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Richard Werly, le journaliste qui ose le pari du «pure player» en quittant Le Temps pour le Blick

Il vient d’être fait chevalier des Arts et des Lettres. Richard Werly, le correspondant à Paris du quotidien Le Temps, fait le grand saut pour rejoindre le Blick romand. Signe d’une époque où l’avenir des médias d’information rapide se joue de plus en plus en ligne, y compris pour les plumes les plus respectées.

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Richard Werly, journaliste correspondant permanent à Paris du quotidien suisse le Temps

Richard Werly avec la ministre de la Culture Roselyne Bachelot lors de la remise de sa décoration le 22 mars dernier.

GABRIEL MONNET

Il y a des recrutements qui en disent long sur un monde professionnel en pleine évolution. Richard Werly, le journaliste star du Temps quittera le 30 avril le quotidien de référence pour se poser au Blick romand. Changement de maison mais aussi signal envoyé à tout le microcosme des médias. On a beau avoir exercé pendant vingt-deux ans dans un titre respecté et très installé, les tout nouveaux pure players (ces sites d’information qui n’ont pas d’édition papier) attirent désormais les meilleurs talents.

Richard Werly, journaliste correspondant permanent à Paris du quotidien suisse le Temps

Deux drapeaux et tout un symbole dans l’ambassade de Suisse où le journaliste franco-suisse a reçu l’insigne de chevalier des Arts et des Lettres le 22 mars dernier.

GABRIEL MONNET

«C’est une ironie séduisante, s’amuse le journaliste. Moi qui ai défendu bec et ongles la version print du Temps ces derniers mois, je m’envole pour le Blick qui n’existe que sur internet en Suisse romande.» Autre engagement révélateur: Richard Werly rejoint la fondation genevoise Diplo, spécialisée sur les enjeux numériques et la gouvernance de l’internet, comme conseiller stratégique Europe. Paris et Bruxelles, l’actualité française, européenne et les rapports Suisse-UE resteront ses points d’ancrage.

Richard Werly, journaliste correspondant permanent à Paris du q

Richard Werly dans les locaux du journal «Le Monde» où il a officié en tant que correspondant permanent à Paris pour le quotidien «Le Temps».

GABRIEL MONNET

Mais revenons en arrière car il faut du recul pour raconter la carrière de Richard Werly, ce monument du journalisme romand. Né en France, d’un père suisse et d’une mère française, ce lauréat du Prix Dumur 2020 fait depuis 2014 le délice de ceux qui suivent les affaires hexagonales et européennes dans les pages du quotidien pour lequel il aurait dû partir durant l’été 2022 comme correspondant aux Etats-Unis. Un autre poste prestigieux à l’étranger pour celui qui fut auparavant correspondant en Asie et a aussi travaillé pour des titres tricolores.

Comme une consécration, il a reçu le 22 mars de la ministre française de la Culture Roselyne Bachelot l’insigne de chevalier des Arts et des Lettres à l’ambassade de Suisse à Paris. Une preuve de l’amitié franco-suisse soulignée par l’ambassadeur helvète Roberto Balzaretti. Pourquoi cette récompense? «Le discours de la ministre l’a expliqué, commente Richard Werly. Cet insigne est un hommage à un type de journalisme capable d’être un pont entre les pays, entre les réalités, entre les gens. Peut-être aussi un journalisme qui ne cherche pas à être plus brillant que le sujet sur lequel il écrit.»

Richard Werly, journaliste correspondant permanent à Paris du q

Avec Myriam Encaoua, spécialiste de l’actualité parlementaire à l’Assemblée nationale.

GABRIEL MONNET

Dans sa réponse, notre confrère a pour sa part attribué sa récompense au Temps, remerciant «ce titre formidable auquel il a été tellement lié, et la Fondation Aventinus qui l’a racheté en 2021». En insistant sur le besoin de défendre plus que jamais «un journalisme simple. Attentif. Empathique. Désireux de raconter le monde tel qu’il est en essayant, toujours, de se tenir à l’écart des côtés obscurs de la force qui, partout, risquent un jour d’altérer non pas notre objectivité, mais ce qu’Hubert Beuve-Méry, alias Sirius dans les colonnes du Monde, préférait désigner comme notre indispensable «subjectivité désintéressée».»

Au Temps (dont l’auteur de ces lignes a été rédacteur en chef), une blague circulait: «Ne partez pas en vacances avec Richard, si une bombe pète quelque part il sera à côté.» Sa réputation d’être toujours là où il faut lui colle à la peau. Il part d’un grand rire: «C’est faux! Je n’étais pas en Europe au moment de l’écroulement du mur de Berlin fin 1989, puis durant l’éclatement de l’ex-Yougoslavie. Je me trouvais en Asie du Sud-Est, loin de ce séisme historique.» Alors correspondant à Bangkok, il se rattrapera plus tard en suivant des conflits et en se trouvant à des endroits et des moments décisifs où l’histoire s’écrit. Comme ce fameux 13 novembre 2015 où notre confrère dîne chez un couple d’amis. L’un des convives travaille à l’AFP. «Nous étions à 300 mètres du restaurant Le Petit Cambodge, où les attentats ont débuté, et j’avais mon scooter à portée. La réactivité est la clef. J’essaie d’être dans l’actualité tout le temps. C’est un grand sujet d’interrogation pour moi: le web nous permet d’écrire dans la minute mais beaucoup de journalistes, de manière très bizarre, réagissent de moins en moins rapidement.»

