Chez les athlètes de haut niveau, il y a ceux qui racontent avoir fait du sport leur métier. Et puis il y a les autres, comme Marc Rinaldi, qui ont emprunté le parcours inverse. Entrepreneur forestier de profession, ce Neuchâtelois de 27 ans figure depuis quelques années parmi l’élite mondiale. Sa discipline: le bûcheronnage de compétition. Sacré champion du monde juniors en 2014, cet amoureux fou de la forêt s’envolera dans quelques jours pour les Mondiaux de Lillehammer, où il concourra pour la première fois chez les seniors.
Marc Rinaldi nous reçoit à quelques jours de son départ en Norvège. On le retrouve devant son entreprise forestière de Chaumont, un joli village perché dans les hauts de Neuchâtel, entouré de sapins et d’épicéas. «J’ai grandi au milieu de ces forêts, j’y passe tout mon temps depuis que je sais marcher», explique le bûcheron dans son accent chaleureux. Le type est costaud. Les cals de ses mains et ses avant-bras noueux témoignent des heures passées à l’exercice de son art. «Ma tronçonneuse pèse 9 kilos. Cela nécessite effectivement une certaine condition physique, mais surtout un mental d’acier», précise Marc Rinaldi. En période de compétition, le jeune entrepreneur s’entraîne jusqu’à dix heures par semaine. Il faut bien ça pour affronter les tronçonneuses les plus affûtées de la planète.
Seul Romand en Norvège
Membre de l’équipe nationale, le Neuchâtelois sera le seul Romand aligné en Norvège. «Quatre concurrents défendront les couleurs suisses. Je pars avec deux Bernois et un Grison», explique-t-il. Les quelque 130 sportifs attendus à Lillehammer s’affronteront dans six disciplines. Le montage-démontage de la chaîne, la taille combinée et la taille de précision, l’abattage, l’ébranchage et l’estafette, sorte de relais à quatre, unique épreuve par équipes de ces Mondiaux.
Chef d’entreprise à 22 ans
Si la spécialité du bûcheron de Chaumont fut longtemps celle de l’ébranchage, il s’illustre aujourd’hui aussi dans les épreuves de taille. «Le but est de découper une rondelle comprise entre 3 et 8 cm d’épaisseur et qu’elle soit la plus régulière possible. Le tout en un temps record et en respectant des règles strictes de sécurité.» Car si la discipline peut faire sourire pour son côté folklorique, elle n’en demeure pas moins extrêmement rigoureuse. L’ébranchage est jugé au millimètre, les billons de bois sont minutieusement calibrés, et le pays organisateur est tenu d’annoncer six mois avant la compétition les essences utilisées dans les différentes disciplines. En Norvège, le Chaumonier en découdra avec du pin et de l’épicéa.
Cet après-midi, c’est sur du sapin qu’il peaufine son geste. Les mouvements sont précis, son regard est concentré. «Les variations de la luminosité peuvent modifier la perception des angles du billon. Il m’arrive de m’entraîner dans la pénombre pour habituer mes yeux à toutes les conditions possibles en concours.» Mais, au fond, pourquoi s’infliger ça? «Pas pour l’argent, en tout cas», sourit Marc Rinaldi. Aux Championnats du monde de bûcheronnage comme aux JO, les prix sont avant tout honorifiques. Le vainqueur remporte une médaille et la reconnaissance de ses pairs. Guère plus. «Mes sponsors fournissent mon équipement et couvrent mes frais de déplacement, mais c’est mon activité d’entrepreneur qui me permet de vivre.»
J’ai abattu mon premier arbre à l’âge de 11 ans
Le Neuchâtelois est devenu chef de sa propre exploitation à l’âge de 22 ans en reprenant l’activité d’un bûcheron forestier qui partait à la retraite. Aujourd’hui, le Chaumonier gère une équipe de 8 à 12 employés sur l’année. Un boulot qui nécessite une grande résistance physique. «On travaille dehors toute l’année. Il peut faire très chaud l’été et glacial en hiver. Dans notre région, on passe régulièrement des journées entières par moins 25 degrés.» Un métier qui s’est toutefois imposé comme une évidence pour ce fils d’entrepreneur forestier. «La forêt, c’est mon élément depuis toujours. Mon grand-père italien m’y emmenait tout le temps. J’ai abattu mon premier arbre à l’âge de 11 ans. J’ai ça dans le sang.»
Le chemin s’est toutefois révélé sinueux pour Marc Rinaldi. «Comme j’étais assez doué à l’école, mon père tenait absolument à ce que j’étudie. Pour moi, il n’y a jamais eu d’autre option envisageable que le bûcheronnage. Cela n’a pas été facile de devoir me battre à ce point pour choisir ma voie. Cette période m’a fortement marqué.» Mais Marc Rinaldi s’entête et décroche une place d’apprentissage au Service des forêts de la ville de Neuchâtel. Il s’illustre à 14 ans comme l’un des meilleurs apprentis de sa volée. «J’ai eu la chance d’apprendre le métier avec d’anciens bûcherons. Et puis j’avais de la facilité.» Il s’inscrit très vite à ses premiers concours. «J’ai toujours eu l’esprit de compétition. C’est dans ma nature. Peut-être parce que j’ai grandi comme fils unique. J’ai dû apprendre à me défendre tout seul.» Il remporte sa première compétition à 16 ans et intègre l’équipe nationale juniors deux ans plus tard. Sa tronçonneuse dans le coffre, il file à Zoug tous les week-ends s’entraîner au camp de l’équipe de Suisse.
Quand il ne concourt pas, Marc Rinaldi aime retrouver en forêt la solitude et la «dimension animale du métier», comme il dit. «En tant que bûcheron, je sors des sentiers battus et j’évolue dans un décor très sauvage. Il y a un côté parcours du combattant qui me plaît.» De l’adrénaline, aussi. En Suisse, le métier de bûcheron détient toujours le triste record du nombre de morts au travail. «Dans la profession, nous avons tous connu la disparition d’un collègue. Les accidents ont souvent lieu lors des abattages.»
Suspendu à 35 mètres du sol
A 27 ans, le Neuchâtelois a lui-même déjà connu quelques frayeurs. «Je me suis brisé deux côtes en glissant depuis un tronc à 4 mètres du sol. J’ai aussi pris quelques coups de tronçonneuse dans le mollet. Ces risques font partie du métier», relativise Marc Rinaldi, qui cultive le goût des sensations fortes. Adepte de ski-alpinisme, il est premier lieutenant chez les grenadiers de montagne et a pris le départ de la grande Patrouille des glaciers le printemps dernier. Le Neuchâtelois est également en train de faire valider dans le Guinness Book le record de la plus haute sculpture sur bois du monde, qu’il a réalisée pendant deux semaines, harnaché à un tronc à 35 mètres du sol.
Dans son travail, Marc Rinaldi côtoie tous les usagers de la forêt. Il lui est arrivé de se voir reprocher l’abattage de certains arbres. Un discours qu’il peut comprendre, tout en défendant son métier. «J’aime et je respecte les arbres, mais je n’ai pas d’états d’âme particuliers quand je dois en abattre un. Notre profession vise avant tout à préserver la forêt. Et, en Suisse, contrairement à la plupart des régions du monde, elle gagne du terrain chaque année.» Pour le plus grand plaisir de ce bûcheron passionné.