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Témoignage

Samuel Crettenand: «Je lutte pour réhumaniser les civils de Gaza»

Depuis le 12 décembre, Samuel Crettenand, militant pacifiste neuchâtelois, mène une grève de la faim pour dénoncer la guerre menée par Israël. Exhibant une pancarte indiquant le nombre d’enfants palestiniens tués, il sillonne les gares romandes pour alerter l’opinion, espérant inciter les politiques à (ré)agir. Il était dernièrement à Berne à l’occasion d’une manifestation pour la paix.

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Le pacifiste Samuel Crettenand fait une grève de la faim pour dénoncer la guerre menée par Israël.

Berne, samedi 6 janvier, 14 heures: Samuel Crettenand rejoint la manif en faveur de la paix au Proche-Orient, muni de sa pancarte et de la dépouille symbolique d’un enfant de Gaza. C’est au nom de ces jeunes victimes que le pacifiste neuchâtelois mène une grève de la faim depuis le 12 décembre.

Blaise Kormann

«La Suisse est restée muette pendant l’Holocauste, quand la guerre était à nos portes. Aujourd’hui, elle ne peut se taire vis-à-vis du génocide en cours à Gaza, où une population est décimée sans réels moyens de défense, où plus de 10 000 enfants ont été massacrés par l’armée israélienne depuis le 7 octobre.» Les termes, choisis, sont forts. Derrière ses petites lunettes ovales, Samuel Crettenand, 50 ans, yeux bleus et regard malicieux, nous reçoit, pieds nus, chez lui, près de Neuchâtel.

Un Suisse, Blanc, de culture chrétienne, qui cesse de s’alimenter pour pousser nos politiques à s’emparer du dossier gazaoui, ce n’est pas banal. «Tous les jours, quelque 140 enfants meurent à Gaza, soit un gamin toutes les dix minutes. C’est insupportable», souligne-t-il. On devine chez lui une blessure profonde, indicible, personnelle. Impossible de douter de sa sincérité. 

Depuis le 12 décembre, ce militant pacifiste ne mange plus. Un choix extrême qu’il assume, sans avoir pour autant la vocation de martyr. «Mon but est de pousser les parlementaires et, au-delà, le Conseil fédéral à réagir, tout en sensibilisant l’opinion publique dans les gares suisses au sort des enfants de Gaza.»

Pacifiste et féru d’Orient


A la tête des Editions Chaman, spécialisées dans les beaux livres, souvent en lien avec le Proche et le Moyen-Orient, ce Neuchâtelois, photographe, historien de formation et passionné d’archéologie, est un fin lettré. Tandis que son chat Kitab («le livre» en arabe), ventripotent, nous surveille posté à côté de l’évier de la cuisine, où voisinent cartons remplis de minéraux, plaques d’ardoise constellées de fossiles et bouquins – sa bibliothèque est riche de quelque 4000 livres consacrés en majeure partie à l’Orient –, ce militant pacifiste motive son action, avec humilité.  

Samuel Crettenand, militant pour les enfants de Gaza, pose chez lui en janvier 2024

Editeur, photographe, passionné d’histoire et de géologie: Samuel Crettenand pose dans son bureau encombré de carton de minéraux, devant sa bibliothèque riche de 4000 livres.

Blaise Kormann

«Mon engagement est total, souligne-t-il. Je suis étonné de voir ce que mon corps encaisse.» Tout de même, on le sent sur le fil du rasoir. Il a déjà perdu 10 kilos. «Je ne bois que de l’eau et des tisanes, d’ortie notamment, filtrées, avec un peu de vitamine B en complément. C’est tout.» Il bénéficie d’un soutien médical. Sa lucidité surprend. «J’ai les idées super claires, mais je m’affaiblis. Debout, je fatigue très vite désormais, un peu comme quand je me trouvais à 6000 mètres en Bolivie.» Après près d’un mois sans manger, rien de surprenant.

Quelques heures plus tard, on le retrouve en gare de Neuchâtel, là où il a commencé son action, posté immobile avec sa pancarte indiquant le nombre d’enfants tués à Gaza, au bas de la rampe d’accès aux quais. Un décompte morbide qu’il met quotidiennement à jour. Il est 16h25. Les trains Intercity bondés du vendredi débarquent leurs passagers. Des gens s’arrêtent pour le saluer. On lui sourit. Quelqu’un lâche un rare «Ouais, c’est ça» réprobateur en filant. 

