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Rescapée du covid, la cheffe Marie Robert flamboie

Le virus n’a pas épargné la «Cuisinière de l’année» 2019. Marie Robert a successivement perdu deux mois de chiffre d’affaires, l’appétit, l’odorat et le goût. Guérie, la créative cheffe de Bex (VD) nous raconte son année Covid-19, entre cauchemar et succès.

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Tout feu tout flamme. Aussitôt le virus vaincu, Marie Robert a lancé sa nouvelle carte, sur le thème du feu. Si elle a renoncé au cracheur de feu, les flammes sont partout, en cuisine, en salle et jusque dans les assiettes! Blaise Kormann

La dixième année de Marie Robert au Café Suisse, à Bex, avait pourtant bien commencé.
Après un incroyable succès en 2019 (16 points au GaultMillau et le titre de «Cuisinière de l’année», Young Chef Award chez Michelin), la cheffe à la généreuse chevelure et au franc-parler avait des projets plein la tête: «Je savais qu’on m’attendait au tournant: les gens se demandaient si je saurais continuer sur ma lancée. J’avais décidé que oui, tout en sachant que c’était l’année de tous les dangers.»

Seulement, le danger ne se trouve pas toujours là où on l’attend. Pour Marie, le Covid-19 n’a pas seulement ralenti les affaires pendant le semi-confinement. Il vient de la rattraper, et de la clouer à la maison, sans énergie, sans goût, ni odorat. Maintenant qu’elle a retrouvé tout son punch, elle a accepté de nous raconter son année Covid-19: une année de folie!

Tout est venu si vite…

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Tout feu tout flamme. Aussitôt le virus vaincu, Marie Robert a lancé sa nouvelle carte, sur le thème du feu. Si elle a renoncé au cracheur de feu, les flammes sont partout, en cuisine, en salle et jusque dans les assiettes! Blaise Kormann

«Je venais de poster l’annonce de ma nouvelle carte sur le thème de la terre quand tous les restaurants ont dû fermer.» Pour Marie Robert, comme pour nombre d’autres Helvètes, la terre, justement, s’est arrêtée de tourner: «J’ai bien cru que j’allais être obligée de me reposer», sourit la cheffe, espiègle. Car chez elle, le repos n’est pas souvent au programme.

«Après cinq jours, je ne tenais plus en place», se souvient l’explosive Marie. Créative, elle a donc lancé ses box: des kits de cuisine assortis d’un cours en live. La «Love Box» d’abord, destinée aux hommes qui allaient cuisiner pour leur femme: «C’était hallucinant de voir à quel point certains hommes ne savent pas cuisiner du tout», s’amuse la cheffe. Puis «Bad Mum Box» (bad mum signifie «mauvaise mère» en anglais), combinant le matériel de cuisine pour les enfants et l’apéro pour leurs parents. «On a bien ri et ça a super bien marché, mais ça ne permet pas de vivre…»

Heureusement, après deux mois, c’est la réouverture. Marie met les bouchées doubles. Même pendant les vacances, elle élabore ses prochaines cartes et une multitude de projets: installer un restaurant dans une église, agrandir sa cuisine, ouvrir une boutique… La jeune femme ne s’arrête jamais! Au point qu’en septembre, son corps lui dit stop. Elle doit subir une intervention chirurgicale. «Une petite opération en ambulatoire. Rien de bien grave, m’a-t-on dit. Alors je suis partie confiante.»

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Une graphique mousseline d’omble à la clémentine

En sortant de l’hôpital, Marie se sent d’ailleurs en pleine forme. Au point que sa sous-cheffe lui dit qu’elle ne l’a jamais vue aussi belle. «Mais à 22 heures, j’ai soudain senti la fièvre qui montait.» Jusqu’à 40°C quand même! Puis est survenue la douleur: «J’avais l’impression que quelqu’un me donnait des coups de poignard dans la poitrine.»

J’ai paniqué

A minuit, alarmée, Marie se présente aux urgences de l’hôpital de Rennaz. Là, angoisse et douleur, ajoutées à son caractère bien trempé, font que rien ne se passe comme elle veut. Suspectant un problème pulmonaire, on l’enferme dans un scanner: «Mais je suis claustrophobe! Alors une fois dans le tube, avec tout ce bruit, j’ai paniqué. Je leur ai demandé de me sortir de là et je leur ai dit: «S’il faut mourir, je préfère mourir chez moi!» Puis j’ai arraché tous les fils et je suis partie.»

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En amusebouche, une purée de topinambours et sa ballottine de caille

Ce n’est que le lendemain que le verdict tombe: en fait, Marie a le Covid-19 et doit rester confinée: «Je peux vous le dire, le confinement, ce n’est vraiment pas cool! Et ça fait bizarre de ne pas voir un autre être humain pendant dix jours. Mais ça laisse aussi du temps pour réfléchir et pour faire les 400 pas.» Ça tombe bien, un mois avant de tomber malade, Marie s’était fait livrer un tapis de course! Un bon exutoire contre la déprime, quand chaque nouvelle journée n’est que solitude, douleur, fièvre et fatigue: «Le reste du temps, je dormais.» Au point qu’elle n’a même pas entendu l’appel de contrôle de présence de la hotline: «Quand j’ai vu leur message qui me disait d’appeler immédiatement, j’ai vraiment flippé!»

