Elle a tout juste 18 ans, mais elle a l’aplomb d’une trentenaire. Cela fait cinq minutes qu’Artemis nous explique ce qui la motive dans sa vie et déjà nous oublions où nous sommes et la raison de notre reportage. Entendre une jeune femme encore dans les âges «en 10» qui a envie de faire du journalisme, de la mode ou de la politique et sentir qu’elle peut réussir dans les trois tellement elle paraît brillante donne foi dans la jeunesse. Quand on lui demande si elle compte avoir des enfants, elle nous rétorque du tac au tac qu’on ne lui poserait sûrement pas cette question si elle était un homme. Et «bam» sur ma tête de boomer. Bien dit, Artemis!
Installée à côté de nous, Eva Ghewij sourit. La directrice des admissions et du marketing de Beau Soleil a beau être Allemande, vivre avec un Belge et parler français comme vous et moi, elle a un flegme d’outre-Manche. Elle en a vu passer, des journalistes venus à la queue leu leu faire un reportage dans «l’école la plus chère du monde». En comptant dans les 150 000 francs par an tout compris, l’école bat même le célèbre Rosey, installé entre Rolle et Gstaad. Un des sujets les plus marquants a été celui de TF1 réalisé à coups de drones, avec une attention qui a marqué sur un élève et sa collection de montres. Mais qu’est-ce qu’il y a derrière la façade de l’école de Villars-sur-Ollon (VD) plus que centenaire, qui accueille des enfants de milieux ultra-privilégiés?
Le collège installé au cœur de la station vaudoise forme des jeunes de 11 à 18 ans, qui terminent leur cursus par le bac international. En tout, 280 élèves venus de plus de 50 pays qui vivent en internat, bénéficient d’un enseignement top qualité et à qui sont proposées une centaine d’activités tant artistiques que sociales et sportives. «Et nous pouvons adapter le programme: si un élève veut faire une activité qui ne figure pas au programme, on va voir si d’autres sont intéressés et étudier la possibilité de la créer», explique Steve O’Hara, «directeur du fun», comme il se décrit, et officiellement des activités extrascolaires.
Nous déambulons dans l’école. Un bâtiment central historique avec une belle cheminée vous accueille. Ce n’est pas l’ambiance «Harry Potter», mais déjà un peu le style collège anglais avec de gros fauteuils dans la salle d’attente. Ensuite, c’est un dédale d’entités plus dispersées, avec des rénovations, des nouveaux blocs. Le tout s’étale en vertical sur neuf niveaux: pour le dire simplement, c’est gigantesque! Avec deux terrains de sport (un couvert, l’autre en plein air) au milieu du campus – ce qui est rare pour ce type d’école, où ces installations sont la plupart du temps excentrées.
Il y a cinq «maisons», à savoir unités, qui abritent l’internat. Artemis fait partie de la maison Tam, du nom de jeune fille de la mère de Jérôme de Meyer, président de Beau Soleil, géré par le groupe Nord Anglia. «Comme Tam Queens, nous avons une culture propre à cette maison», nous explique l’élève. Au-delà du mug aux couleurs de la maison, les jeunes filles qui vivent là partagent des valeurs de solidarité et d’implication dans leur travail et leurs nombreuses activités. Artemis – Art, pour ses amis – est Bulgare et, comme tous les autres, elle ne rentre pas à la maison le week-end. L’internat, c’est une extension de sa famille. Après quatre ans dans une école de ce type en Angleterre, elle termine sa deuxième année à Beau Soleil avant de partir pour l’Université de Syracuse à New York. Ou ailleurs.
«Ces enfants ont des vies internationales à de très multiples niveaux», souligne Stuart White. Le directeur de Beau Soleil a pris la tête de l’institution il y a trois ans. Il partage avec nous un verre de chasselas la veille de notre reportage dans le lobby de l’hôtel qui appartient à Jérôme de Meyer. Stuart lisse sa cravate, il a une collection de ces accessoires tous plus excentriques les uns que les autres. Ce jour-là, un chat côtoie la célèbre formule d’Einstein «E = mc2», «pour ne pas oublier que je suis un scientifique», glisse-t-il, pince-sans-rire. Ce bain de «globalisme», la plupart des résidents le vivent depuis leur plus jeune âge. Une étudiante rencontrée sur place a une mère brésilienne, un père libanais, étudie en Suisse et fera peut-être la suite de sa vie sur un autre continent. Mais pourquoi a-t-elle le drapeau mexicain sur le bras de son blouson du collège, celui-ci indiquant avec ce patch leur nationalité? Eva, notre accompagnatrice pour la journée, nous chuchote dans un sourire: «C’est celui de son petit ami.»