Samuel Crettenand dénonce le sort des enfants de Gaza à la gare de Neuchâtel le 5 janvier 2024

Vendredi 5 janvier, 16h25: les pendulaires qui débarquent en gare de Neuchâtel croisent le regard de Samuel Crettenand, posté immobile avec sa pancarte dénonçant le sort des enfants de Gaza.

Blaise Kormann

Impossible de ne pas le remarquer. A Neuchâtel et à Lausanne, tout s’est bien passé pour lui. A Genève, un conciliabule improvisé entre différents services d’ordre a finalement décrété qu’il pouvait rester après de vaines tentatives d’intimidation. 

A Berne, en revanche, la sécurité privée a tenté de l’exclure après avoir saisi sa carte d’identité. Une empoignade a suivi. Il a été plaqué au sol sans ménagement, puis emmené au poste, menotté dans le dos. Durant la fouille, il a fait un malaise.«Cela faisait sept jours que je n’avais plus mangé», raconte-t-il. En cellule, le flic de service l’accuse de jouer la comédie. Samuel Crettenand exige une ambulance, qui viendra et le transférera à l’hôpital. 

Symbole palestinien malgré lui


«Ce qui m’a marqué, c’est les propos tenus par l’urgentiste durant le trajet. Elle a dit à son collègue: «Il s’est fait embarquer parce qu’il soutient le Hamas», ce qui est faux, mais c’est très éclairant sur les raccourcis que les gens font ici, sans rien y connaître. Moi, je lutte pour réhumaniser les civils palestiniens de Gaza, à commencer par les enfants.» Le pacifiste neuchâtelois a déposé plainte contre la police bernoise. L’affaire suit son cours.

Des linceuls d’enfants ensanglantés représentant les jeunes victimes de la guerre à Gaza encombrent l’entrée du Département fédéral des affaires étrangère

Action symbolique: des linceuls d’enfants ensanglantés, représentant les jeunes victimes de la guerre à Gaza, encombrent l’entrée du Département fédéral des affaires étrangères, dans l’aile ouest du Palais fédéral, à Berne. 

Blaise Kormann

D’une voix douce et posée, il raconte qu’après la sidération consécutive d’abord aux événements du 7 octobre, puis à l’offensive israélienne, il s’est retrouvé prostré et étreint d’angoisse en songeant à ses nombreux amis sur place. Il devait faire quelque chose. 

Malgré lui, il est devenu un symbole, une source d’espoir pour les Palestiniens, ceux de la diaspora comme ceux de Gaza, où 1 million et demi de civils sont maintenant entassés sur un confetti, à Rafah, tout au sud. Isolés, harcelés, à la merci de l’une des armées les plus puissantes du globe.

«Pour moi, il est essentiel qu’on ne parle plus d’éradiquer les terroristes du Hamas, ce qui n’est plus soutenable aujourd’hui, insiste Samuel Crettenand. Il s’agit d’une opération génocidaire. Et je le dis sans nourrir le moindre antisémitisme, que ce soit clair. J’ai des amis en Israël. Je ne tomberai pas dans ce piège-là.»

Sa sécurité est néanmoins devenue une vraie question. «Les petits rigolos comme moi agacent. Mon engagement m’a déjà valu pas mal de pressions.» 

Mais qui est au juste ce militant de la paix? «Je suis Bédjui, un mot qui qualifie les habitants d’Isérables (VS), dont je suis originaire, et qui est aussi une déclinaison de bédouin», explique-t-il. Après une matu en autodidacte durant laquelle il a voyagé, en Bolivie en particulier, il a étudié l’archéologie à Genève. Ses centres d’intérêt sont multiples.

Son terrain de prédilection? «J’aime à dire que je me suis pris les pieds dans le tapis d’Orient. Tout le pourtour oriental de la Méditerranée me fascine. Cela a commencé par la Grèce, puis il y a eu la Syrie, le Liban, Israël, Gaza. Au total, j’ai accumulé 15 séjours au Proche-Orient.»

Un voyageur au long cours, passionné de «biodiversité humaine», qui souligne en passant que «les populations du Levant, c’est-à-dire de la partie située entre la Turquie et l’Egypte, ont plus de proximité culturelle avec nous qu’on l’imagine». «J’ai édité en 2007 un livre sur Gaza, aujourd’hui épuisé, intitulé «Gaza à la croisée des civilisations». On l’a oublié, mais les Grecs y ont fondé des cités, on y a produit du vin, les Evangiles nous ont été transcrits en grec, etc. Tout cela, c’est Gaza. C’est la Méditerranée.»

