Roger Federer au panthéon de la mode lors du Met Gala 2023

Lorsque Anna Wintour, qui dirige le magazine «Vogue» depuis 1988, a fait savoir qu’elle avait choisi Roger Federer, la chanteuse Dua Lipa, ainsi que les actrices Michaela Coel et Penélope Cruz pour coprésider avec elle l’édition 2023 du Met Gala, le choix du numéro un de tennis en a surpris certains. Il est pourtant l’une des personnalités les plus représentatives de ce que l’on appelle désormais le «quiet luxury», soit le luxe silencieux dépossédé de tout signe ostentatoire de richesse. Et il l’a incarné avec élégance le lundi 1er mai, à New York, lors du gala du Met.

Cet événement prestigieux, qui rapporte chaque année au Costume Institute du Metropolitan Museum of Art une somme à huit chiffres – 17,4 millions de dollars en 2022 –, marque l’ouverture de son exposition de printemps. Mise sur pied par le conservateur en chef Andrew Bolton, elle s’intitule cette année «Karl Lagerfeld: A Line of Beauty» («Une ligne de beauté») en hommage au créateur disparu le 19 février 2019. Durant ses soixante-cinq ans de carrière, Karl Lagerfeld a dessiné les collections de Balmain, de Patou, de Chloé, de Fendi, de Chanel et celles de sa propre marque. En créant sa propre légende, il est devenu le couturier le plus connu du monde.

Si le Met Gala est généralement le théâtre de toutes les extravagances, l’esprit de Karl Lagerfeld semble s’être déposé avec délicatesse sur l’édition 2023. Pour rester dans le ton, Roger Federer était en noir et blanc, les couleurs emblématiques de Chanel, arborant un smoking Dior Homme. A son bras, son épouse, Mirka, portait une robe Valentino rose ornée de plumes. Elle ne fut pas la seule à appliquer le «dress code» à la lettre. Anna Wintour est apparue dans une robe-manteau entièrement brodée de chats de la collection Chanel haute couture printemps-été 2023, Penélope Cruz portait une robe Chanel vintage de la collection printemps-été 1988 haute couture. Dua Lipa, elle aussi, avait puisé dans les archives de la maison et revêtu une robe de la collection haute couture automne-hiver 1992, tandis que Michaela Coel a fait son apparition dans une robe-bijou dorée signée Schiaparelli.

L’amitié qui lie Anna Wintour et Roger Federer dure depuis près de vingt ans. La papesse de la mode avait découvert le champion de tennis à Houston lors de la Masters Cup 2003. Elle était immédiatement tombée sous le charme du jeu de l’Helvète, qu’elle a finalement rencontré en 2005. «On pouvait déjà deviner qu’il était spécial. Cette vitesse incroyable. Ce travail irréel près du filet. Et la façon dont il donnait l’impression d’une facilité dévastatrice. Mais il avait aussi une gentillesse et une grâce, on pourrait même dire une dignité, dans sa façon de se comporter sur le court et en dehors», écrivait-elle dans le magazine «Vogue» du 15 septembre 2022, après que le champion avait annoncé sa retraite. Dans cet hommage, on apprenait que, si Roger Federer lui avait donné des conseils tennistiques, elle l’avait dirigé stylistiquement: «Il s’intéressait à la mode et avait envie d’en parler. Il n’y avait rien dont j’avais moins envie de parler avec Roger Federer que de mode. Je voulais parler de tennis. Nous n’avons jamais cessé de converser à contre-courant de cette façon, lui m’interrogeant sur les créateurs et moi balayant les questions pour demander ce qu’il faisait sur le court. […] Je l’ai aidé avec certains looks et il a fait de son mieux pour m’aider avec mon jeu.»