«Beau Soleil, c’est une école pour la vie», s’emballe Jean-Luc Blanchet. Ce prof de sciences français a rejoint l’école il y a trois ans. «J’avais des classes de 35 élèves, impossible de passer du temps avec eux. Ici, c’est sept élèves maximum.» Cet enseignant, mais aussi chercheur que l’on sent littéralement habité par sa passion de la physique, aime faire partie de cette communauté. «Hier, je faisais mes heures de «duty» – où nous participons à la vie de l’internat – et j’ai dû gérer des problèmes d’ado. Pas simple, mais c’est là que vous créez ce contact qui fait que, pour ces jeunes, vous êtes plus qu’un prof: un adulte de confiance.» Ce n’est pas Pantea qui dira le contraire: cette ancienne de l’école, qui suit actuellement des études de biologie à Lausanne, vient rendre visite à ses anciens profs. «J’ai eu des moments difficiles à Beau Soleil, mais j’ai adoré, nous confie-t-elle. Là, mes études sont très exigeantes et l’encadrement beaucoup plus lointain que ce que j’ai connu ici.»
«C’est un risque, reconnaît Eva. Nous leur facilitons la vie, avec tout ce qui est organisé pour eux, dans l’enseignement et au-delà. Les anciens élèves de ce type d’institution ne sont pas les meilleurs pour gérer le quotidien quand ils commencent leur université, que ce soit pour trouver un appart ou signer un abonnement de téléphone.» Des anecdotes liées au côté hors sol de ces enfants existent, bien sûr. Comme cet élève qui, outrepassant la règle des deux valises maximum pour intégrer l’internat, est arrivé avec… deux camionnettes remplies d’habits et d’accessoires. Ou cet autre arrivé à destination avec une palette de bouteilles d’eau: «Dans certains pays, il est juste inconcevable de boire l’eau du robinet.» Une des expériences ultimes pour certains consiste simplement à se balader seul dans la station, traverser la rue et faire des courses… à la Coop du village. Une activité impossible à envisager dans certains pays comme le Mexique, par crainte d’un kidnapping pour ces enfants de personnalités parfois exposées, ou simplement riches.
Le risque du cocon, il existe. Mais, pour Artemis, il faut le tempérer. «Ici, vous vous faites des connexions incroyables, constate-t-elle. Les opportunités que l’école m’offre sont énormes. Ils prennent soin de moi, on se sent vraiment comme dans une famille. Je n’en serais pas là en termes de compétences physiques, intellectuelles et sociales, car ici, on fait de tout! J’ai été ici deux ans mais elles valent plus que les cinq ans d’avant dans un autre internat en Angleterre.» Stuart White veut rester humble. Il y a l’effet Beau Soleil, mais cela vaut aussi pour les autres instituts d’excellence en Suisse. «Si vous allez dans un internat aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne, vous y allez pour recevoir l’éducation de ces pays. En Suisse, c’est tout différent: vous venez ici pour accéder à une éducation internationale.»
Avec un axe fort sur l’innovation. L’école a ainsi massivement investi dans le Hub, un labo qui permet aux élèves de concevoir des objets et les fabriquer avec des imprimantes 3D ou des machines à découper le bois au laser. Sans compter la salle attenante équipée de bêtes de course informatiques, afin d’élaborer des jeux et des programmes. On y joue – pardon, on s’y entraîne – dès le plus jeune âge dans ce public qui veut changer le monde avec son téléphone. Mais pas seulement. L’école s’enorgueillit avec raison de son projet 17gcoffee. Les élèves – 17, au départ, qui ont décidé que 17 grammes de café par tasse étaient la bonne mesure – ont eu l’idée de créer une entreprise de café à but non lucratif. «Pour être clair, ils sont trop jeunes pour apprécier le goût du café et je pense qu’aucun d’entre eux n’en boit! Par contre, c’est l’occasion pour eux de mettre en application leurs valeurs dans le monde de l’entreprise», raconte Steve O’Hara. Car cette compagnie d’entrepreneurs éclairés ne veut que du café qui s’inscrive dans une démarche à la fois écologique, éthique et sociale. «Quand le prix des matières premières augmente, faut-il le répercuter sur celui du café ou l’absorber? Ils doivent décider tout le temps, ce qui fait de cette expérience une sacrée aventure!»
Le cocon serait donc stimulant? Oui, pour Stuart White, qui lui reconnaît deux qualités inattendues. «On ne peut pas mentir, dans un internat. Vous êtes tout le temps celui que vous êtes. Que vous soyez une personnalité avenante ou quelqu’un de plutôt renfrogné, vos congénères vivent avec vous du lever au coucher. Pas possible de faire sa crise d’ado une fois les cours terminés. Vous êtes entouré de gens qui vous connaissent sous toutes vos facettes. C’est comme une discussion permanente à table en famille.» L’autre élément a encore trait aux relations sociales. «Nous faisons face, comme tous les milieux de l’éducation, à l’impact énorme des réseaux sociaux. A la différence que nous les gérons ici à la manière traditionnelle. Un élève aura du mal à en harceler un autre sur un groupe WhatsApp après les classes, puisqu’il vit dans la chambre d’à côté.»
Aller au-delà des compétences scolaires et participer à la construction de personnalités fortes et affirmées, c’est au fond le but de Beau Soleil. Ah, au fait, Artemis ne se prénomme pas du tout ainsi. Mais elle a décidé il y a plusieurs mois de se rebaptiser parce qu’elle est passionnée de mythologie grecque et qu’elle a envie de donner une autre couleur à sa vie.