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Roger Nordmann, Monsieur Solaire

Pour faire avancer le dossier de la transition énergétique, le conseiller national Roger Nordmann (PS/VD) publie un livre clair et rigoureux. Les spécialistes applaudissent ce plan solaire. Reste le plus difficile: sortir gouvernement et parlement de leur torpeur.

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Roger Nordmann dans le grand escalier du Palais fédéral avec un petit panneau photovoltaïque, symbole de ses quinze années de lutte au Conseil national pour la transition énergétique. Didier Martenet
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Le livre du socialiste vaudois Roger Nordmann. Roger Nordmann

Roger Nordmann appartient à la catégorie des parlementaires privilégiant les dossiers d’importance stratégique. Le conseiller national vaudois vient ainsi de faire le travail qu’auraient pu, ou dû faire le Conseil fédéral et l’Office fédéral de l’énergie. Son nouveau livre «Le plan solaire et climat» (éd. Favre et Zytgloggverlag pour l’édition en allemand) est un vrai plan de bataille, crédible et concret, pour réduire drastiquement, et sans recours au nucléaire, la dépendance de la Suisse aux énergies fossiles. Il vise ainsi le zéro émission carbone d’ici à 2050.

A l’origine, le conseiller national socialiste vaudois réservait ses calculs, dont l’unité est le TWh, le térawattheure (1 milliard de kilowattheures), à l’association Swissolar, dont il est le président. Mais Christian Levrat, son chef de parti, l’a convaincu de faire publier ses analyses sans paillettes et pourtant brillantes. Avec l’aide de son auteur, qui nous a reçus dans ce Palais fédéral qu’il fréquente depuis quinze ans, nous avons condensé son plan de bataille en sept points. Mais notre modeste synthèse ne prétend pas remplacer la lecture de ce manifeste, une lecture plus que jamais pertinente avant les élections fédérales du 20 octobre.

1. Les données du défi

La Suisse souffre d’une lourde dépendance aux produits pétroliers. Notre pays doit en sortir pour des raisons écologiques, stratégiques et économiques.
La Suisse produit et consomme 62 TWh d’électricité par an. Et elle importe et brûle 150 TWh d’énergies fossiles (pétrole, gaz naturel) par an. Septante pour cent de l’énergie consommée en Suisse est ainsi d’origine fossile, synonyme d’émissions massives de CO2. Le défi que cherche à relever Roger Nordmann consiste à remplacer les produits pétroliers (principalement dans les secteurs du bâtiment et des transports) par de l’électricité renouvelable, tout en renonçant progressivement, comme prévu, aux 30% d’électricité actuellement produite par les centrales nucléaires du pays. Rappelons aussi que le pétrole et ses dérivés représentent une facture annuelle oscillant entre 4 et 13 milliards de francs dans la mauvaise colonne de la balance des paiements. Le conseiller national rappelle enfin qu’il est stratégiquement périlleux de dépendre à ce point de l’étranger sur le plan énergétique. Dans un monde plus incertain que jamais, l’autarcie est le plus sage des objectifs.

2. La solution solaire

Multiplier par 25 la production solaire et le tour serait (presque) joué.
Pour relever le défi titanesque de cette transition, le parlementaire préconise avant tout l’option solaire. Mais pas du solaire à la retirette, non, du solaire à très haute dose et étroitement associé à notre bonne vieille électricité hydraulique. «En multipliant par 25 la puissance du solaire, nous produirions 45 TWh par année. Ajoutés aux 35 TWh de l’hydraulique, nous aurions de quoi électrifier toute la mobilité et chauffer tous les bâtiments, à condition qu’ils soient assainis. Notre pays réduirait alors de 86% ses émissions de gaz à effet de serre.» Le solaire n’est déjà plus une énergie marginale, avec ses 3,5% de part de production d’électricité. Mais le plan Nordmann ne se satisfait pas de sa modeste progression annuelle de 0,5%. Dans son livre, il démontre que le photovoltaïque est une bonne affaire à condition d’être encouragé par des aides à l’investissement. Le soutien à l’assainissement des bâtiments mérite aussi d’être renforcé. Mais surtout, rappelle Roger Nordmann, ce qui coûterait le plus cher à long terme serait de renoncer à décarboner notre pays. Le plan Marshall pour le climat à 12 milliards d’investissements privés et publics par an de Christian Levrat, le patron du PS, tiendrait presque lieu de postface du livre de son ami Nordmann. Cet argent ferait fleurir les panneaux solaires pour tendre vers les 200 km2 de surface solaire nécessaire.

3. Comment passer l’hiver?

Le défi le plus délicat du solaire est saisonnier. Mais il y a moyen de passer décembre et janvier sans panne générale et sans dépendre excessivement d’une électricité importée.
Le soleil ne brille, par définition, que de jour. L’intensité de ses rayons dépend aussi de la couverture nuageuse. Enfin, sous nos latitudes, sa vigueur et la durée journalière de ses apparitions sont très inégales selon les saisons. Si la nuit n’est pas un problème dans la mesure où l’hydraulique prendrait le relais, l’aspect saisonnier est plus délicat, car l’électricité ne se stocke pas à long terme. De novembre à février, le photovoltaïque, même en multipliant sa surface actuelle par 25, ne pourrait pas suffire à épauler l’hydraulique pour garantir l’approvisionnement énergétique du pays. Parmi les nombreuses et souvent subtiles pistes de réflexion imaginées pour contourner cet obstacle hivernal, Roger Nordmann n’élude pas le recours à des centrales au gaz. Quant au trop-plein de soleil en été, Roger Nordmann opte pour la solution du peak shaving, c’est-à-dire laisser déborder cet excédent électrique, tout comme on laisse l’eau déborder des barrages en cas de trop-plein. Mais il estime ce «gaspillage» obligatoire relativement modeste.

