- Tous nos vœux pour votre anniversaire, Roger Federer! Quarante ans, ça représente quoi?
- Roger Federer: Oh là là, désormais je suis un grand garçon (il rit). Merci pour vos vœux. Je dois avouer que ça se passe bien.
- Dites-nous où et avec qui vous avez fêté.
- Nous avons loué une maison à Ibiza et passé quelques jours avec des intimes: Mirka, les enfants, mes parents et des amis. C’était très décontracté, mais aussi très spécial pour moi. Normalement, le jour de mon anniversaire, je suis en tournoi ou en pleine préparation et je ne fête guère. Tu te réveilles le matin et tu dis: «Ah oui, bon, c’est mon anniversaire.» Cette fois, c’était différent. Nous avons préparé ce jour si particulier et nous l’avons bien fêté.
- Avec cette fête, Mirka vous a-t-elle fait une surprise?
- Non, nous avions prévu de l’intégrer à quelques jours de vacances et il fallait fixer les dates à l’avance à cause des JO.
- A quoi ont ressemblé les vœux de vos enfants?
- Ils ont bien chanté un peu, mais il n’y a pas eu de sérénade avec gâteau et 40 bougies à souffler. Il m’importait bien davantage que nous passions du temps ensemble en toute décontraction, sans autres contraintes.
- Un anniversaire, c’est aussi les cadeaux. Il ne doit pas être très facile de vous gâter matériellement. Mais les enfants vous ont-ils offert des présents du genre qu’on ne peut pas acheter?
- Tout juste. Ils aiment tous les quatre dessiner et bricoler. Ils m’ont peint plein de petits tableaux, y compris avec leurs copains. De tous les cadeaux, ce sont ceux-là qui m’ont le plus fait plaisir. Mais j’ai aussi été ému par une vidéo que la Fondation a tournée pour mes 40 ans. Elle retentit de vœux de bonheur et de chants d’enfants de nos divers projets en Zambie, au Malawi, au Lesotho, au Zimbabwe et en Afrique du Sud. C’est tellement mignon!
- Et comment les adultes ont-ils résolu le chapitre cadeaux?
- Ils m’ont offert beaucoup de leur temps. Plusieurs m’ont invité à un repas spécial, d’autres m’organiseront une randonnée particulière. Je m’en réjouis énormément. En ce moment, je ne pourrais nommer aucun cadeau particulier que j’ai reçu.
- Quel a été le vœu de bonheur le plus épatant que vous ayez entendu en ce 8 août?
- Je reste profondément ému quand Pete Sampras, Björn Borg ou Stefan Edberg pensent à moi, quand je jette un œil sur mon téléphone et constate qu’ils m’ont envoyé leurs vœux presque simultanément. C’est pratiquement irréel, car, dans mes jeunes années, ils étaient mes idoles, mes joueurs de tennis préférés. Franchement, je me demandais combien de personnes m’enverraient un message. Davantage ou moins qu’après une victoire en Grand Chelem? Eh bien, j’ai été abasourdi qu’ils soient si nombreux. Cela m’indique que j’ai beaucoup de vrais amis tout autour du monde qui me restent proches. Je crois bien que j’ai aujourd’hui encore une cinquantaine de messages auxquels je dois répondre.
- Vous êtes-vous offert un cadeau à vous-même?
- Non, pas du tout. Normalement, peu avant mon anniversaire, j’étais censé être à Tokyo et je n’aurais pas eu le temps de m’en occuper. Si bien que la question ne s’est pas posée. Le temps passé avec ma famille et mes amis, sans stress, sans match et sans entraînement, m’a amplement suffi en guise de cadeau.
- Qu’est-ce que le nombre 40 vous inspire?
- Il est en tout cas très éloigné de mes 20 ans. D’une certaine manière, on se dit qu’on n’est définitivement plus un enfant, qu’il faut encore mieux se comporter. Naguère, quand on était enfant, on avait l’impression que les gens de 40 ans étaient déjà passablement vieux. Je ne me sens de loin pas comme ça. Mais à chaque fois que j’entends prononcer ce nombre, je suis un peu effrayé.
- La peur de l’âge?
- Non, non. Je me suis réveillé le matin et j’ai constaté que tout était comme la veille. Cela me rappelait un peu le tournant de l’an 2000, quand on craignait que tous les réseaux informatiques ne se cassent la figure. Le grand chaos. Or la nouvelle journée commence et il ne se passe rien. Non, dans un premier temps, je me suis bien moqué de tout ce buzz autour des 40 ans. Mais depuis, je trouve que c’est un âge cool et je me réjouis de tout ce qui est encore à venir.
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- Quel âge ressentez-vous?
- Du genre sur la fin de mes 20 ans, au pire le début de mes 30 ans (il rit).
- Au-delà de vos mérites sportifs, de quoi d’autre votre vie jusqu’ici vous rend-elle fier?