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L’athlète a souvent consulté Anna Wintour, non seulement pour élaborer sa garde-robe, mais aussi avant d’endosser certains partenariats. Il lui a notamment demandé conseil avant de signer avec Uniqlo en 2018, alors que son partenariat avec Nike, commencé en 1994, prenait fin. «Je lui ai demandé ce qu’elle pensait d’Uniqlo. Elle a trouvé que c’était une excellente idée. Que ce serait une belle association et que si cela fonctionnait, ce serait formidable», confiait-il au média en ligne Page Six.

Malgré ses collaborations avec Nike, Uniqlo, Rolex et sa prise de participation en 2019 dans la marque de sneakers On, Roger Federer n’est pas considéré comme une icône de la mode. Le champion a néanmoins vécu deux épisodes de parfait «fashionisto». Le premier, c’était à l’occasion du bal du Met en 2017. Anna Wintour l’avait mis en relation avec Alessandro Michele, qui était alors le directeur artistique de Gucci. Ce dernier avait imaginé une pièce unique pour le champion. De face, cela ressemblait à un smoking traditionnel, mais le dos de l’habit était orné d’un cobra entièrement brodé de cristaux. «Roger était de loin le mieux habillé», avait alors affirmé Anna Wintour, qui manquait peut-être d’objectivité.

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Le second épisode eut lieu en 2020 lorsque les lecteurs de l’édition australienne de GQ – et principalement les fans du tennisman – se sont mobilisés et l’ont élu l’homme le plus stylé de la décennie. Avec ses costumes sobres et sombres, il avait coiffé au poteau l’acteur Timothée Chalamet, plus porté sur le style «combinaison dos nu de lamé rouge» signée Haider Ackermann.

Quand on s’intéresse à la garde-robe de Roger Federer, ce qui compte, ce n’est pas tant ses vêtements que la façon dont il les porte, avec une décontraction et une confiance qui lui viennent sans doute de sa carrière d’athlète en parfaite maîtrise de son corps. Et puis il a cette manière tellement «James Bondesque» de porter le smoking… Le héros des courts privilégie les codes classiques de la mode masculine: blazers ajustés et chaussures impeccables. En janvier dernier, Roger Federer a été photographié au premier rang du défilé Chanel haute couture en costume deux pièces gris et chemise blanche, tandis que chez Dior il portait un pull à col roulé et un costume deux pièces de couleur marine.

Ceux qui critiquent son allure peu inspirante ont le regard un peu trop rivé sur les personnalités qui font le buzz au premier rang. Celles-ci jouent souvent les hommes et femmes-sandwichs pour les marques qui les invitent alors qu’il faudrait plutôt observer l’allure des personnes qui comptent vraiment. Au hasard? Dans la famille Arnault, choisissons les fils, Alexandre et Frédéric. On voit souvent les deux héritiers vêtus d’un pull à col roulé marine sous un costume deux pièces ou portant des chemises blanches sous un costume gris. Federer joue dans cette ligue-là. Aucun risque de le voir porter un jour la micro-jupe en cotte de mailles sertie de cristaux que le créateur Ludovic de Saint Sernin a présenté en janvier lors de la fashion week masculine. Roger Federer a les moyens de s’offrir des vêtements de qualité, qui relèvent du «quiet Luxury», sans logos ostentatoires. Chaque période de récession entraîne un retour du minimalisme (ce fut déjà le cas en 2008) et la discrétion est l’apanage des ultra-riches de 2023, dont Roger Federer fait partie.

Maintenant qu’il est retraité du tennis, Federer pourrait-il, avec ses 11,4 millions de followers sur Instagram, envisager une carrière dans la mode? Et pourquoi pas… En février dernier, Louis Vuitton nommait bien le chanteur Pharrell Williams (14,5 millions de followers) à la direction artistique de la mode masculine. Cette nomination marque le déclin de la mode des créateurs et l’avènement de la mode-communication. Aujourd’hui, apparemment, plus personne hélas n’a besoin de savoir dessiner et de créer divinement des collections comme Karl Lagerfeld pour être nommé à la tête d’une maison de mode.