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Rencontre

Sandrine Bonnaire: «Je suis bercée par la musique d’Erik»

Depuis 2018, Erik Truffaz et Sandrine Bonnaire forment un couple heureux. A l'occasion de la sortie ce 7 avril de «Rollin’», le nouvel album du trompettiste genevois, et de son concert le 14 avril en ouverture du 40e Cully Jazz Festival, l’actrice française nous a reçus chez elle, à Paris, pour en parler avec lui. Exclusif.

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Sandrine Bonnaire et Erik Truffaz

Il règne une atmosphère heureuse chez Sandrine Bonnaire: l’actrice a installé dans son salon un tissu aérien, agrès circassien exigeant, pour s’exercer. Tout en improvisant, son compagnon Erik Truffaz admire le spectacle.

Manuel Braun

Paris. Une cité pour artistes dissimulée derrière un mur anonyme, au pied de la butte Montmartre. Renoir, Pissaro, Utrillo, notamment, ont peint ici à la fin du XIXe siècle. Le compositeur Erik Satie y a aussi eu ses habitudes. En ce début mars 2023, le trompettiste genevois Erik Truffaz nous guide jusqu’au repaire de sa compagne, l’actrice Sandrine Bonnaire, niché sous les toits. Une hauteur de plafond peu commune, de grandes verrières: la luminosité qui inonde cet appartement est exceptionnelle. Des meubles chinés et décapés, des antiquités, un piano demi-queue, deux mezzanines, un escalier en colimaçon à armature métallique: l’endroit est ravissant.

La complicité unissant le musicien natif de Chêne-Bougeries (GE) et l’actrice-réalisatrice parisienne saute aux yeux. Des gens heureux.

On s’étonne du silence ambiant. «Depuis que je le connais, j’écoute beaucoup moins de musique», confie Sandrine Bonnaire, tout sourire. «Forcément, je remplis l’espace», relève son compagnon. Elle ajoute: «Je suis bercée par sa musique. Comme il travaille beaucoup, j’en écoute moins, mais même seule, je peux rester longtemps sans écouter de musique. Ça fluctue.» Au gré des humeurs. L’actrice révélée par Pialat et le trompettiste qui, lui, a grandi dans le Pays de Gex, échangent des regards amusés.

Sandrine Bonnaire et Erik Truffat

Entre le trompettiste genevois et l’actrice parisienne, l’accord est total. Qui porte le chapeau? Tous les deux! L’amour et l’admiration mutuelle qu’ils se portent sautent aux yeux.

Manuel Braun

«C’est mon Petit Prince»


Au fond, qu’est-ce qui les a tant séduits l’un chez l’autre? «Erik, c’est mon Petit Prince, répond Sandrine Bonnaire. Comme le personnage de Saint-Exupéry, il est rêveur et espiègle. Gaffeur aussi.» Il répond à son doux éclat de rire: «Je suis pire que Pierre Richard!»

Et lui, qu’est-ce qui le fait craquer chez elle? «Sandrine est mon soleil durant la journée et ma lune durant la nuit.» Elle est touchée. «De manière plus concrète, ce qui nous épate chez l’un et l’autre, c’est qu’on est dans des processus créatifs. Elle cherche, je cherche, on cherche ensemble. Et tout ce monde imaginaire sublime notre relation.» Fusion de deux univers.

Il y a de l’harmonie dans ce couple d’artistes. Ce n’est pas si fréquent. Chez les gens de cinéma, par exemple, le succès de l’un, l’insuccès de l’autre engendrent souvent des déséquilibres. Pas chez eux. «Sandrine et moi sommes deux personnes assez indépendantes qui avons aussi besoin de vivre notre truc chacun de son côté, mais ça participe à notre équilibre, non?» Elle approuve, ajoutant qu’entre eux il y a aussi une admiration réciproque, sentiment qu’elle estime important.

Le son de Truffaz exige de l’oreille. Sandrine Bonnaire sait écouter et voir. «La musique d’Erik est visuelle. Elle me renvoie plein d’images. Quand il joue, j’imagine des scènes.» Comme une passerelle cinématographique.

Sandrine Bonnaire et Erik Truffat

Concentré, Erik Truffaz est au piano. Il accroche un air. Mystère de la création artistique. Sandrine Bonnaire le regarde, fascinée.

Manuel Braun

«On se complète bien»


L’actrice remonte le fil de leur histoire, qui démarre par un concert d’Erik Truffaz à l’Olympia: «Je ne savais pas qui c’était. J’ai accompagné un ami. J’ai adoré, puis j’ai exploré. Je me suis intéressée à l’univers de ce mec dont j’avais aimé l’allure sur scène sans vraiment distinguer le visage.» C’est le percussionniste Dominique Mahut, un musicien d’Higelin, le grand Jacques auquel Sandrine Bonnaire a consacré un documentaire, qui va les rapprocher après une tournée avec Erik Truffaz (que l’actrice prononce «Truffaze»).