- Je crois que rares sont ceux qui peuvent imaginer à quel point il est compliqué de concilier la carrière sportive, la famille et les enfants. On ne sait pas si on fait vraiment tout juste. Mais ces douze années écoulées, depuis que les filles sont là et, cinq ans plus tard, les garçons, eh bien, ces années me rendent fier. Nous n’avons jamais sacrifié la cohésion familiale dans notre vie si spéciale, j’ai une vie super avec Mirka, nous avons su préserver le cercle de nos amis et j’ai quand même toujours pu jouer. Ça ne va pas de soi. C’est bien plus que ce à quoi j’aurais jamais pu m’attendre.
- Et quand vous considérez l’avenir? A 40 ans, on dresse volontiers une liste de projets. Qu’est-ce qui figure sur la vôtre, à part ce que vous souhaitez encore atteindre en tennis?
- Il y a sans doute là davantage que ce qu’on pourrait croire. Bien sûr, avec le tennis, j’ai vécu plein de choses, j’ai vu du pays. Maintenant, je voudrais bien appuyer sur la touche repeat et revivre les mêmes choses mais sans le stress, sans toutes ces contraintes que vit un joueur de tennis. Aller un jour admirer les cerisiers en fleurs au Japon, assister à une grande finale de NBA, de NHL ou de NFL sans devoir toujours me demander si un tel vol long-courrier convient à mes horaires d’entraînement. Ce seront des expériences toutes neuves. Vivre véritablement les cultures et en apprendre quelque chose plutôt que de se contenter de les survoler. Aller découvrir de beaux parcs du monde entier avec les enfants. Voilà ce que, avec Mirka, nous nous réjouissons de faire depuis longtemps. Et le moment approche vraiment, désormais.
- Donc pas de crise de la quarantaine passée à faire de la poterie en Toscane ou à prendre des cours de tango?
- (Il éclate de rire.) Non, non! Mais j’aimerais bien apprendre à jouer d’un instrument. J’avais un peu touché au piano, maintenant j’aurais envie de jouer du saxophone. Et je veux enfin apprendre à skier correctement en haute neige. Je n’ai jamais vraiment su. Et puis, il y a douze ans, j’ai arrêté le ski quand j’ai attrapé cette maladie épuisante qu’est la mononucléose. Donc je voudrais m’y remettre sérieusement. Et j’aimerais me risquer pour la première fois sur un snowboard. Sans parler de la plongée sous-marine. Mais à dire vrai, je suis un peu trouillard.
- Y a-t-il quelque chose qui vous fait peur dans la prochaine étape de votre vie?
- Peur, non. Mais je me fais quand même du souci à l’idée que mes parents, mon parrain et ma marraine, de vieux amis sont parvenus à un âge avancé. Je pense à eux plus souvent et j’espère qu’ils resteront en bonne santé. J’ai de plus en plus envie de passer du temps avec eux. C’est aussi pourquoi, durant l’année écoulée, j’ai fait un fantastique voyage avec nombre d’entre eux. Nous nous rendons compte, Mirka et moi, que jusqu’ici les gens nous ont suivis partout. Maintenant, ce sera à nous de leur rendre visite.
- A 40 ans, on devient plus mûr, plus réfléchi…
- … plus sage! (Il rit.)
- Est-ce qu’on se préoccupe déjà de la finitude de l’existence? Est-ce qu’on agit en conséquence?
- Dans mon cas, je ne le dirais pas. Je suis conscient depuis longtemps que tout a changé et que, dans la vie, il faut se donner du mal pour plein de choses. Heureusement, Mirka s’est toujours occupée de maintenir tous les contacts quand j’étais trop fatigué ou trop pris par le sport. Je n’ai pas perdu mes racines, tout va bien. Sur le tour, je suis un de ceux qui se préoccupent le plus de la vie au-delà des courts. Je ne suis pas du genre à commander le room service à l’hôtel et à m’affaler devant la télé. Je n’ai pas loupé grand-chose. Avec la philanthropie et le business, les prochaines années seront tout à fait passionnantes et je m’en réjouis.
- Et les enfants?
- Je veux absolument être là aussi longtemps que ce sera possible! Ils nous sont évidemment encore très étroitement liés et cela durera encore une dizaine d’années. Jusqu’à ce qu’ils aient 17 ou 18 ans, tu crois que tu dois t’impliquer dans tout. Mais ensuite l’émancipation peut se passer très vite. Rétrospectivement, je ne veux rien avoir manqué.
- Vous ne voudriez pas avoir un autre âge que celui que vous avez aujourd’hui?
- Disons… il est clair que je voudrais bien avoir de nouveau 19 ou 20 ans, quand ma carrière a débuté. Et je voudrais bien revivre la naissance des enfants. Pas plus tard qu’hier, Lenny m’a demandé quel est le meilleur âge. Je lui ai dit: «Sept ans!» Le bon âge est celui que l’on a précisément.
- Donc nous referons le bilan lors de votre 50e anniversaire!
- Tout juste. Et j’aurai une autre allure: grisonnant et ventripotent (il éclate de rire)! Non, non, n’ayez crainte, j’ai assez de gens autour de moi qui me mettraient en garde à temps.