On sent qu’ils ont du plaisir à se retrouver. L’ambiance est bon enfant dans les couloirs du palace parisien où ils assurent la promotion du film. Sabine Azéma, André Dussollier et Thierry Lhermitte partagent l’affiche de «N’avoue jamais» (sortie le 24 avril) d’Ivan Calbérac. Les années ne semblent pas entamer le dynamisme ni l’humour de l’actrice. Discrète, Sabine Azéma se révèle très sympathique, elle ponctue souvent ses réponses d’un éclat de rire.
- C’est la douzième fois que vous êtes en couple à l’écran avec André Dussollier...
- Sabine Azéma: Il paraît, c’est ce que l’on me dit. C’est merveilleux pour moi. On a vu à une époque des couples qui nous ont fait rêver dans le cinéma américain. En France, très peu. Donc je suis très heureuse de cela, surtout qu’André me plaît comme acteur et comme homme.
- Vous avez beaucoup tourné avec Alain Resnais, votre compagnon décédé en 2014, et de très grands autres metteurs en scène. Aujourd’hui, qu’est-ce qui vous fait dire oui à un projet?
- Ce sont les autres. L’idée de faire un voyage ensemble, entre le rêve et la réalité. Par exemple, je ne pourrais pas faire du seul en scène comme André Dussollier. J’ai besoin des autres, on créé ensemble, on partage un but commun. C’est ce chemin qui me plaît.
- D’où vient votre envie de devenir comédienne?
- Je n’en ai jamais eu envie, il paraît que je suis née comme ça. Avant même de parler, je faisais le spectacle. Après, dans mes souvenirs, à 8-10 ans j’inventais des spectacles partout, dans ma famille, à l’école. Et ce qui me plaisait, c’était la tragédie, je ne me voyais pas dans le comique. Je ne pensais qu’au spectacle, mais pas du tout dans l’espoir de faire du cinéma; moi, c’était le théâtre. J’allais voir un ou deux films par an. Je me souviens d’avoir vu «Le septième sceau» et «Muriel», le premier film d’Alain Resnais. Si j’avais su, c’est incroyable! Mon plaisir, c’était d’apprendre des textes et jouer. J’ai pris des cours de théâtre et puis je suis entrée au Conservatoire.
- Parlez-nous du travail avec Alain Resnais. Comment se déroulait un tournage en sa compagnie?
- C’était passionnant de jouer pour lui. Il ne donnait pas beaucoup d’explications, il disait que pour lui un acteur était un somnambule et qu’il ne fallait pas le déranger. En fait, il se servait beaucoup de ce que l’on pouvait proposer. Il donnait l’illusion que nous étions aussi créateurs du film, donc on n’avait pas peur d’oser avec lui, de se ridiculiser. Il était fou de spectacle, dans la vie quotidienne aussi, il faisait de la mise en scène tout le temps.
- Quelle place occupe le cinéma dans votre vie?
- C’est toute ma vie! Mon milieu, les rencontres, la pratique du métier avec des gens comme André Dussollier, Thierry Lhermitte… J’aime aussi le cinéma parce que c’est le travail de la journée. J’aime me lever tôt, je suis bien le matin. Et puis les tournages nous font voyager, rencontrer des gens que je n’aurais jamais connus. J’adore voyager, découvrir. Le cinéma le permet.
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- Avez-vous des regrets, par exemple d’avoir dit non à des rôles?
- Je regrette d’avoir dit non à Claude Lelouch. Il m’avait proposé un film, j’ai refusé. Pas pour le film mais pour une histoire de contrat, c’était bête. Autrement, non, je ne vois pas.
- De quoi êtes-vous le plus fière?
- D’avoir rencontré des personnes que j’aime infiniment. Avoir pu avoir des relations magnifiques avec certains êtres. Il n’y en a pas énormément. Mais c’est ce que l’on a pu faire ensemble dont je suis le plus fière. La rencontre avec l’autre, voilà ce qui me passionne.
- Vous avez réalisé deux films, «Bonjour Monsieur Doisneau» et «Quand le chat sourit». Avez-vous envie de récidiver?
