Après deux ans de pandémie et un retour à la normale encore timide dans certaines entreprises, le «home office» reste largement plébiscité. D’après une enquête réalisée par Deloitte, 62% des sondés suisses souhaitent continuer à travailler partiellement depuis leur domicile, 26% étant même favorables au maintien complet du distanciel. Les aficionados de l’open space souhaitant un retour au bureau à temps complet ne sont en revanche que 12%. Et pour cause, lorsqu’il est correctement déployé, le télétravail offre de nombreux avantages: pas de déplacements parfois perçus comme interminables, une certaine flexibilité d’organisation ou encore un meilleur équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle Conscientes de se trouver à un point de bascule, de nombreuses entreprises se penchent sur des solutions pour rendre le lieu de travail plus désirable.
>> Lire aussi: Télétravail vs. droit du travail désuet
Faut-il promouvoir le bonheur au bureau pour donner envie aux salariés d’y retourner? D’après de nombreuses études réalisées sur le sujet, notamment par Harvard et le MIT ou l’Université de Warwick, il semblerait que le bien-être sur le lieu de travail profite non seulement aux employés, mais également aux employeurs. Meilleure productivité, réduction de l’absentéisme et du roulement de personnel, plus grande loyauté, meilleures performances... Investir dans le bonheur de ses collaborateurs apparaît dès lors comme une stratégie gagnant-gagnant. De plus, développer de vraies politiques de bien-être au bureau apparaît parfois comme une nécessité pour un retour au présentiel ne rimant pas avec dégringolade de la motivation, ou même avec révolte (aux Etats-Unis, le terme «great resignation» désigne le phénomène massif de démissions de salariés estimant leurs conditions de travail médiocres).
Alors, comment faire pour réenchanter les bureaux? «Il n’existe pas de recette magique pour y parvenir! La mission des dirigeants est donc de trouver la meilleure formule, qui relève davantage de la confiance que d’un budget baby-foot», relève Philippe Chazalon, cofondateur et co-CEO de l’entreprise de logiciels française UpSlide et auteur de plusieurs articles sur la question. Crèche, salles de détente et de sieste, fitness, douches, mais aussi augmentation du nombre de semaines de vacances ou encore taux d’activité et horaires flexibles tenant compte du rythme de vie de chacun pourraient bientôt devenir des incontournables pour qui veut revoir ses collaborateurs en chair et en os.
On observe également de nouvelles tendances visant à concevoir des espaces de travail plus esthétiques, flexibles et externalisés. Parmi elles, on trouve le «proworking», présenté comme une alternative aux bureaux classiques, jugés par certains comme étant austères et rigides. Quésaco? Pour faire simple, le «proworking», encore peu répandu en Suisse, peut être défini comme une forme de «coworking» (pour des professionnels indépendants, le fait de partager un même espace de travail), mais conçu pour les entreprises. Là où le «coworking» s’adresse plus aux indépendants ou aux structures créatives avec son image «à la bonne franquette», le «proworking» se distingue par des aménagements haut de gamme efficaces et confidentiels, des espaces personnalisables et sécurisés pour chaque entreprise présente sur le site avec, en bonus, un gain de visibilité ainsi que des possibilités de réseautage accrues.
Parmi les premiers à avoir franchi le pas, on trouve la société de cosmétiques Grangettes Switzerland, qui loue depuis 2019 des bureaux dans un espace de «proworking» à Genève (lire ci-après). Cogérant de la société, Laurent Troillet confie avoir d’excellents retours de ses employés. Remarque-t-il également des avantages côté employeur par rapport à des locaux dans un siège classique? «Ce qui fait la différence, c’est l’agilité offerte par ce type de solution. On peut augmenter le nombre de places comme le rétrécir en fonction des besoins, sans être tenu par un bail de plusieurs années. Après deux ans de pandémie, on a vu que les entreprises qui s’en sont le mieux sorties ont été celles qui ont su s’adapter rapidement aux changements.» Reste à voir si la pratique se démocratisera ces prochaines années en Suisse. Visite dans trois lieux en Suisse romande où il fait bon aller travailler.
Cosyup.work, Confort haut de gamme:
Des locaux spacieux (plus de 300 m2) et une vue idyllique sur la campagne genevoise, tel est le cadre de cet espace de «proworking» qui séduit les indépendants comme les multinationales. Outre la société Grangettes, Nespresso a par exemple fait le choix d’y installer sa structure commerciale genevoise dédiée aux professionnels, tout comme la société d’architecture et d’ingénierie Fortil. Fondé en 2019, Cosyup.work est né de l’ambition de Valérie Morvan et de Patrick Avon, spécialistes en aménagement d’espaces de bureaux, de créer un lieu partagé orienté vers le bien-être du travailleur. Mobilier haut de gamme et ergonomique, confort acoustique, lieux de repos, tout est pensé pour maximiser le confort des occupants. Particularité du lieu, on trouve à la fois des places à occuper au mois (à partir de 430 francs) mais aussi des bureaux entiers à louer pour les entreprises qui bénéficient ainsi de coûts maîtrisés (à partir de 1900 francs par mois hors taxes pour une surface privée pouvant accueillir jusqu’à six collaborateurs) et d’un service tout inclus (impressions, ménage...).
