Sacha sourit et c’est un sourire tout à fait craquant. Ce joli bébé de 7 mois, bien installé sur les genoux de sa maman, semble même intéressé par la conversation. Car on parle de lui pour une raison particulière: Sacha est né grâce à un don d’ovocytes. Une technique de procréation médicalement assistée interdite en Suisse, ce qui fait que si ses parents, Nina et Olivier, ne s’étaient pas rendus en République tchèque, un pays qui autorise une femme à donner ses ovules à une autre, Sacha ne serait tout simplement pas là. Et ces deux Bullois de 39 et 41 ans seraient nettement moins heureux.
Le deuil d’un enfant
Cette employée de commerce et ce dessinateur sur machine se sont rencontrés en 2008. Passionnés de voyage, ils ne sont pas pressés d’avoir tout de suite un enfant. «J’ai arrêté la pilule en 2011, me disant: "Ça viendra quand ça viendra", raconte la jeune maman épanouie. Mais ça n’est jamais venu. Nina a toujours beaucoup souffert lors de ses menstruations, sans vraiment qu’on trouve l’origine de son mal, ni qu’un diagnostic soit posé. «J’avais vu des émissions concernant l’endométriose, cette maladie qui entraîne souvent une stérilité, je me disais que j’en étais peut-être atteinte, mais comme je n’en avais pas les symptômes, cela me rassurait.»
Au fil des ans, et des émotions douloureuses que connaissent toutes les femmes en mal d’enfant, «croiser une femme enceinte, se réjouir pour une amie qui va être mère, affronter le regard compatissant de certains», Nina et Olivier se font une raison. «Peut-être que ce n’était pas notre destin, on vivrait notre bonheur autrement, se disait-on à l’époque.» Mais au vu des douleurs qui ne s’atténuent pas, la Fribourgeoise subit une laparoscopie à la fin de l’année 2016. En vain, les douleurs reviendront le mois suivant. Endométriose diagnostiquée.
Malgré une opération, le couperet tombe très vite de la bouche du médecin: «Vous avez une réserve ovarienne trop faible pour espérer pouvoir enfanter sans l’aide de la procréation médicalement assistée.» «C’était difficile à entendre, mais au moins cela nous a fait gagner du temps.» Mais Nina hésite: «J’avais fait le deuil d’un enfant, devoir tout recommencer en cas d’échec, c’était insupportable.» C’est finalement Olivier qui convainc sa femme. «Si on n’essaie pas, on aura des regrets», lui dit-il. Et vivre avec des regrets, ce n’est bon ni pour la santé ni pour le moral.
Donneuse anonyme
Après s’être renseignés et avoir fait appel à une coach FIV (voir ci-dessous), le couple décide de partir à l’étranger. D’abord pour une question de coût: en Suisse, il faut compter environ 10'000 francs par fécondation in vitro, non remboursés par l’assurance maladie, contre des tarifs moins élevés en Espagne ou en République tchèque. «Adva, notre coach, a fait le lien avec une clinique spécialisée à Brno, en République tchèque, où on a été traités comme des VIP. Elle a été un précieux soutien et nous a aussi prodigué des conseils judicieux.»
La première FIV, avec les ovules de Nina, en avril 2017, est un échec. La deuxième, en juin, se solde de nouveau par la perte de l’embryon en laboratoire. L’idée de faire appel à une donneuse s’impose. Nina: «Au début, c’était difficile pour moi de me dire que ce ne serait pas mes gamètes; j’avais peur, si le bébé devait naître, de ne pas arriver à le considérer comme mon enfant.» Une crainte vite balayée dès les premières manifestations de Sacha dans son ventre. «Pour moi, ajoute son mari, c’était évident, cet embryon allait grandir à l’intérieur de Nina, partager son sang, à la fin, ce serait nous deux, quand même, à l’origine de ce bébé!»
De la donneuse, ils ne sauront jamais rien, si ce n’est qu’elle a 22 ans. «Cet anonymat, c’était important pour nous», assurent-ils, même s’ils n’ont pas l’intention de cacher plus tard à Sacha la façon dont il est venu au monde. «Nous serons éternellement reconnaissants envers cette femme; son don, c’est un magnifique geste d’amour!» Une donneuse qui, après stimulation ovarienne, a subi une ponction de ses ovules le 13 octobre 2017.
Peur
Quelques jours plus tard, Nina est en clinique pour l’implantation dans son utérus de l’un d’entre eux, fécondés par le sperme de son mari. «C’était émouvant, nous étions dans une petite chambre, on a assisté en direct par écran interposé à la décongélation de l’embryon. Peu de parents peuvent se vanter d’avoir une photo de leur enfant cinq jours après la conception!» Après avoir acheté deux tests de grossesse, elle apprendra qu’elle est enceinte le 1er novembre; mais attendra le troisième mois pour l’annoncer officiellement à la famille et plus tard aux amis. «J’avais tellement peur de me réjouir en vain, je crois que je me suis protégée.»
«Il faut changer la loi»
Sa grossesse sera suivie en Suisse par son gynécologue attitré. Ce n’est pas parce que le don d’ovocytes est interdit dans notre pays qu’on va refuser à une femme ayant bénéficié de cette technique une prise en charge normale.
