Elle rit souvent quand elle parle. Mais ce que dit Sarah Atcho, 25 ans, elle le pense avec autant de sérieux qu’un brin d’amertume: «Bien sûr qu’il y a du racisme en Suisse. Je l’ai vécu depuis que je suis petite fille. Et nous, les Noirs d’ici, il est important que nous l’évoquions au sein de notre communauté.»
Le fait qu’elle soit membre de l’équipe féminine suisse du relais 4x100 m, une formation de classe mondiale, «aide parfois», admet-elle. La célébrité protège contre les remarques stupides et parfois contre la discrimination. «Mon frère aîné est bien plus touché que moi.» Quelques histoires illustrent le propos de Sarah. Comme le jour où elle a voulu ouvrir un compte à La Poste et que le préposé lui a répondu: «Tu sais qu’il faut un passeport suisse pour cela?» Ou quand elle avait son téléphone portable à l’oreille en montant dans le train et qu’un homme plus âgé lui a crié que ce n’était pas l’Afrique. Ou comment on lui a jeté au visage que le record des sprinteuses suisses ne comptait pas, puisque trois coureuses sur quatre étaient Noires. «C’est un choc à chaque fois. Cela arrive toujours de façon si inattendue que je ne peux pas répondre et que je me mets souvent à pleurer, dit-elle. Après, je suis ennuyée de ne pas avoir eu la présence d’esprit pour affronter les gens.»
Dès sa tendre enfance, Sarah a vécu ses premières expériences racistes: «Dans notre école du Mont-sur-Lausanne, j’étais la seule enfant de couleur. Les enfants sont brutaux. Ils disent toujours ce qu’ils pensent, même sur la couleur de votre peau.» Le conseil de son père de se montrer meilleure que les autres en tout, puis d’être acceptée, elle l’a pris à cœur: «Etre particulièrement gentille et drôle m’a aidée à avoir des amies. Mais, en vieillissant, les expériences négatives ont commencé à s’accumuler.» Sarah Atcho pense aussi que beaucoup de personnes ici ont tendance à trouver les bambins à la peau sombre «mignons», mais sont ouvertement hostiles aux adultes noirs.
Peut-être y a-t-il derrière cela un syndrome d’assistance envers les «pauvres Noirs», qui découle d’une certaine mauvaise conscience, pense-t-elle. Quoi qu’il en soit, elle soulève deux aspects sur les comportements racistes. Premièrement, il n’y a guère de différences entre le comportement des femmes et celui des hommes. Deuxièmement, le racisme a tendance à s’exprimer de manière plus directe et plus flagrante à mesure que l’on vieillit. «Les jeunes en Suisse manifestent souvent leur xénophobie de manière plus subtile.»
Sarah Atcho a fait l’expérience de la différence aux Etats-Unis. En 2013, elle a passé un an à étudier et à s’entraîner à l’Université de New York. «Les Américains peuvent être très directs et agressifs envers les autres groupes ethniques. C’est parfois effrayant, même si en athlétisme j’étais presque seulement entourée de Noirs. La question: «Pourquoi agissez-vous de manière si blanche?», je ne l’ai pas comprise au début.» Puis elle a saisi que, en tant que personne noire, on attendait d’elle un «comportement de ghetto», pas du tout conforme à sa nature.
Il lui est difficile d’évaluer si un changement de président aurait une quelconque influence aux Etats-Unis. «J’ai peur que le racisme soit trop fermement ancré dans l’esprit de beaucoup de gens.»
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En Suisse, les sentiments racistes envers Sarah sont particulièrement évidents dans sa relation. Son petit ami Arnaud a la peau claire, ce qui suscite sans cesse des commentaires haineux. Comme la lettre que le couple a récemment reçue. Elle disait que Dieu les punirait pour ce mélange racial.
Au moins, Sarah est heureuse que le racisme ne soit guère un problème dans les stades d’athlétisme, contrairement au football. «Peut-être que, pour les fans de football, l’amour d’un club est quelque chose de semblable à l’appartenance à un groupe ethnique. Tout ce qui est étranger devient donc dangereux», essaie-t-elle d’interpréter.
Pour Sarah Atcho, il est incontestable que la résistance non violente d’athlètes comme Colin Kaepernick est efficace. Parce qu’elle est symbolique et non agressive. «Je suis particulièrement heureuse lorsque des athlètes blancs se joignent aux manifestations. En tant qu’idoles, ils font certainement réfléchir les racistes parmi leurs fans encore mieux que nous, les athlètes à la peau sombre. J’ai trouvé que c’était un signe très fort, la solidarité de Federer avec le mouvement Black Lives Matter. Il n’a pas besoin de cela.»
Le sport peut-il changer la société? Sarah Atcho est convaincue que chaque poing levé, chaque genou sur l’herbe contribue effectivement à un monde meilleur.
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Sarah Atcho, le Lavaux à grandes enjambées