Ouvrage consacré à l’histoire de la Palestine appartenant à Samuel Crettenand

L’un des trésors de la collection de Samuel Crettenand: un superbe ouvrage consacré à l’histoire de la Palestine, édité en 1851.

Blaise Kormann

Le Neuchâtelois a noué là-bas de belles amitiés, tant côté israélien, avec Ronen, un ancien militaire rencontré en Bolivie, que côté palestinien, à Gaza, avec Fadel, un «frère» qu’il a aussi reçu chez lui, en Suisse. «Je l’ai aussi souvent que possible au téléphone. Jamais Fadel ne dira être contre les Juifs ou même les Israéliens dans leur ensemble. Jamais. Ceux qu’ils dénoncent, ce sont les suprémacistes, les racistes, qui siègent au gouvernement Netanyahou et jouent un rôle majeur dans la guerre. Fadel n’est proche ni du Hamas, ni du Hezbollah et il n’est de loin pas le seul. Depuis le 7 octobre, on nous enfume avec cette idée que derrière chaque Gazaoui il y a un terroriste en puissance, mais c’est faux. Tout est bien plus nuancé qu’on ne le croit.»

«Il faut bien réaliser que Gaza est un ghetto, continue-t-il. C’est le terme qui convient. Et Israël en détient les clés.» Il fustige les ministres extrémistes du gouvernement israélien et «leur propagande, largement relayée dans les médias occidentaux». «Ce sont eux qui ont tué la paix et qui sont à la manœuvre dans cette guerre, les mêmes qui maudissaient Yitzhak Rabin parce que sa politique de dialogue avec les Palestiniens marquait la fin de l’idéal sioniste expansionniste.» 

Gaza est aujourd’hui l’enjeu d’une guerre de communication sans merci. «Je dénonce l’idée, largement répandue ici, que la vérité serait celle délivrée par les canaux israéliens et le mensonge l’apanage des Palestiniens, sous-entendu du Hamas», explique Samuel Crettenand. 

«Je ne porte pas de keffieh»


Le pacifiste neuchâtelois a ses propres relais sur place, à Gaza, «des gens qui bossaient dans le patrimoine culturel et témoignent avec leur téléphone portable». Leurs images insoutenables, dit-il, sont sans filtre. Elles l’ont brisé. «J’ai pleuré tout ce que j’avais jusqu’à m’assécher», avoue-t-il. 

S’il reconnaît que les messages de soutien qu’il a reçus sur les réseaux sociaux de Palestiniens de Gaza l’ont touché, il précise aussitôt qu’il «ne porte pas de keffieh» et que ce qu’il réclame, c’est la fin de la guerre.

A Genève, il a passé Noël dehors sur la place des Nations et, à Nouvel An, il a organisé un Réveillon pour la paix qui a réuni chrétiens, juifs et musulmans. «On ne voulait ni slogans ni drapeaux, insiste-t-il. L’ancienne conseillère fédérale Ruth Dreifuss est passée sans toutefois souhaiter appuyer mon action, qu’elle juge hasardeuse. L’une des expériences qui m’ont le plus marqué? Une rencontre avec une dame en gare de Genève qui s’est présentée comme appartenant à la communauté juive et qui m’a remercié en me serrant fort dans ses bras.» 

«La guerre, c’est toujours la pire des solutions, insiste-t-il. Celle-ci va engendrer des extrémistes des deux côtés pour des générations...» 

Avec sa pancarte, affichant le chiffre de 12'040 enfants tués à Gaza, Samuel Crettenand était samedi dernier de retour à Berne, où s’est déroulée une manifestation autorisée réclamant un cessez-le-feu à Gaza, qui a réuni environ 300 personnes. Cette fois encore, il s’est exprimé de manière symbolique, en portant l’effigie d’une dépouille d’enfant emmaillotée, déposée parmi d’autres devant les portes du DFAE.

Les contacts avec ses amis pacifistes israéliens ont été suspendus. «Je ne peux plus les appeler, ils m’ont retiré leur amitié sur Facebook, j’imagine par solidarité avec les soldats ou par loyauté pour leur pays. Je reste toutefois convaincu que mon ami Ronen ne soutient pas cette guerre, mais il ne le dira pas. Impossible dans le contexte actuel.»

La grève de la faim qu’il poursuit témoigne d’un désarroi certain, que Samuel Crettenand n’est pas le seul à éprouver dans notre pays. Pour lui, la Suisse ne peut rester indifférente parce que, dit-il, «détourner le regard de Gaza ou fermer les yeux revient à enterrer ces gens vivants».

Par Blaise Calame publié le 18 janvier 2024 - 07:56