Mais Marie n’était pas au bout de ses surprises. Certes, une semaine après le début de son aventure Covid-19, les douleurs s’estompent, la fatigue aussi: après la pluie, le beau temps? Pas tout à fait. Elle s’en aperçoit lorsqu’une amie lui apporte du poulet au curry: «Quand je l’ai goûté, j’ai d’abord pensé qu’elle avait oublié de l’assaisonner… avant de me rendre compte que je n’avais plus ni goût ni odorat. Un vrai cauchemar!» Elle ne sent ni sucre, ni sel, ni saveur… alors elle chancelle: «Je me suis dit que ma vie était foutue, que j’allais tout perdre.»

On est seul avec soi-même

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Une terrine de lièvre, pommes et airelles, en insolite robe de cornouille

Quand sa mère lui interdit de lire tout ce qui circule sur internet comme horribles nouvelles au sujet de la pandémie, Marie désobéit aussitôt: «J’ai fini par tomber sur un site qui recommande de sentir des épices tout en lisant l’étiquette pour que le cerveau associe l’odeur et le nom… Je ne sais pas si ça sert à quelque chose, mais j’avais besoin d’agir.» Finalement, après trois jours, odorat et goût sont progressivement revenus. D’abord le girofle, puis la cannelle et petit à petit tout le reste. Ouf!

A présent tirée d’affaire, Marie Robert le réalise: «J’ai beaucoup appris du confinement, parce qu’on est seul avec soi-même et que d’un moment à l’autre, on passe du mille à l’heure à plus rien du tout.» Elle a aussi été obligée de lâcher prise: «Au début, je voulais installer des caméras en cuisine, pas pour surveiller la brigade, mais juste pour garder le contact et les soutenir au besoin. Mais tout est venu si vite… Et surtout, j’ai vu qu’ils s’en sortaient aussi sans moi: pendant douze jours, ils ont assuré, malgré l’angoisse.»

J’ai eu le covid, je n’ai pas fait la guerre!

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Un tapis salvateur! Heureux hasard, un mois avant de tomber malade, Marie s’était fait livrer un tapis de course, un bon exutoire contre la déprime Blaise Kormann

En effet, les femmes de deux des membres de la brigade sont enceintes. Et le risque planait de devoir fermer le Café Suisse, de mettre tout le monde en quarantaine. Heureusement, à part celui de la cheffe, tous les tests Covid-19 de l’équipe se sont révélés négatifs. Et pendant l’absence de Marie, que les clients ont l’habitude de voir midi et soir, le service a fait le choix de la transparence: «Alors j’ai reçu plein de messages de soutien. Je suis d’ailleurs touchée de la solidarité que ce covid a engendrée, depuis la réouverture en mai, comme depuis ma maladie», relève Marie, émue, mais pas prête à tomber dans le mélodrame: «J’ai eu le covid, je n’ai pas fait la guerre!» sourit-elle, dans la salle de son insolite restaurant qui vient de changer complètement de décor.

Parce qu’à chaque changement de carte, la cheffe change aussi l’atmosphère de la salle. Après le thème de la terre, elle est passée à celui du… feu. Au programme de l’automne, il y a donc des flammes, partout: «Je voulais même engager un cracheur de feu, mais dans un restaurant tout en bois, ce n’est pas une bonne idée», explique Marie, totalement guérie.

Alors, on s’attable à la lueur des flammes dans des photophores. Et on s’émerveille de trouver du feu jusque dans les assiettes. Avec des marshmallows à faire griller, «comme quand on est ado et qu’on participe à un camp», et même avec une gelée à la vanille, comestible, mais inflammable. De quoi rendre, à coup sûr, inoubliable le nouveau menu de la «Cuisinière de l’année» 2019 qui, en véritable feu follet, pense déjà à la prochaine carte, sur le thème des sens inversés: «C’est le covid et la perte des sens qui m’ont inspirée: l’idée est de jouer sur les apparences trompeuses et de donner aux plats des allures de desserts et, par exemple, de proposer un trompe-l’œil de légume au dessert.» De l’art de changer les pires souvenirs en instants de bonheur créatif.

>> Découvrez l'article qui lui a été consacré suite à la réception du titre de «Cuisinière de l’année 2019»: Marie Robert, la magicienne de la cuisine

>>Découvrez Marie Robert dans l'article consacré aux personnalités suisses confinées: Huit personnalités romandes racontent leur confinement


 

Par Knut Schwander publié le 15 octobre 2020 - 08:52, modifié 18 janvier 2021 - 21:15