Le trompettiste genevois cherche une actrice pour lire des textes de Marguerite Duras sur scène. «Le lien s’est fait comme ça, grâce à Mahut, raconte Sandrine Bonnaire. Il lui a donné mon numéro de téléphone… qu’Erik a égaré.» Eclat de rire. La deuxième tentative sera la bonne.

Figure de l’insoumise du cinéma français, Sandrine Bonnaire a jailli dans la lumière de Pialat, sortie de nulle part. Septième d’une famille de 11 enfants (!), un papa ouvrier ajusteur, elle a acquis une notoriété unique grâce à deux films miraculeux: «A nos amours», puis «Sans toit ni loi» d’Agnès Varda qu’elle seule pouvait embrasser avec autant de force.

Entre la femme de cinéma, entière, et le trompettiste franco-suisse, l’accord est majeur. Pas d’ego surdimensionné. Pas de jalousie sournoise. «On se complète bien, dit-elle. Là, j’écris une série dans laquelle je vais jouer quatre épisodes. Erik en fera la musique.»

Sur son nouvel album, magnifique, à découvrir le 7 avril, le trompettiste genevois reprend à sa main une dizaine de thèmes célèbres de musiques de films et de séries télévisées. Le musicien a imaginé ce projet grand public en deux parties. Après «Rollin’» ce printemps, ce sera au tour de Clap à l’automne. Avec son groupe, il présentera l’entier de ce nouveau répertoire sur la scène du Cully Jazz Festival le 14 avril. Il avoue une certaine pression: «Je suis plus tranquille quand je vais jouer en Pologne, par exemple. Quand je connais les gens, que ce soit ici, à Paris, ou dans le bassin lémanique, c’est autre chose… Pour l’anecdote, Sandrine aime bien que j’apporte ma trompette quand on va dans sa famille. Moi, ça me met une énorme pression.» Elle éclate de rire: «Oui, il a super le trac! C’est trop mignon. Mais il le fait!»

Quand il n’habite pas chez Sandrine Bonnaire à Paris, Erik Truffaz se retire en montagne, à l’écart du monde. Une quête de zénitude et d’air pur.

Prise de risques et choses à dire


Sandrine Bonnaire, on l’a dit, est une actrice à part que le Paris mondain n’attire guère. Les rôles difficiles la séduisent. «J’assume certains projets risqués, précise-t-elle. Par exemple dans la minisérie «Les combattantes», je joue une femme beaucoup plus âgée que moi. Souvent, les actrices ont du mal à vieillir. Ça leur fait peur. Question d’image. Moi, je me suis dit qu’en me montrant plus vieille ça m’aiderait à m’habituer psychologiquement.» Elle rit. «J’en rigole, mais c’est quand même un risque.»

En parallèle aux rôles qu’on lui soumet, elle mène ses propres projets (documentaires, séries, etc.). «Je ne le fais pas dans l’idée de me mettre à l’abri, mais par passion et pour ne pas m’essouffler. Ça fait quand même quarante ans que je m’exprime en tant qu’actrice! Et puis je me sens aussi la prétention d’avoir des choses à dire, donc je les dis.»

Sandrine Bonnaire est une voix singulière, qui porte et qu’on écoute. Elle a une légitimité dont peu d’actrices peuvent se prévaloir. Question de vécu, parfois douloureux. Au-delà de l’artiste, il y a une femme, touchante, engagée, qui nous émeut, nous secoue, nous questionne. On l’aime autant pour cela que pour ses talents artistiques.

«Il y a des sujets que j’ai envie de défendre, poursuit-elle. J’ai mis beaucoup de temps à accepter de parler de la violence faite aux femmes. J’ai surtout parlé de la réparation, parce que c’était le plus important pour moi à l’époque et, des années plus tard, j’ai dit que c’était quelqu’un qui m’était proche.» Elle ne tient pas à revenir une fois encore sur son expérience personnelle. Pas aujourd’hui.

«Une messagère parmi d’autres»


Sandrine Bonnaire porte-parole? «Je me sens plutôt une messagère parmi d’autres, nuance-t-elle, même si, c’est vrai, j’ai été le porte-drapeau de l’autisme pendant très longtemps. L’autisme est proche de moi (elle a consacré un documentaire à Sabine, l’une de ses sœurs, autiste, ndlr). J’y étais d’ailleurs à ce point rattachée que cela m’a envahie, or je n’ai pas toutes les compétences pour évoquer l’autisme. Je peux parler de ma sœur, de comportements autistiques. Je peux dire certaines choses, mais je ne suis ni médecin ni neurologue.» Elle estime néanmoins que les personnalités publiques ont réellement «une utilité pour mettre en avant certaines causes».