Sacha est né le 11 juillet 2018 à l’hôpital cantonal de Fribourg. Il fait ses nuits, il sourit tout le temps, «un bébé parfait», assurent malicieusement ses parents. «On est très fiers de notre parcours. Témoigner aujourd’hui, c’est une manière de faire avancer la cause du don d’ovocytes dans ce pays, affirme Olivier. Pourquoi autorise-t-on le don de sperme pour les hommes stériles et pas l’équivalent pour les femmes? C’est injuste, la loi doit changer!»
Sacha aura-t-il un jour un petit frère ou une petite sœur, sachant qu’il y a encore des ovules fécondés qui attendent dans une clinique tchèque? «On verra, sourit Nina. Pour l’instant, nous voulons profiter à fond du bonheur qu’il nous donne!»
Coach FIV, une nouvelle profession!
Adva Grundman a accompagné Nina et Olivier ainsi qu’une centaine de couples de Suisse romande frappés par un problème d’infertilité.
Elle est devenue coach FIV après avoir eu un deuxième enfant grâce à cette technique. Aujourd’hui, cette «mampreneur» romande a créé maFIV, une petite entité destinée à venir en aide aux couples ou aux femmes célibataires parfois déboussolés dans ce parcours du combattant. Septante d’entre eux ont déjà fait appel à elle en Suisse romande, dont 18 pour une fécondation in vitro avec don d’ovocytes.
«C’est parfois difficile pour les gens de devoir se rendre dans un pays étranger et de choisir la bonne clinique, comprendre les protocoles, explique cette pionnière, qui veut privilégier une approche holistique de l’infertilité. Je travaille en réseau avec nombre d’intervenants; je propose un programme «Préparer sa FIV» en ayant sélectionné à l’étranger des établissements dignes de confiance, tant en Espagne qu’en République tchèque, avec qui j’ai négocié des avantages pour mes clients.»
Nombre maximum
Huitante pour cent des échecs de FIV sont dus à la qualité des ovocytes, d’où l’importance de pouvoir proposer le don à des femmes qui n’ont plus la capacité d’en produire de qualité suffisante ou lorsqu’elles peuvent transmettre une maladie génétique. Dans le cas du don d’ovules, les donneuses, triées sur le volet, perçoivent un défraiement de 1000 euros (env. 1150 francs).
En Espagne, une donneuse ne peut aider à faire naître que six bébés au maximum; en République tchèque, elle peut donner ses ovocytes au maximum quatre ou cinq fois dans la clinique avec laquelle travaille maFIV. Quant à ses tarifs, la coach assure que les accords préférentiels dont elle bénéficie auprès des établissements et la préparation proposée à ses clients les rendent bénéficiaires en leur faisant économiser du temps et de l’argent. Une FIV avec don d’ovocytes revient à 5000 euros (5700 francs) en République tchèque (hors frais de voyage) et entre 7000 et 9000 euros (8000 et 10'220 francs) en Espagne.
>> Plus d'infos sur: www.mafiv.ch
«Le don d’ovocytes devrait être autorisé en suisse»
L’interdiction du don d’ovocytes est une discrimination à l’encontre des femmes, estime Nicolas Vulliemoz, spécialiste de la fertilité au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV).
Dans la population, entre 5% et 10% des femmes sont atteintes par l’endométriose, la maladie dont souffre la maman fribourgeoise qui témoigne ci-dessus. Et 50% des femmes infertiles souffrent de cette pathologie impliquant une prolifération du tissu endométrial en dehors de l’utérus.
«Discrimination»
Quand un couple ne peut pas procréer, c’est pour un tiers à cause de la femme, un autre tiers à cause de l’homme et un troisième tiers pour des raisons inconnues. Pourtant, si le don de sperme est autorisé dans notre pays pour pallier l’infertilité d’un homme, il est toujours interdit à une femme de faire appel à une donneuse d’ovocytes. «D’un point de vue éthique, je suis d’avis qu’il s’agit d’une discrimination à l’encontre des femmes», soutient le Dr Nicolas Vulliemoz, médecin responsable de la médecine de la fertilité et endocrinologie gynécologique au CHUV. Une injustice que le spécialiste n’explique pas, ou alors en soulignant que «la société a toujours besoin de s’assurer que la mère biologique doit être la mère sociale». Et dans le don d’ovocytes, c’est vrai, une certaine confusion peut s’inviter. Qui est la mère biologique? Celle qui donne son patrimoine génétique ou celle qui nourrit l’embryon avec sa chair et fait naître l’enfant? Cas d’école pour les philosophes et les juristes. Dans le don de sperme, l’homme infertile ne participe en rien à la conception du bébé.
Même si le Dr Vulliemoz informe ses patientes que le don d’ovocytes est interdit en Suisse, il ne leur cache pas qu’elles peuvent en bénéficier dans d’autres pays. «C’est mon rôle de médecin, par exemple face à une patiente de 32 ans souffrant d’une insuffisance ovarienne prématurée, et dont les chances de grossesse sont très faibles, de lui présenter toutes les options possibles, notamment le don d’ovocytes. Il serait souhaitable que les couples puissent bénéficier de cette technique dans nos hôpitaux au lieu de devoir se rendre à l’étranger, avec tout le stress supplémentaire et la part d’inconnu que cela induit.»