Bonjour,
Pour avoir refusé de se faire vacciner, six gardes suisses, dont quatre Romands, ont été contraints de démissionner ou ont été licenciés. De retour au pays, ils ne cachent pas leur déception et leur amertume.
Christian Rappaz
Pierre-André Udressy, encore abasourdi, nous livre son témoignage.
DR«Jamais je n’aurais pensé que l’Eglise catholique et son chef en personne puissent agir de cette manière. On a été virés sans le moindre égard par une institution qui prône la solidarité entre les hommes et le respect des minorités. Je suis très déçu, sous le choc et, pour tout dire, fâché par ce qui nous arrive.» Au téléphone, Samuele Menghini, élevé au grade de vice-caporal il y a un an, ne cache pas son amertume. Comme ses cinq camarades d’infortune, le Grison n’a pas voulu se plier à l’obligation de se faire vacciner décrétée mi-septembre par le Vatican. Une posture qui lui a coûté son poste.
A 25 ans, ce ressortissant du val Poschiavo terminait sa troisième année au service de Sa Sainteté et souhaitait poursuivre sa mission jusqu’à la fin février 2022. «J’ai mis ma vie civile entre parenthèses à un âge où on évolue professionnellement. Je me suis engagé à fond pour cette mission et, du jour au lendemain, on nous a dit: «Tu te vaccines ou tu pars», confie, visiblement désillusionné, celui qui montait fréquemment la garde devant l’appartement du pape. A l’instar de ses ex-collègues, il n’estime pas pour autant avoir failli à son serment. «J’ai juré d’obéir et de servir loyalement le souverain pontife pour autant que les ordres qu’on me donne soient logiques et que je les comprenne. Or, dans cette affaire, la logique et le droit ont été bafoués. Même notre commandant a été mis devant le fait accompli.»
Le garde suisse Samuele Menghini en grande tenue.
OLIVER SITTELLe garde suisse Samuele Menghini en grande tenue.
OLIVER SITTELTitulaire d’un CFC d’employé de commerce et d’une maturité professionnelle, Samuele Menghini s’apprête à reprendre le fil de sa carrière, non sans avoir une pensée compatissante pour certains de ses compagnons d’armes. «Pour ceux qui font carrière à la garde en particulier. Beaucoup d’entre eux ont accepté la vaccination contre leur gré pour sauver leur place. C’est triste d’en arriver là.»
Pour le hallebardier fribourgeois David Boschung, la douleur provoquée par cette brutale fin de service est tout aussi vive. «Nous avons quitté notre famille, nos amis, notre pays, notre job pour en apprendre un nouveau. Nous nous sommes investis sans retenue et avec foi dans cette mission pour, au final, nous faire jeter comme des pestiférés. C’est très dur à vivre et à accepter», confie le bientôt trentenaire, privé, comme les autres partants, de l’audience personnelle que leur accorde le Saint-Père pour les remercier de leur engagement. «C’est le moment que nous attendons tous dès notre premier jour de service. Un instant de grâce qui nous accompagne pour le reste de notre existence. On nous l’a enlevé», se désole le Gruérien, contraint à la démission à deux mois de la fin de son bail romain.
David Boschung, originaire du canton de Fribourg.
OLIVER SITTELDavid Boschung, originaire du canton de Fribourg.
OLIVER SITTELMême écœurement pour ce Biennois qui, lui aussi, a préféré la démission au licenciement et choisit de témoigner sous le couvert de l’anonymat. «C’est déjà assez dur comme ça, justifie-t-il, avant d’expliquer: Tout s’est passé très vite. Il a fallu rendre notre chambre, faire nos affaires et nos adieux à nos camarades avant de partir comme des voleurs, sans le moindre geste de reconnaissance. Cette fin brutale ternira à jamais mes vingt-deux mois de mission, certes difficiles compte tenu de la situation, mais vécus très intensément jusque-là.» Un quatrième soldat, fribourgeois, encore sous le choc de son licenciement, n’a pas souhaité témoigner. D’autres vaccinés de dernière minute, dont un Valaisan, se trouvent toujours en caserne mais suspendus de leurs fonctions jusqu’à l’obtention de leur certificat covid et contraints de présenter un test négatif renouvelé toutes les 48 heures pour pouvoir se mouvoir dans les locaux.
