Une soupe d’ailerons? Il suffit de capturer un requin, de découper sa nageoire caudale et ses ailerons, huit chez la plupart des espèces, et de rejeter à la mer le reste de son corps, encombrant et moins lucratif. Bien sûr, pour le requin, c’est le bouillon d’onze heures: faute de pouvoir nager afin d’amener de l’oxygène à ses branchies, il crèvera lentement d’asphyxie. Mais, après tout, on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs.
Si cette technique de pêche aux ailerons, ou shark finning, vous semble néanmoins un poil barbare, sachez que plus de 100 pays l’interdisent depuis 2014, tandis que neuf pays ont banni la pêche au requin dans leurs eaux. La valeur marchande des ailerons, variable selon leurs taille, type, couleur, découpe et état, qui avoisinait encore 300 francs le kilo en Chine en cette même année 2014, reste toutefois très suffisante pour encourager la pêche légale et illégale de ces poissons. Selon les sources, entre 38 et 100 millions d’entre eux seraient ainsi tués chaque année. Une surpêche qui s’ajoute à la pollution et à la destruction de leurs habitats pour menacer de disparition un tiers des 465 espèces connues à ce jour.
Délit de sale gueule
Mais voilà: depuis le roman de Peter Benchley et grâce au talent de Steven Spielberg, qui a adapté le livre au cinéma en 1975, le terrifiant requin des «Dents de la mer» rôde dans toutes les mémoires sur la musique de John Williams, incitant pas mal d’entre nous à penser qu’un bon requin est un requin mort. Au grand dam des spécialistes, qui s’époumonent à répéter que le requin mangeur d’hommes est un pur fantasme nourri de nos angoisses archaïques, que les cinq espèces potentiellement dangereuses pour l’homme ne s’en prennent généralement à lui que par erreur ou guidées par la curiosité, que la plupart de leurs attaques sont plutôt du genre morsures d’exploration et que c’est leur rareté même qui les rend si spectaculaires, moins de 100 par an dans le monde, dont cinq ou six mortelles seulement... contre 800'000 morts annuelles dans le camp des moustiques.
N’empêche: même lorsqu’il sourit de toutes ses dents, de 300 à 400 par mâchoire chez le grand blanc, le requin peine à séduire les foules, qui continuent à le voir en saigneur des mers, quand il est leur seigneur. Nageant au sommet de la chaîne alimentaire, il est indispensable à la survie des océans comme à la nôtre: en maintenant l’équilibre de cet écosystème, il contribue en effet au rôle majeur de l’océan dans la régulation du climat, par sa fonction de pompe à carbone et de producteur d’oxygène grâce au plancton.
Le nez nageur
Apparu il y a 400'000 millions d’années, le requin a fait preuve d’une remarquable faculté d’adaptation. Il a tout conquis: mer, océan, fleuve et même l’eau douce pour le requin-bouledogue et le requin de rivière. D’une taille variant de 20 cm pour le requin-chat pygmée à 20 m pour le requin-baleine, il peut vivre en zone côtière ou au large, en pleine mer ou en eaux profondes, jusqu’à 2500 m de fond. Son odorat est le top du flair aquatique: certaines espèces peuvent ainsi détecter des substances comme le sang à des concentrations de l’ordre d’un pour cent millions! Enfin, son mode de reproduction est tout-terrain: ovipare, ovovivipare ou vivipare. Un seul bémol, mais majeur: toutes les espèces se reproduisent lentement. Maturité sexuelle tardive, gestation très longue (de sept mois à trois ans), petites portées. Pas de quoi compenser les excès de la surpêche.