Il y a une semaine, brandissant le principe de précaution, les cantons de Vaud puis de Genève bloquaient momentanément le déploiement d’antennes pour la construction du réseau 5G. Curieusement, le lendemain, Swisscom communiquait qu’il ambitionnait de couvrir, d’ici à la fin de l’année, plus de 90% du territoire suisse avec la technologie de communication mobile de dernière génération. Le géant bleu répondait ainsi à son principal concurrent, Sunrise, qui, via une intense campagne de publicité, entend se positionner en tant que leader de ce nouveau marché à plusieurs milliards.
Dans un camp comme dans l’autre, tout comme d’ailleurs chez Salt Mobile, le troisième opérateur à posséder une licence 5G, pas un mot en revanche à propos du vent de fronde que suscite l’implantation de la technologie à travers le pays. Ainsi, à L’illustré, le magazine qui a lancé le débat en publiant en novembre dernier un dossier intitulé «Faut-il avoir peur de la 5G?», nous nous sommes étonnés du silence assourdissant des opérateurs.
Est-ce le résultat d’une fuite en avant dictée par des impératifs économiques ou d’une dédaigneuse politique de l’autruche? Et si ce silence reposait en fait sur la certitude que la fronde ne se résume qu’à une minorité d’objecteurs purs et durs, opposés par principe et par conviction idéologique à toute avancée technologique dans quelque secteur que ce soit? Quoi de mieux qu’un sondage auprès d’un échantillon représentatif de l’ensemble de la population helvétique pour en avoir le cœur net?
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L’effet femmes
Résultats à l’appui, la réponse ne souffre aucune équivoque: la 5G fait bel et bien peur aux Suisses et plus particulièrement aux Romands. A tel point que 65% de ces derniers déclarent craindre pour leur santé en cas de déploiement des 20'000 nouvelles antennes nécessaires à l’exploitation du réseau. Bizarrement, les Alémaniques, plutôt favorables à la nouvelle technologie (50% pour et 37% de réticents), disent la craindre à 51%.
Ce sont les femmes qui sonnent la révolte: 52% d’entre elles sont contre ou plutôt contre l’arrivée de la 5G, alors que 61% des hommes sont pour. Les 15-29 ans sont également partisans à 55%, même si 43% de ces derniers avouent craindre pour leur santé. A noter que le sondage a été effectué auprès d’un échantillon hétéroclite rassemblant des patrons, des cadres, des employés, des fonctionnaires, des ouvriers qualifiés ou non et des étudiants.
Autorités prudentes
La Suisse romande n’est pas la seule région du monde à se montrer réfractaire. Aux Etats-Unis, une vague de résistance et de protestation a déjà incité des dizaines de villes à empêcher la mise en œuvre de la technologie.
En Europe, la municipalité de Bruxelles a également stoppé un projet pilote en raison de craintes pour la santé de ses citoyens. Partout, on demande d’attendre le résultat de l’étude concernant l’impact du rayonnement des antennes sur les êtres humains et le vivant en général pour aller de l’avant. Selon les adversaires de la 5G, parmi lesquels le célèbre professeur émérite américain de biochimie et de sciences médicales Martin Pall, il y aurait notamment une corrélation possible entre les rayonnements et les tumeurs cérébrales, la maladie d’Alzheimer et l’infertilité masculine. Selon lui, dans le monde occidental, nous sommes déjà exposés à des champs électromagnétiques environ 7,2 millions de fois trop élevés.
A l’inverse, Philippe Royer, le responsable du Service de l’air, du bruit et des rayonnements non ionisants, basé à Genève, estime pour sa part que la 5G ne pose pour l’instant aucun problème sanitaire. Question subsidiaire: comment croire, alors que le réseau n’en est qu’à ses balbutiements, que l’étude d’impact que réalise actuellement l’Office fédéral de l’environnement (résultats en juillet) puisse objectivement départager les deux camps?
L'éditorial: Le bananier de la 5G
Par Michel Jeanneret, rédacteur en chef
La Suisse est un modèle de démocratie auquel ses citoyens sont profondément attachés. Il implique que l’on suive quelques petites règles. Encaisser 380 millions de francs contre l’attribution de licences d’exploitation d’une technologie a) encore sujette à des études d’impact par un groupe d’experts dont on peut douter de l’indépendance; b) alors qu’il faudra réviser la loi sur les rayonnements pour la faire fonctionner est une entorse claire aux principes démocratiques de base. Inutile de tourner autour du pot: le Conseil fédéral a géré jusqu’ici le dossier de la 5G comme l’aurait fait une confédération bananière.
Brandissant d’on ne sait où la menace d’un quasi-séisme économique si d’aventure la 5G n’était pas déployée au pas de charge dans notre pays, les opérateurs de téléphonie mobile ont forcé nos autorités à faire la révérence. Un grand classique, à l’heure où le politique semble plus faible que jamais face aux impératifs dictés par les poids lourds de l’économie. Un autogoal, dans le cas qui nous concerne. Au lieu d’avancer lentement mais sûrement, à un rythme peut-être un peu frustrant – mais somme toute très helvétique – le déploiement de la 5G dont on rêvait qu’il soit une fusée se transforme peu à peu en omnibus.
Les opérateurs de téléphonie mobile ont commis deux erreurs majeures. Ils ont tout d’abord oublié que notre système politique décentralisé confère un important pouvoir aux cantons. En décrétant des moratoires, Vaud et Genève le leur ont rappelé brutalement. Ils ont ensuite complètement zappé les intérêts du consommateur final, jugeant probablement son enthousiasme comme acquis. Grosse erreur d’appréciation. La santé humaine et l’environnement sont deux thèmes plus sensibles que jamais. Un dossier aussi mal ficelé ne pouvait donc que rater son virage. Aujourd’hui, les Suisses se disent inquiets par rapport à la 5G. Il faudra beaucoup d’énergie et de transparence pour les rassurer.