Pas de trace de ce rififi sur le site officiel de la garde, rien n’évoque le départ précipité des six hommes. Du côté du service de communication, on joue sur les mots. Pour son porte-parole, les soldats ont été invités et non pas obligés à se faire vacciner à la suite de la promulgation de l’ordonnance sur l’état d’urgence soumettant l’entrée au Vatican à l’obligation de posséder l’attestation appropriée. «Ces mesures sont conformes à celles adoptées par d’autres corps d’armée dans le monde, précise le répondant, avant de poursuivre, en précisant qu’aucune autre déclaration ne nous serait envoyée: Trois membres de la garde ont choisi de ne pas accéder à cette demande, en quittant volontairement le corps. Pour trois autres, une suspension temporaire du service a été ordonnée. Entre-temps, ils ont quitté le corps.» «Faux, s’insurge le Valaisan Pierre-André Udressy, qui confirme le licenciement (lire plus bas). Nous n’avons pas démissionné. On nous a convoqués au bureau pour nous ordonner de déguerpir.» Le Covid-19 aura fini par diviser jusqu’au cœur du Vatican…
Pierre-André Udressy, qui nous livre son témoignage ci-dessous.
DRPierre-André Udressy, qui nous livre son témoignage ci-dessous.
DRLicencié, le garde valaisan Pierre-André Udressy, auteur d’une lettre ouverte (en fin d'article) adressée au pape François en personne, réfute l’accusation d’avoir désobéi et manqué à son serment de servir le Saint-Père même au péril de sa vie. Plaidoyer.
«Comme les nouvelles vont très vite, je préfère prendre les devants afin de donner ma version des faits. Je ne cherche ni la bagarre, ni à mettre de l’huile sur le feu. J’ai pris congé de la garde pontificale et du Vatican le cœur lourd mais en bons termes avec tout le monde. Je veux juste expliquer ce que j’ai vécu.» Du train qui le ramène de Rome, Pierre-André Udressy décrit tant bien que mal les circonstances qui l’ont forcé à quitter la capitale italienne avec un billet sans retour, après dix-huit mois de mission. Avant que l’abonné mobile ne soit définitivement plus atteignable, rendez-vous est pris pour une rencontre plus sereine, au chalet familial de Troistorrents (VS). Alors que son engagement auprès du souverain pontife aurait dû s’achever en mars prochain, le Valaisan de 24 ans a fait ses valises et ses adieux à ses camarades dimanche dernier. Licencié pour n’avoir pas cédé à la pression de la vaccination, il ne retrouvera en effet plus sa compagnie forte de 135 hommes, parmi lesquels une cinquantaine de Romands. Un crève-cœur, même si le désormais ex-garde ne regrette pas son choix.
- Dans quel état d’esprit êtes-vous quarante-huit heures après avoir quitté le Vatican?
- Pierre-André Udressy: Je suis bien sûr très déçu, voire choqué par cette fin brutale. D’autant que tout s’est déroulé dans une sorte de flou artistique. Mais la pression venant d’en haut était telle que la position des uns et des autres était devenue intenable.
- C’est-à-dire?
- En réalité, nous n’avons jamais reçu d’ordre formel de nous faire vacciner. Au contraire, notre commandant nous a toujours laissé le libre choix. A Noël 2020, l’Etat du Vatican nous a informés de la possibilité de nous inscrire à un programme de vaccination. Puis nous avons reçu de la même source un document similaire le 20 août dernier avec délai de réponse au 15 septembre. Une sorte de piqûre de rappel, sans plus. Puis, à cette date, le commandant nous a convoqués pour dire que les choses se précipitaient et nous prévenir que décision avait été prise en haut lieu que les gardes non vaccinés au 1er octobre devraient partir. Cela étant, je doute que le pape ait vraiment été conscient de ce qui se passait dans les couloirs et les bureaux.
- C’est pourtant pour protéger sa fragile santé que cette pression a été mise…
- Oui. Mais en même temps, 5000 à 10 000 personnes auxquelles on ne demande pas de pass sanitaire mais simplement de mettre un masque et de garder les distances assistent à ses audiences, à l’aula Paul VI. Et on sait combien le pape François, opéré du côlon et qui a subi l’ablation d’un poumon, est réticent à porter un masque et a du mal à s’abstenir de s’approcher des gens.
- Vous êtes vous-même en contact avec lui?
- Nos chemins se croisent régulièrement. Il nous glisse parfois quelques mots. Mais cela ne dure pas et se fait à distance.
- Lors de votre engagement, vous avez juré de le servir et même de sacrifier votre vie pour lui si nécessaire. Et lui-même a comparé la vaccination à un acte d’amour. Votre refus n’est-il pas une façon de trahir votre serment?
- Pas du tout. Je n’ai pas trahi le pape François. En tant que gardes, nous obéissons au commandant, notre supérieur référant, et celui-ci, je le répète, n’a jamais ordonné de nous faire vacciner. Il s’est contenté de nous rendre compte oralement des pressions qu’il subissait. Il a d’ailleurs été le premier désolé de ce qui nous arrive. De plus, l’obéissance est forcément conditionnée par le bon sens et, à ce propos, je me dis que si les personnes vaccinées peuvent elles aussi transmettre le virus, je ne représente pas un plus grand danger qu’elles. A vrai dire, je ne me sens pas plus en sécurité à leur contact qu’elles ne le sont avec moi, qui ai contracté le covid en décembre dernier.