4. L’hydroélectricité comme partenaire idéale du solaire

Roger Nordmann a habilement conçu un scénario qui laisse la part belle à l’énergie hydraulique.
Parallèlement à la multiplication des panneaux solaires, c’est bien, rappelons-le, nos barrages et leur capacité de stockage qui rendent possible le plan solaire de Roger Nordmann. Les jours de plein soleil permettront notamment aux pompes de remonter l’eau dans les barrages et d’assurer un stockage d’électricité à court terme. Même si le stockage hydroélectrique a atteint ses limites, il est encore possible de grignoter un ou deux TWh annuels, notamment en rehaussant certains ouvrages. Mais le fait de valoriser ainsi l’hydraulique, cette énergie historique, rassurante pour la droite, est habile pour fédérer un maximum d’intérêts.

5. Et le vent, la géothermie, la biomasse?

Roger Nordmann estime qu’en Suisse l’apport des autres énergies douces ne restera que marginal par rapport au solaire.
Fervent partisan des éoliennes, Roger Nordmann estime aujourd’hui que ces machines suscitent trop d’opposition. L’éolien restera donc marginal. «Je le regrette notamment parce que cette énergie serait très précieuse en hiver pour compenser le déficit de soleil.» Quant à la biomasse, son apport restera modeste, sauf pour le bois. Enfin, la géothermie profonde reste encore une option d’avenir incertaine.

6. Pourquoi l’inertie et le flou actuels?

Les années passent, les vieux réacteurs nucléaires multiplient les pannes, le réchauffement climatique est plus que jamais d’actualité et la Suisse semble attendre un miracle au lieu d’agir.
«L’élaboration de la Stratégie énergétique 2050 de la Confédération est le résultat d’un compromis politique. Il s’agit de diminuer les émissions de CO2 tout en remplaçant progressivement le nucléaire mais sans fixer de date. Avec mon livre, j’ai voulu justement proposer un projet concret, sans zones d’ombre. Mais je ne fais pas pour autant des reproches à l’administration, et notamment à l’OFEN: les fonctionnaires fédéraux n’ont pas la tâche facile, ils sont entre autres sous la pression de lobbies puissants.» Le conseiller national déplore surtout que les freins à un plan énergétique courageux se trouvent principalement «dans cette maison», c’est-à-dire au Palais fédéral: «L’UDC s’est opposée à tout dans le domaine des renouvelables et le PLR, qui a annoncé un virage vert cette année, lui enlève chaque semaine quelque chose, si bien que ce plan PLR ressemble à un couteau sans lame auquel il manque le manche.» Le socialiste ne s’explique pas les raisons de cette inertie, voire de ce déni de la part de la droite, mais cela l’attriste: «Les premiers encouragements solaires, je les avais instaurés en parfaite collaboration avec mon ami Yves Christen, conseiller national PLR, qui était mon prédécesseur à Swisssolar.»

7. Le soutien des spécialistes

Le Prix Nobel Jacques Dubochet a signé une préface élogieuse dans laquelle il qualifie le livre du parlementaire de «recette d’espoir». Et les spécialistes des dossiers énergétiques cautionnent le travail de Roger Nordmann.
Ne faut-il pas laisser un dossier comme celui de la transition énergétique aux seuls ingénieurs? Est-il crédible qu’un politicien sans formation scientifique élabore un tel plan? Pour François Vuille par exemple, ex-directeur exécutif du Centre de l’énergie de l’EPFL et désormais directeur de l’énergie au sein de la Direction générale de l’environnement du canton de Vaud, le plan solaire de Roger Nordmann est tout à fait crédible scientifiquement. Mais selon ce spécialiste, l’Etat ne peut pas forcer l’ensemble de la société à installer du photovoltaïque partout où ce serait utile. Pour François Vuille, le succès d’une solution de type Nordmann passe donc aussi par une prise de conscience des citoyens.

Roger Nordmann en est lui-même conscient: «J’encourage les propriétaires à couvrir l’entier du toit de leur maison avec des panneaux photovoltaïques, et non seulement leur toiture sud, mais aussi à l’est et à l’ouest. Et qu’ils commencent aussi à le faire avec les façades. De nouvelles technologies s’y prêtent très bien. Toutes les infrastructures existantes devraient être utilisées, les parkings par exemple. Enfin, tout le monde peut participer en renonçant à un voyage en avion ou en remplaçant un vieux véhicule par une voiture électrique.»


Roger Nordmann en 4 dates

1973. Naissance à Lausanne, fils d’une juge au Tribunal fédéral et d’un avocat.

1991-1996. Licence en sciences politiques et en économie politique à l’Université de Berne.

2003. Mariage avec Florence Germond, conseillère municipale de Lausanne, deux enfants.

2004. Conseiller national socialiste vaudois. Accède en 2015 à la présidence du groupe parlementaire socialiste.


Par Clot Philippe publié le 16 août 2019 - 08:38, modifié 18 janvier 2021 - 21:05