Erik Truffaz, par contraste, est tout silence. «Nous n’avons pas du tout la même popularité, fait-il observer justement. Les gens aiment réellement Sandrine parce qu’ils se sentent proches d’elle, parce qu’elle s’exprime comme eux.»

Depuis leur rencontre, Erik Truffaz et Sandrine Bonnaire travaillent souvent ensemble. Ils planchent même sur un album. «On a déjà deux titres, confie l’actrice. Je chante sur un morceau qui s’appelle «Courir».» Sur l’album «Rollin’», Sandrine interprète un texte lu, emprunté au film «César et Rosalie» de Claude Sautet. Un joli moment. Le chant? Elle y travaille. «J’adore chanter. Je prends d’ailleurs des cours. L’idée, c’est de m’exprimer en musique avec mes propres mots.»

A côté du demi-queue, au salon, on remarque trois vinyles du groupe fribourgeois The Young Gods, posés à côté de la platine Technics. «Je suis archi-fan des Young Gods!» lance Sandrine Bonnaire, une étincelle dans les yeux.

Erik Truffaz s’est mis au piano. En tâtonnant, il improvise un thème. «C’est souvent quand on ne cherche pas qu’on trouve», avoue-t-il. Sandrine Bonnaire court prendre son téléphone pour enregistrer. Cinq notes, puis une suite d’accords. De sa main libre, il saisit sa trompette. Le temps se fige. 

Un album sublime


Retour à la cuisine. Sandrine Bonnaire est allée bricoler. On revient à «Rollin’», le nouvel album d’Erik Truffaz, à découvrir chez Blue Note. Tous les titres figurant sur ce disque ont marqué les cinéphiles, pourtant il ne s’agit pas de reprises. Erik Truffaz a par exemple extrait la substantifique moelle du thème principal de «La strada» de Fellini, composé par Nino Rota. On reconnaît «La strada», mais c’est du Truffaz, qui, avec son groupe, a tout «déconstruit et reconstruit». Il s’est autorisé moins de libertés avec le générique inoubliable d’«Amicalement vôtre (The Persuaders)», mais c’est épatant.

«Tout a démarré à Angoulême, où l’on m’a demandé de réinterpréter des musiques de films français pour la clôture du festival, raconte Erik Truffaz. Avec mon groupe, on s’est bien éclatés. En parallèle, Blue Note m’a contacté et je leur ai proposé d’enregistrer un projet similaire, en ouvrant cette fois le champ à des thèmes qui ne sont pas que français.»

Dans «Rollin’», les divines surprises s’enchaînent. Camélia Jordana s’approprie de manière inouïe «One Silver Dollar», chanson interprétée à l’origine par Marilyn Monroe. «Rien qu’en en parlant, j’ai les frissons», avoue le musicien, qui le prouve en remontant sa manche.

A sa main, Erik Truffaz repasse ainsi sur Morricone («Le casse»), Michel Magne («Fantômas»), Miles Davis («Ascenseur pour l’échafaud») et s’offre même un clin d’œil à Jacques Tati en emmenant Monsieur Hulot en vacances chez les manouches. Du grand art.

«J’ai un intérêt musical très ouvert», souligne l’ancien élève du Conservatoire de la place Neuve, à Genève, qui a passé sa carrière à confronter avec bonheur le son Truffaz, proche de Miles Davis et de Chet Baker, mais résolument européen, à différents styles musicaux tels que hip-hop, drum and bass et électro, notamment.

Et au cinéma, quels ont été ses plus gros chocs à lui? «Je suis né en 1960, répond-il. Le premier film que j’ai vu en salle, à L’Alhambra, à Genève, c’est «Le livre de la jungle», qui m’a ébloui et dont la musique me renverse encore. Quant à mon deuxième choc, l’histoire est savoureuse. J’avais 14 ans, j’étais scolarisé à Ferney-Voltaire. Un jour, j’ai courbé les cours et filé à mobylette à Genève voir «Scènes intimes de la vie conjugale», persuadé que c’était un film érotique! Ce chef-d’œuvre, on le sait, est un Bergman sur les problèmes de couple, mais lui aussi m’a renversé, car, ensuite, en voyant les adultes, mes parents en particulier, j’ai compris qu’il y avait des problèmes plus complexes.»

>> L'album «Rollin’» d’Erik Truffaz sera disponible chez Blue Note dès le 7 avril. 
>> Erik Truffaz présentera «Rollin’ & Clap» le vendredi 14 avril à 20h30 au Cully Jazz Festival. Plus d'informations sur cullyjazz.ch

Par Blaise Calame publié le 7 avril 2023 - 09:58