaments anti-paludisme. Le traitement peut inquiéter, mais selon Karin les résultats sont là: «Je vais mieux.»
Reste un petit bout de chemin à parcourir: «Je n’ose plus traverser ma pelouse à pieds nus, pour moi c’est comme un champ de mines!» Et ce conseil qui donne tout son sens à son témoignage: «Ne prenez jamais à la légère une piqûre de tique!»