- Dans votre lettre, vous laissez entendre qu’il y a deux poids et deux mesures dans la manière de traiter le personnel du Vatican…
- La Garde est la seule entité à qui on impose l’obligation du certificat. Bien qu’il soit aussi sous pression, le reste du personnel non vacciné peut encore avoir recours aux tests pour accéder au site. De plus, nous savons qu’un certain nombre d’ecclésiastiques ne sont pas vaccinés et ne veulent pas l’être. J’ai même été complimenté par certains d’entre eux pour ma lettre.
- Vous en êtes resté à cette lettre pour votre contestation?
- Oui. Nous aurions pu nous rassembler, faire du bruit dans les médias, manifester, revendiquer ceci ou cela tant on nous a imposé de choses injustes sous prétexte d’urgence sanitaire. Mais personne ne l’a souhaité. Personnellement, j’ai même écrit ma lettre de démission avant de la déchirer. En démissionnant, j’avais l’impression de ne pas être conséquent avec moi-même. Je me suis donc contenté de cette lettre, que j’ai commencé à écrire quand j’ai compris que ce qui arrivait.
- Qu’est-ce qui vous a fait adopter cette ligne au point de sacrifier votre mission?
- Plusieurs choses. Le fait que le vaccin n’empêche pas une deuxième contamination, ni la transmission du virus. Qu’il ne permet pas non plus de laisser tomber le masque et la distanciation. Mais surtout, comme il n’est question que du vaccin ARNm de Pfizer au Vatican, que ses effets secondaires sont loin d’être connus. Mais plus que le vaccin, son efficacité ou ses méfaits, c’est l’obligation que j’ai combattue. Le plus grave, c’est que celle-ci se produise au Vatican.
- C’est-à-dire?
- Le Vatican est la capitale de l’Eglise et, à cet égard, il devrait défendre la liberté de conscience, la liberté tout court. Non seulement il ne le fait pas, mais il impose une pression qui, pour un catholique comme moi, apparaît inacceptable et contraire à sa mission.
- Question plus terre à terre: vous avez été licencié sans solde?
- Je recevrai mon salaire jusqu’au 6 octobre, jour de mon licenciement. Et peut-être une partie du 13e salaire.
- Combien gagniez-vous?
- Mille cinq cents euros par mois. Nourri, logé et blanchi.
- Qu’allez-vous faire désormais?
-Reprendre mes esprits et mes marques, puis retourner à mon métier de menuisier auprès de l’employeur que j’ai quitté il y a deux ans.
>> Lire aussi le portrait du vice-commandant de la garde: Philippe Morard, le Romand qui veille sur le Pape
Lettre ouverte en réponse aux autorités du Vatican, à son chef suprême le saint Père le pape François, à la Secrétairerie d’État du Vatican, aux institutions de la Cité, au commandement de la Garde Suisse Pontificale
Après réception d’un recommandé en date du 20 août dernier au sein de la Garde Suisse Pontifical, recommandé d’ailleurs faisant suite à la lettre de la Secrétairerie d’État datée 10 aout 2021 et ayant pour sujet la vaccination contre le Covid-19, je tiens à rendre réponse comme il m’a été demandé, ainsi qu’à toutes les personnes non vaccinées jusqu’à ce jour.
Il a été demandé pour le 15 septembre arrivant, à ces « personnes intéressées », de bien vouloir contacter le personnel responsable dans le but d’organiser la vaccination, ou le cas échéant de faire parvenir un certificat médical attestant l’incapacité de se faire vacciner. Il m’est à cœur de donner suite à cet «Appel à la vaccination contre le Covid», selon mon devoir. Cependant, je vous fais part de mon désarroi, car il m’est effectivement difficile d’y répondre n’étant pas concerné par les demandes faites au préalable. En effet en ce qui concerne mon état physique, jusqu’à ce jour et à entendre l’avis de médecins, je ne devrais pas craindre une inaptitude à la vaccination. Je n’ai donc point de certificat médical à présenter pour un quelconque problème. Il me resterait ainsi à répondre à l’appel par une inscription au vaccin. Toutefois il me faut réfléchir à ce choix, non pas avec des préjugés, «pour ou contre» le vaccin en général. Il s’agit de comprendre s’il me faut être «pour tel vaccin, administré dans telle condition, à telle population, à tel endroit»
Acriter et Fideliter. Un ancien garde et indigent citoyen du Vatican.