Concrètement, comment travaille-t-on chez Cosyup.work? Valérie Morvan indique que les différents espaces répondent tous à une fonction bien définie. L’open space souvent réputé bruyant et stressant pour les collaborateurs est ici une zone de silence dédiée à la concentration (on confirme, on entendrait une mouche voler). Pour passer des appels, des cabines insonorisées sont mises à disposition. Pour les réunions de trois ou quatre personnes – les plus répandues actuellement, selon Valérie Morvan –, on se retrouve dans un meeting pod (sorte de petite bulle tout confort) ou dans une salle de conférence pour les plus grandes réunions.
«Les jeunes générations n’ont plus envie de se trouver huit heures par jour derrière le même bureau. Ici, on a même des gens qui travaillent depuis la cafétéria avec leur ordinateur portable. On croit vraiment à cette approche plus mobile, plus dynamisante», précise Valérie Morvan. Autre aspect du bien-être au bureau, l’offre de repas sains, diversifiés et bistronomiques, à commander directement chez un jeune chef via une application, pour une livraison à l’heure de la pause de midi directement chez Cosyup.work.
Cosyup.work, chemin de Riantbosson 19, Meyrin (Genève), cosyup.work.
Studio Banana, Sieste réparatrice au bureau:
L’histoire de Studio Banana, spécialistes en stratégie et conception d’environnements de travail, débute en 2007 à Madrid, à la Calle del Plátano, la rue de la banane. Le campus de Lausanne, lui, a ouvert ses portes en 2015. «Le terme communauté créative est celui qui nous décrit le mieux, nous indique Key Kawamura, cofondateur de Studio Banana. On voyait un énorme potentiel dans la création de synergies professionnelles, raison pour laquelle notre campus héberge à la fois notre agence mais aussi un espace de travail pour d’autres petites entreprises.» Pour cet architecte de formation, dialogue, échange et diversité sont les garants d’un espace dynamique et propice à l’innovation. Ainsi, on rencontre au sein du campus de Lausanne une créatrice de voyages, des experts en informatique, une agence de relations publiques, des photographes ou encore des spécialistes du design de valeurs. Studio Banana organise également des événements professionnels, conférences et tables rondes dans une idée de club inclusif de partage de connaissances.
Le campus est également un laboratoire d’idées: «Comment se comporter dans le cadre du travail, quel type d’interactions, quel type de technologie pour quel usage? Toutes ces idées qu’on peut avoir pour nos clients, on les teste d’abord chez nous.» Lorsque l’on évoque finalement la question du bien-être des employés, Key Kawamura est intarissable. Il nous apprend par exemple que Studio Banana a développé et commercialisé toute une série d’accessoires dédiés… à la sieste! Un choix farfelu? Pas le moins du monde: «Le repos sur le lieu de travail est une condition essentielle au bien-être des collaboratrices et collaborateurs qui va au-delà de questions d’ergonomie de la chaise de bureau par exemple, mais englobe des aspects psychologiques, sociaux et interpersonnels. De plus, on sait que les maladies liées au manque ou à la mauvaises qualité du sommeil explosent dans nos sociétés modernes.» Pouvoir faire une petite sieste au bureau, c’est donc possible chez Studio Banana, et c’est même recommandé!
Studio Banana: Avenue des Acacias 7, Lausanne, studiobanana.com.
Tipee, Centrés sur l’humain:
Lorsque l’on arrive dans les locaux de Tipee, application de gestion du temps et portail RH leader en Suisse romande, on se croirait presque sur un plateau de tournage avec une multitude de décors différents. Une salle de réunion aux allures de chalet, un espace de repos décoré dans des tons chauds avec des pièces chinées ou encore un œuf de télécabine vintage à souhait: ici, rien n’est ordinaire.
«Les bureaux ont été entièrement refaits il y a trois ans. On a cassé tous les murs et on a tout changé», raconte le directeur des lieux, Jean-Marc Fillistorf. Tipee développe également deux autres logiciels: MoonCare, une plateforme destinée aux sage-femmes, et DSI, qui propose une solution de dossier de suivi pour des institutions spécialisées comme les EMS, les homes pour personnes handicapées ou encore des foyers de réinsertion. «Le social est dans notre ADN. On crée des logiciels pour des humains qui s’occupent d’autres humains.» Une fibre sociale, du sens et un accent mis sur l’individu constituent selon Jean-Marc Fillistorf le cœur des activités de Tipee et de sa trentaine de collaborateurs répartis entre développement, marketing, suivi client ou encore administratif.
Des collaborateurs qui ont été sondés au moment de la rénovation des bureaux ont par exemple voté massivement en faveur d’une cafétéria ouverte et fonctionnelle ainsi que pour une (très) grande table à manger qui a dû être créée sur mesure. On remarque aussi un baby-foot dans l’un des espaces de repos, est-ce donc l’objet indispensable pour un bureau branché? Jean-Marc Fillistorf éclate de rire: «Croyez-moi ou non, mais il est là depuis des années, on avait clairement une tendance d’avance!» Que pense-t-il du maintien partiel du télétravail? «Même s’il offre des avantages indéniables, il peut parfois être un frein à la création et au maintien d’une culture d’entreprise et même, selon notre expérience, au fait de trouver du sens dans ce que l’on fait. Le sens, c’est un sujet dont on parle beaucoup actuellement, à raison selon moi.» Comment faire alors? «On encourage la cohésion en organisant un certain nombre d’activités, facultatives, pour que les gens apprennent à se connaître et tissent des liens. En janvier 2021 par exemple, on a organisé un atelier cuisine à distance avec un chef qui a eu beaucoup de succès et, récemment, on est allés tous ensemble faire du surf à Sion, sacrée expérience!»
Tipee: Avenue de Sévelin à Lausanne, tipee.ch.