- Oui, lorsque je ne tourne pas, je travaille tout le temps. Un producteur, sachant que j’étais amie avec Robert Doisneau, m’avait mis une caméra dans les mains. Ensuite, j’adore Lewis Carroll, j’ai inventé une petite histoire autour de lui, cela m’a permis d’engager des copains et on a voyagé, à Londres, à Oxford. C’est mon plaisir du moment. Après, cela m’est égal que le film soit vu ou pas. Je n’ai pas une ambition folle; ce qui m’intéresse, c’est de créer. En ce moment, je travaille sur une BD, je ne dessine pas mais j’écris les textes. Et j’aimerais aussi beaucoup faire un documentaire sur le jardin du Luxembourg à Paris. Je ne m’arrête jamais. Je lis beaucoup en me demandant si on pourrait en faire un scénario. J’aime inventer.
- Voyez-vous beaucoup de films?
- Oui, beaucoup, surtout dans les festivals. J’ai souvent la chance d’être membre d’un jury. C’est très plaisant, on est en petit groupe, on peut échanger. J’aime voir des films qui ont du style, que je peux admirer; c’est ce qui m’importe, nettement plus que l’histoire. Le style du metteur en scène est primordial pour moi. Dans les livres également, je n’aime pas qu’ils racontent juste une histoire, il faut qu’il y ait du style.
- Que lisez-vous actuellement?
- J’ai lu «Oblomov» d’Ivan Gontcharov, un roman russe sur la paresse, et je viens de terminer «Enfance» de Nathalie Sarraute. Formidable, je le recommande; si on veut lire l’œuvre de Sarraute, il faut commencer par «Enfance». Il me ramène à ma propre enfance, à Paris.
- Quel est le plus important pour vous dans la vie?
- L’amour et l’amitié.
- Comment aimez-vous prendre du bon temps?
- J’adore prendre du bon temps. La vie réelle compte énormément pour moi. La fiction, c’est le cinéma, mais la vie réelle, c’est réussir sa journée. Parce que peut-être que demain on ne sera plus là. Depuis que je suis môme, je le pense. Ce n’est pas une question d’âge ni d’avancer dans la vie. Je sais qu’à 3 ou 4 ans, c’était déjà comme cela. J’ai toujours été très consciente que c’est le moment présent qui compte et que ce ne sera pas éternel. Donc, mon plaisir: d’abord la marche, inventer des histoires pour les autres et voyager, beaucoup voyager, même des petits voyages, mais aller à la découverte.
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- Quel regard portez-vous sur la vague «#MeToo» et la libération de la parole des femmes?
- Je crois que les femmes ont beaucoup d’amour pour les hommes, peut-être plus que les hommes en ont pour nous, les femmes. J’ai l’impression aussi que souvent ils pensent plus à leur carrière, et nous à l’amour, aux autres, aux enfants. Donc il y a un déséquilibre. Lorsqu’on est une fille, parfois, il a fallu sortir les petits poings pour dire «pas touche» et se faire respecter. Que des femmes comme Judith Godrèche aient le courage de raconter leur histoire, c’est salutaire. Et cela ne se passe pas qu’au cinéma, c’est partout. J’ai eu la chance d’être élevée dans une famille où les hommes étaient très respectueux envers les femmes et dans la vie. Mais lorsque je suis née, comme pour mes sœurs, mon père n’aurait jamais poussé le landau. Aujourd’hui, les choses changent, mais des hommes se croient encore tout permis donc il faut éduquer les garçons autrement. La relation homme-femme sera toujours compliquée. J’ai joué un homme avec les frères Larrieu dans «Le voyage aux Pyrénées», mais je ne saurai jamais ce que c’est, être un homme.
- La Suisse a adopté une tout autre politique en la matière, mais que pensez-vous du débat actuel sur la fin de vie en France?
- Je viens de perdre mon père, qui avait pratiquement 100 ans, qu’on a laissé vivre avec des tuyaux. Il ne pouvait plus s’alimenter, il ne voyait plus. Je ne m’en remettrai jamais. Les progrès de la science ont fait qu’on a laissé mon père vivre de façon épouvantable dans ce lit. Pour moi, c’est une horreur de savoir qu’on ne peut pas faire ce que l’on veut de sa vie. Qu’on me laisse choisir ma mort.
- Nourrissez-vous un rapport particulier à la Suisse?
- J’ai tourné avec Geraldine Chaplin dans «La vie est un roman» d’Alain Resnais. Je me souviens qu’elle me parlait de leur maison à Vevey. C’était l’époque où on avait volé le cercueil de leur père. Une histoire incroyable! La Suisse est un pays magnifique, j’ai le souvenir de paysages somptueux traversés en allant en Italie. Et les Suisses sont des gens très agréables.