Richard Werly, journaliste correspondant permanent à Paris du quotidien suisse le Temps

Richard Werly se déplace partout dans Paris en scooter

GABRIEL MONNET

Avec le tsunami de 2004 et la suite de la crise financière de 2008 où l’Europe a tangué, c’est son trio de tête des événements qui l’ont le plus marqué. Et il les a racontés avec une compréhension des phénomènes tout à fait hors norme et en parvenant de surcroît à fournir une quantité de textes hallucinante. Disons-le, c’est un rêve pour un rédacteur en chef: «J’écris vite, c’est ma chance.» Gâche-métier pourraient dire certains, car par ailleurs il intervient en plus régulièrement sur les écrans et les ondes, de la chaîne parlementaire française à TV5 Monde en passant par Arte, France Info, France 24 et France Culture. Il est un invité régulier du podcast Le nouvel esprit public de Philippe Meyer – qui se délocalisera le 27 avril à Montricher, à l’invitation de la fondation Jan Michalski –, tout en dirigeant aussi depuis 2012 la collection «L’âme des peuples» (Ed. Nevicata): 70 titres publiés, dont un sur la Suisse et un sur le Léman. Il vient enfin de sortir chez Grasset La France contre elle-même*, une plongée dans l’histoire de la ligne de démarcation de 1940 pour comprendre les fractures de l’Hexagone d’aujourd’hui.

La passion de sa vie? Le journalisme avec une haute ambition. Alors pourquoi ce départ vers le site lancé l’an dernier après vingt-deux ans de carrière au Temps, né en 1798 si on reprend l’acte de naissance de son plus ancien ancêtre, le Journal de Genève? «Je rejoins le Blick à un tournant de ma carrière professionnelle. Je ne rejoins pas n’importe quel pure player. Celui-ci est appuyé sur un socle solide. Le journal dans sa version suisse allemande est un des plus importants du pays. C’est pour moi le bon cocktail entre l’innovation – associée à sa jeunesse –, la volonté et la qualité de la tradition.»

Richard Werly, journaliste correspondant permanent à Paris du q

Avec la présentatrice lausannoise vedette de la chaîne TV5 Monde, Silvia Garcia.

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Richard Werly continuera à faire… du Richard Werly. L’offre éditoriale à venir est en construction et réservera des surprises: «Je traiterai de la France, de l’UE et des relations bilatérales. Nous proposerons une offre intégrée avec des articles, des commentaires, de la chronique, du podcast, des vidéos sur ces questions décisives pour l’avenir de la Suisse et en particulier de la Suisse romande. Le tout dopé par cette envie et cette confiance collectives indispensables selon moi à la réussite de tout projet éditorial!» Ce n’était plus le cas au Temps? «J’aurais dû partir aux Etats Unis, ce poste qui m’enthousiasmait tant, à la fin de 2020. J’ai accepté de reporter ce départ à la demande de la direction. Je me suis impliqué de mon mieux. Mais sans doute ai-je échoué, car mes remarques n’étaient plus suivies d’effets. Dès lors, mon devoir était d’en tirer les conséquences. Je crois avoir beaucoup donné au Temps, que je remercie sans cesse ces jours-ci, lors des présentations de La France contre elle-même. Oui, merci! Je vais maintenant, chez Blick, me réinventer au service de toutes les générations de lecteurs. Le journalisme que je défends est fait de passion, parfois de désaccords, toujours de respect, d’exigence, de liberté, et d’envie de décoder la complexité du monde.»

Le papier est-il fini? «Au Temps ces derniers mois, j’avais en charge la réforme du print et je l’ai défendu coûte que coûte face à ceux qui n’excluaient pas de le supprimer. J’espère les avoir convaincus. Comme pour les autres quotidiens de référence, Le Temps doit selon moi conserver son édition papier dans les prochaines années. Ce sont ses racines. Son identité. Une source de revenus essentielle. Une vitrine indispensable. Un lien à préserver avec les lecteurs les plus fidèles. Mais attention: je ne suis pas du tout un taliban dans ce domaine. Le web est l’incontournable moteur de nos rédactions. C’est un fait.» Une question qui ne se pose pas dans un média qui n’existe que sur le web, dans sa version romande.

Par Stéphane Benoit-Godet publié le 5 avril 2022 - 10:19