«Antoine, mon papa, immigré italien et tailleur de métier, est décédé subitement en mai 2003, à l’âge de 71 ans. Après la découverte d’un cancer des poumons et trois semaines d’intubation, il n’a connu qu’un jour de rémission. En me prenant la main, il m’a confié: «J’avais tant de choses à faire. Mais ne t’inquiète pas. On arrivera toujours à se parler…» J’ai mis dix ans à apaiser la colère et le chagrin de l’avoir perdu. Pour moi, il était en pleine forme, même s’il avait été un gros fumeur de 15 à 60 ans. Depuis son départ, je sens sa présence. Il est près de moi. Je pense à lui tous les jours. Quant à savoir s’il s’est manifesté, comme promis, je réponds oui, sans hésiter. La première fois, c’était à l’été 2013, en Italie. Nous étions avec Christian, mon mari, et nos enfants sur la plage du Capitolo, où nous allions, adolescents, en vacances en famille.
Je me suis baignée en milieu d’après-midi. Avant, j’ai pris soin de retirer la grosse bague en argent que je porte à la main droite. Je l’ai bien cachée afin de ne pas la perdre dans le sable ou de risquer de me la faire voler, et je suis allée nager. Plus tard, au parking, avant de repartir, je me dis: «Zut, ma bague!» Je fouille dans mon sac, je le renverse, je défais mes affaires, mais ne trouve rien. Je sens l’angoisse monter. Christian me lance, fataliste: «Tu l’as perdue!» Je lui demande de m’attendre et je rebrousse chemin. Il m’est impossible d’accepter la perte de cet objet. Je repère l’endroit et, tout en marchant, je me mets à pleurer et j’invoque mon père: «Papa, s’il te plaît, il faut que je trouve cette bague! Aide-moi!» La phrase à peine terminée, je la vois briller devant moi. C’est comme si on l’avait déposée là, sur ce rocher où nous nous étions installés. Je me suis dit, intérieurement: «Merci papa!»
Je suis une contemplative. Chaque fois que je ressens un profond bien-être, que je m’extasie devant un ciel étoilé ou une pleine lune, je remercie mon père. Y a-t-il un lien entre nous, comme un fil invisible? Je n’ai pas d’explication. C’est une croyance personnelle, entre moi et moi.
Mon père avait un côté farceur. Toutes les nuits, il parlait abondamment dans son sommeil. Avec qui? «Avec le Gagor», disait-il. Une sorte de lutin. Leurs palabres, bruyantes et nourries, intriguaient tout le monde. Il nous disait: «J’ai ma croyance!» L’autre jour, avec mon frère, nous sommes retombés sur des livres ayant appartenu à papa. Nous avons découvert qu’il y avait, dans chacun d’eux, des dizaines d’images pieuses de Padre Pio, un prêtre capucin canonisé. Papa a été bègue dans son enfance. Pour le guérir, son père lui a fait porter la robe de bure de saint Antoine, pendant deux ans, du matin au soir. Lui en riait en l’évoquant, ce n’était ni douloureux, ni humiliant. Je crois que, comme moi, il a toujours su transformer le négatif en positif. C’est ce que j’aimerais faire avec mes propres enfants avant de disparaître. D’ailleurs, mon mari me dit souvent: «Tu es douée pour la vie.»
>> Maria Mettral jouera, avec Christian Gregori, dans «Couple ouvert à deux battants», au théâtre Le Crève-Cœur, à Cologny (GE), du 2 au 28 mars.
Sa dernière... envie
«J’aimerais retrouver les «Cafés mortels» lancés par Bernard Crettaz. C’est un espace de rencontre où l’on vient parler de la mort. J’y ai participé, en 2013, alors que je jouais au Théâtre Pitoëff. Quelle formidable leçon de vie!» Le sociologue en a fait un livre, paru chez Labor et Fides en 2010.